Notre terroir, c’est aussi la mer
Publié le
04 avril 2017
Mon père avait l’habitude d’avaler quelques centaines de kilomètres dès l’ouverture de la pêche au crabe. Il allait aux nouvelles, rapportait des provisions. Ce grand fleuve, pourvoyeur d’images et de nourriture avait un sens pour lui et il le célébrait de toutes sortes de manières. Il avait sa façon de se l’approprier; à chacun de trouver la sienne.
Chronique et photos d’Hélène Raymond
Au passage des saisons, il arrive qu’on se réveille sous la neige mais l’équinoxe, le croassement des corneilles, le chant du cardinal confirment que c’est bel et bien le printemps. À l’intérieur des cabanes à sucre, l’évaporateur gronde jour et nuit. On récolte, pompe, verse, remplit, concentre, bouille et bouille encore l’eau des érables. Quarante-trois litres d’eau pour un de sirop! Au printemps, au creux des érablières, on vit par et pour le temps des sucres.
Sur les quais de l’estuaire, on s’agite aussi. En janvier, lors d’une courte tournée de la Gaspésie, j’ai entendu près des bateaux remisés quelques bruits de scies ou de marteaux annoncer le début des radoubs. Un peu de mouvement, pas encore de frénésie. Pareil aux Îles de la Madeleine, au début mars. Au creux de l’hiver, le cœur des régions maritimes bat tranquillement. Mais au cours des dernières semaines, on a accéléré la cadence.
Le fleuve charrie encore ses glaces quand les crabiers et les crevettiers reprennent la mer. Les conditions de navigation sont rudes. Le métier est difficile, voire dangereux. Imaginez un instant: la promiscuité, le confinement, le roulis, le tangage, les manœuvres risquées, le froid, le vent, la neige… Au printemps, on vit par et pour les crustacés. Pareil dans les usines de transformation et les poissonneries.
Puis, avec les beaux jours de mai, ce sont les pêcheurs de homard qui repartent. On pourrait allonger la liste et mentionner ceux qui capturent et pêchent pétoncles, buccins, couteaux, espèces marines et d’eau douce (plus rares celles-là).
Je rêve du jour où, comme on nomme le fromager, l’éleveur, l’acériculteur, on parlera davantage des pêcheurs. Où on nommera ces femmes et ces hommes qui font vivre les régions côtières. Du jour où on ne fera pas qu’avancer statistiques, retombées économiques, guerres entre associations quand il est question de pêche.Je rêve du jour où on entendra, de la bouche même de ceux et celles qui vont en mer ou qui transforment, décrire une saveur. Où on saura faire la différence entre les captures de début, de milieu et de fin de saison. Où on se préoccupera davantage des mangeurs d’ici en s’adaptant au marché local. Ce jour-là, on aura réussi à faire parler le Saint-Laurent comme on sait aujourd’hui faire parler la terre.
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