Micheline Champagne: psychologie d’une serveuse - Caribou

Micheline Champagne: psychologie d’une serveuse

Publié le

02 mars 2016

Micheline_Maude Chauvin
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Il y a les chefs, oui. Mais autour d’eux gravitent de nombreux travailleurs qu’on oublie souvent et qui, pourtant, dédient eux aussi leur vie à la restauration. Parmi eux, il y a Emmanuelle, la sommelière qu’on aime questionner, Daniel, le plongeur qu’on ne remarque jamais, et puis Micheline, la serveuse qu’on côtoie mais qu’on ne voit parfois plus. Portrait de Micheline Champagne, serveuse au St-Hubert Un texte de Véronique Leduc Photos de Maude Chauvin | maudechauvin.com Il y a de ces endroits tellement familiers qu’ils nous semblent faire partie du paysage. Comme les restaurants St-Hubert. Il y a de ces personnes qui passent dans nos vies souvent sans qu’on les remarque. Comme les serveuses. Pourtant, il y en a une, au St-Hubert de Shawinigan, qui vous observe, elle, plus que vous ne le croyez. Dix heures du matin, par une journée d’hiver. Micheline Champagne, 61 ans, est arrivée à l’avance, bien avant notre rencontre. Elle a vérifié que toutes les tables de sa section étaient propres et qu’on y trouvait les couverts, le sel, le poivre et les menus qui seront nécessaires à 11h, quand les premiers clients s’y installeront. Elle a pris le temps de saluer ses collègues en cuisine et a fait du café avant de m’attendre, vêtue de son uniforme. «J’arrive toujours trop tôt», me dit-elle en m’accueillant. Pourtant, ce n’est pas comme si Micheline ne savait pas ce qu’elle a à faire… Cette femme pleine de vivacité est arrivée au St-Hubert de Shawinigan avec les meubles… C’est elle qui le dit en riant. «J’ai été engagée il y a 26 ans, quelques semaines avant l’ouverture.» Celle qui semble d’ailleurs avoir conservé l’énergie de cette jeunesse évoquée a commencé à travailler dans divers établissements de restauration rapide à 16 ans, avant de se retrouver à la Rôtisserie St-Hubert, une chaîne de restaurants québécoise comptant 117 succursales, dont elle ne dit que du bien. En 45 ans de carrière, Micheline n’aura eu envie d’aller voir ailleurs qu’une seule fois, pour étudier en psychologie… mais elle est bien vite revenue à la restauration, qui lui manquait trop. Le détour n’aura pas été vain, puisque c’est en faisant ces études qu’elle a compris tout l’aspect psychologique de son métier de serveuse – ou d’hôtesse, comme on le dit au St-Hubert –, qu’elle aime plus que jamais. «Les gens pensent que mon travail, c’est juste d’amener une assiette sur une table, mais c’est bien plus que ça! Ça m’a pris des années à le comprendre, mais quand tu saisis l’aspect psychologique derrière ton métier, tu réalises que la restauration, c’est un mausus de beau milieu!» précise la femme originaire de Shawinigan qui estime que sa façon de travailler a beaucoup changé au fil des ans. «Le service que je donnais il y a 20 ou 30 ans n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Maintenant, j’essaie d’être à l’écoute du client. Si c’est un homme d’affaires, je ne serai pas trop dérangeante et je vais le servir plus rapidement. Si ce sont un jeune couple, une famille ou deux personnes âgées qui entrent dans la salle, des gens pour qui c’est la sortie de la semaine, l’attitude à adopter est différente. Le client vient manger, ça, on le sait, mais à part ça, que vient-il chercher? Il faut que tu te le demandes et que tu t’adaptes. Au fond, ton client, c’est ton roi. C’est comme si tu l’invitais chez toi et que tu voulais qu’il passe un bon moment.» Micheline estime, malgré ses observations et ses années d’expérience, qu’il lui en reste encore à apprendre. Parce que sa vision de son travail est en constante évolution, mais aussi parce que la clientèle change. «Avant, les clients voulaient manger, tout simplement. Depuis une dizaine d’années, même ici dans une chaîne, ils sont plus curieux, ils veulent de la qualité et ont plus d’exigences par rapport au service. En quelque sorte, ils recherchent une expérience», croit Micheline. Quand elle parle des bons côtés de son métier, celle que tout le monde appelle Mimi est intarissable. Mais quand on lui demande quelles en sont les difficultés, elle doit réfléchir longuement. «De toujours devoir répondre aux attentes des clients en restant souriante, je trouve ça exigeant, parfois. Parce que nous aussi, on a une vie, et il y a des jours où on file moins, des moments où on a des épreuves à traverser… Mais dans ce temps-là, il faut arriver à passer la porte et à laisser nos soucis de l’autre côté.» Et Micheline sait de quoi elle parle. Après la perte inattendue de son conjoint il y a un an et demi, puis un arrêt de travail de deux mois, elle est revenue au boulot. «C’était très difficile au début, mais ça m’a forcée à changer mon attitude, à sourire aux gens. Finalement, c’est ce qui m’a sauvée», affirme la femme qu’on sent encore fragile lorsqu’elle aborde le sujet. C’est évident, et elle le confirme: bien plus que pour l’argent, c’est pour le contact avec les gens que Micheline apprécie autant son travail. «La semaine dernière, par exemple, j’ai servi un couple de personnes âgées. Quand j’ai apporté l’addition, la dame m’a dit que mon sourire lui avait fait beaucoup de bien après la journée difficile qu’elle avait eue. Elle ne m’a pas parlé de nourriture, elle m’a parlé de mon attitude. C’est ça, ma paye.» Puis, une belle grande blonde aux yeux bleus, début quarantaine, s’approche de la table où nous sommes installées, dans la véranda. «Je te présente ma fille Cathy, s’exclame fièrement Micheline. Elle travaille aussi ici… depuis 25 ans, et elle aime ça autant que moi!» Passion contagieuse, vous dites? Malgré cet amour évident pour son métier, les yeux bruns de Micheline brillent quand elle parle de son départ vers Punta Cana, prévu pour le lendemain. «Ça va me faire du bien, après cette année difficile», dit-elle. Mais attention: au retour, elle compte bien s’y remettre, avec autant de passion, et pour encore longtemps: «Je ne me vois pas arrêter, ça me manquerait trop. Mon travail, je l’ai dans les tripes ! À la télé, les vedettes disent souvent : “Mon métier, c’est le plus beau métier du monde.” J’écoute ça, pis je me dis que moi aussi, j’ai le plus beau métier du monde! Je suis tellement bien ici! Chaque fois que j’arrive, je me sens chez nous.» Il est 11h. Déjà, les premiers clients, deux femmes âgées, franchissent la porte. D’un geste vif, Micheline se lève et, avec un grand sourire, elle les accueille. «Moi, c’est Micheline, bienvenue au St-Hubert.»
  Cet article est paru initialement dans le numéro 2, Restaurants, paru en avril 2015.
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