Emmanuelle Tellier: le choix du vin - Caribou

Emmanuelle Tellier: le choix du vin

Publié le

02 mars 2016

Tessier_Maude Chauvin
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Il y a les chefs, oui. Mais autour d’eux gravitent de nombreux travailleurs qu’on oublie souvent et qui, pourtant, dédient eux aussi leur vie à la restauration. Parmi eux, il y a Micheline, la serveuse qu’on côtoie mais qu’on ne voit parfois plus, Daniel, le plongeur qu’on ne remarque jamais, et puis Emmanuelle, la sommelière qu’on aime questionner. Portrait de Emmanuelle Tellier, sommelière Un texte de Véronique Leduc Photos de Maude Chauvin | maudechauvin.com La route qui allait la mener jusqu’à la sommellerie a été longue pour Emmanuelle Tellier. À une certaine époque, la jeune femme de 32 ans n’aurait jamais imaginé que goûter des vins allait devenir sa carrière. Mais après quelques détours, c’est finalement le vin qui l’a choisie. Emmanuelle est arrivée en retard à notre rencontre. C’est que la belle brune, maître d’hôtel et sommelière du Accords – Le bistro* depuis son ouverture, en juin 2014, est fort occupée. En plus de gérer la cave à vins, elle est responsable de l’équipe et du service du mardi au samedi soir, sert elle-même aux tables, donne des formations sur le vin aux serveurs et anime, en partie, les réseaux sociaux du resto. «Tu ne peux pas faire uniquement de la sommellerie. Il y a toujours autre chose associé à ça», expliquera-t-elle plus tard en parlant avec enthousiasme de son métier. Désolée, elle enlève son manteau, secoue la neige de ses longs cheveux, m’offre un verre de vin, mais se commande un café au lait, et s’installe au bar du restaurant situé en plein Quartier des spectacles, à Montréal. «Je suis loin d’être une sommelière alcoolique, précise-t-elle, comme si elle devait justifier son choix de boisson. Si je prends un verre par semaine pour le plaisir, c’est beau! J’adore le vin, mais j’en goûte tellement qu’en dehors du travail j’ai envie de boire autre chose!» Il y a un an, Emmanuelle n’aurait jamais pensé endosser toutes les responsabilités qu’elle assume aujourd’hui. Le printemps dernier, elle donnait sa démission à l’Auberge Saint-Gabriel et partait avec son amoureux au Maroc, remplie de questions par rapport à sa carrière. «Je trouvais que j’avais essuyé beaucoup d’échecs. Je ne me faisais plus confiance.» Pourtant, au Maroc, la qualité remarquable du service, «même pour un thé», la frappe et lui donne envie de continuer, elle aussi, à bien recevoir les gens. Coup du hasard ou du destin, à son retour, elle reçoit un appel et se fait offrir le poste de maître d’hôtel et de sommelière du Accords – Le bistro. C’est ainsi qu’après son cours de Service de la restauration suivi à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), à 18 ans, puis celui de sommellerie cinq ans plus tard, et après ses expériences dans divers restaurants et hôtels comme serveuse, sommelière ou gérante, Emmanuelle, sereine, semble enfin avoir trouvé sa place. «Quand tu sors de ton cours de sommellerie, tu n’es pas sommelier. C’est comme un cuisinier qui sort de l’école: il n’est pas chef. Tu en as encore beaucoup à apprendre.» Voilà pourquoi cette fille d’un ancien directeur de l’ITHQ a senti le besoin de faire ses classes avant de décider de se faire confiance. Encore aujourd’hui, la jeune femme continue à se perfectionner. Pour réussir à offrir la meilleure carte des vins possible, Emmanuelle goûte les produits, rencontre des vignerons, apprend l’histoire de leur vignoble et parcourt les salons du Québec. Si elle adore ces apprentissages, la professionnelle du vin n’hésite pas une seconde quand il lui faut indiquer ce qu’elle préfère de son travail: le contact avec les clients qui, au Québec, sont de plus en plus curieux par rapport aux vins, selon ses observations. «Récemment, j’étais avec Jean-Pierre Amoreau, des Châteaux le Puy, qui fait un des seuls bordeaux bios offerts à la SAQ. Il voyage partout dans le monde et me disait que les deux peuples qui connaissent le mieux le vin en dehors de la France sont les Japonais et les Québécois! C’est vrai que les gens posent beaucoup de questions, distinguent les régions et ont un intérêt pour les vins bios qu’on offre ici.» L’après-midi tire à sa fin. Quelques clients précoces sont attablés, et une serveuse vient demander conseil à Emmanuelle. Celle-ci propose un rouge qui s’accordera à merveille avec les plats. «Quand tu entres, les bouteilles sont en haut, à gauche, deuxième rangée», indique-t-elle à celle qui se dirige vers le cellier. «Je n’ai pas de mérite à connaître l’emplacement de chaque bouteille, dit-elle devant mon air étonné. Ici, je gère une cave d'une valeur de 20 000$, ce qui n’est pas beaucoup. J’achète peu, je passe le stock et je vois vite ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je m’amuse vraiment!» Et, pour tirer le maximum de «ses» bouteilles, Emmanuelle tient un carnet de bord dans lequel elle note ses commentaires. «Parfois, en un an, le vin peut vraiment changer! Les notes me permettent de comprendre son évolution.» Certains sommeliers diraient que c’est cet aspect de la gestion de la cave et des commandes qui est le plus ardu, explique Emmanuelle. Mais pour elle, ce sont surtout les horaires. «Tu manques les fêtes, tu travailles tard et tu dois toujours être disponible. Le seul moment où t’es vraiment en vacances, c’est quand tu sors du pays. Sinon, tu peux être sûr que tu vas te faire appeler!» Malgré tout, le chemin est maintenant clair pour Emmanuelle, qui souhaite se laisser guider par le vin. «J’aime le titre de sommelière: j’aime le vin, je le comprends et j’aime rendre le client heureux en lui proposant un bon vin», dit-elle. Pour continuer à avancer dans ce domaine, Emmanuelle entend prendre les grands moyens. C’est parce qu’elle allait déposer sa candidature pour la Bourse des Grands Chefs Relais & Châteaux qu’elle est arrivée en retard à notre rendez-vous. Si elle se démarque des autres participants, la jeune femme pourrait parcourir le monde pendant un an afin de se perfectionner dans des restaurants et des hôtels haut de gamme. Mais elle promet de revenir, puisque c’est au Québec qu’Emmanuelle souhaite donner vie un jour à son projet d’entreprise: «Un petit vignoble, peut-être, avec, c’est sûr, un endroit pour recevoir les gens.»
  *Au moment de l’entrevue, elle travaillait au Accords – Le bistro, mais n’y est plus aujourd’hui. Cet article est paru initialement dans le numéro 2, Restaurants, paru en avril 2015.
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