Daniel Méthot: le bonheur est dans la plonge - Caribou

Daniel Méthot: le bonheur est dans la plonge

Publié le

02 mars 2016

Daniel_Maude Chauvin
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Il y a les chefs, oui. Mais autour d’eux gravitent de nombreux travailleurs qu’on oublie souvent et qui, pourtant, dédient eux aussi leur vie à la restauration. Parmi eux, il y a Emmanuelle, la sommelière qu’on aime questionner, Micheline, la serveuse qu’on côtoie mais qu’on ne voit parfois plus, et puis Daniel, le plongeur qu’on ne remarque jamais. Portrait de Daniel Méthot, plongeur au Château Frontenac Un texte de Geneviève Vézina-Montplaisir Photos de Maude Chauvin | maudechauvin.com De longues heures à travailler debout, dans la chaleur et l’humidité, les deux mains dans l’eau, à tenter de faire disparaître des restes de table… La majorité des gens imaginent le métier de plongeur comme une besogne difficile et routinière. Pourtant, la réalité que vit Daniel Méthot, plongeur au Château Frontenac depuis plus de cinq ans, est tout autre. Tellement que le principal intéressé n’échangerait son travail avec personne. C’est à un homme pas très grand, ne faisant pas ses 49 ans, et qui m’attendait avec un large sourire, que j’ai serré la main dans les cuisines du restaurant Champlain par un froid lundi de janvier. Une main douce et lisse, pas comme celle, racornie, que je m’étais imaginée. Se tenant droit devant l’imposant lave-vaisselle industriel et les grandes cuves de métal – l’endroit qu’on appelle «la plonge» –, Daniel est déjà prêt pour son quart de travail qui va débuter à 15h et se terminer vers 23h15. Il arbore un pantalon de travailleur marine et un polo noir hyper propre, et m’invite à le suivre à la bibliothèque du restaurant pour commencer notre entretien. La petite salle chic et cossue, habituellement réservée aux groupes privés, est toute à nous ce matin-là. «Je n’avais jamais pensé être plongeur, même si j’ai toujours considéré qu’il n’y avait pas de sots métiers dans la vie», me dit d’emblée Daniel avec son accent gaspésien, comme s’il avait lu dans mes pensées. Daniel est issu d’une famille de Percé propriétaire de bateaux d’excursions et il est titulaire d’un baccalauréat en gestion touristique à l’UQAM. C’est après avoir surmonté une période noire que le métier de plongeur lui est apparu comme une façon de retrouver la forme et de reprendre goût au travail… et à la vie. «J’ai travaillé comme aide-cuisinier, géré un camping provincial, enseigné aux adultes l’accueil, la planification et le développement touristique, et mis sur pied une auberge de jeunesse dans mon coin de pays. Mais il n’y a rien qui durait, ça restait souvent des emplois temporaires. J’ai commencé alors à avoir des problèmes d’anxiété dont je n’arrivais pas à me défaire. Je me suis réfugié dans l’alcool… Je ne pouvais plus m’en passer. Ça a duré des années. Ma confiance en moi était alors à zéro. Je me dirigeais tranquillement vers la mort…» se souvient-il, en laissant glisser ses yeux bleus vers la fenêtre de la bibliothèque, qui donne sur le fleuve Saint-Laurent. Aidé du peu de volonté qu’il lui reste, Daniel décide de quitter la Gaspésie pour aller suivre une thérapie au Centre de traitement des dépendances Le Rucher, situé à Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue de Québec. Il y reste sept mois. À sa sortie, il se met à la recherche d’un emploi dans la Vieille Capitale, dont il ne connaît que le principal symbole: le Château Frontenac… C’est là qu’il va dénicher son poste de plongeur.

«Un job physique, parfait pour se remettre en forme. Et un emploi manuel pour garder ses pensées axées sur le travail », dit-il.

Daniel ne soupçonnait pas, alors, qu’il possédait plusieurs aptitudes qui lui permettraient de se démarquer de ses 32 collègues plongeurs, mais également de mériter le titre d’employé du mois du Château, en octobre 2014. «Les façons de planifier et d’organiser le travail que j’ai apprises durant mes études, je m’en sers quotidiennement, souligne-t-il. Je peux ainsi aller au-devant des besoins de ma clientèle, qui est constituée ici des serveurs, des cuisiniers, des chefs. Je sais quand ils vont avoir besoin que telle chose soit propre et prête à utiliser. C’est certain que ça ne prend pas un cours universitaire pour avoir de bonnes capacités de coordination, mais ça m’aide à être un meilleur plongeur. Je suis peut-être un petit peu plus rapide à cause de ça.» De nature résolument optimiste depuis sa thérapie, Daniel voit dans chaque défi que lui présente son métier une façon de se dépasser et d’apprendre quelque chose. «Comme plongeur, on manipule beaucoup de choses, on se déplace tout le temps, on soulève des poids. La plonge du Château, j’appelle ça mon gymnase! C’est exigeant physiquement, mais ça m’a permis aussi de développer ma souplesse, mes réflexes, ma dextérité. Je suis droitier, mais je suis maintenant pas mal habile de ma main gauche. Je fais le tri des ustensiles à deux mains. C’est comme si je tricotais!» Qu’il soit à la plonge du restaurant gastronomique Champlain, où il doit manipuler la vaisselle, délicate, avec le plus grand soin, ou à la plonge principale, qui dessert les banquets et où le volume d’assiettes et de verres à nettoyer est imposant, Daniel travaille dans la bonne humeur. «J’ai un poste “tournant”, donc mon travail n’est jamais routinier. Je peux être, par exemple, à la réception de la vaisselle. On appelle ça “l’entrée”, on trie les couverts, on envoie ça dans la machine, et il y a un autre plongeur qui les ramasse à la sortie et qui les range, raconte-t-il avec enthousiasme. C’est un travail d’équipe.» La brigade de plongeurs du Château est de toutes les origines et de tous les âges. Elle ne compte qu’une seule femme et s’enorgueillit d’un vétéran, en poste depuis 42 ans. Daniel, célibataire, sans enfant, est un peu comme le motivateur des troupes. «On peut percevoir le métier de plongeur comme celui de quelqu’un qui n’a pas réussi dans la vie, souligne-t-il. Quand je dis que je suis plongeur à quelqu’un, je vois bien le jugement dans ses yeux, mais quand j’ajoute le nom du Château Frontenac, les perceptions changent. Je sens que ça intrigue les gens, et ça me rend fier. J’ai fait en sorte d’aimer la plonge, de rendre mon travail “heureux”. Ce n’est pas tout le monde qui peut dire qu’il aime son emploi autant que moi!»
  Cet article est paru initialement dans le numéro 2, Restaurants, paru en avril 2015.
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