Roméo Bouchard revient au front sur la question du monopole de l'UPA - Caribou

Roméo Bouchard revient au front sur la question du monopole de l’UPA

Publié le

27 mars 2018

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Roméo Bouchard l’avoue: «s’attaquer à l’UPA a quelque chose d’irrévérencieux et d’impie». Ça n’a pas empêché le militant de 81 ans, cofondateur de l’Union paysanne, d’écrire l’essai L’UPA: un monopole qui a fait son temps. Après 40 ans de lutte pour une agriculture différente et pour un pluralisme syndical en agriculture, il espère encore être entendu. Un texte d’Audrey Lavoie Photo de Blanches Bulles Studio Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer pourquoi nous parlons de monopole quand il est question du syndicat de l’Union des producteurs agricoles (UPA)? La loi qui a établi qu’il y aurait en agriculture au Québec qu’une seule association accréditée, qu'une seule association qui parlerait officiellement au nom des agriculteurs, c’est une loi qui a été voté en 1972: la Loi sur les producteurs agricoles. Dans son premier article, la loi dit que les agriculteurs sont libres d’adhérer ou non à une association agricole. On se dit donc : «Ça va bien, la liberté d’association est respectée.» Mais les articles qui suivent disent qu’il n’y aura qu’une seule association d’accréditée, à savoir l’association qui aura 50% et plus des agriculteurs comme membres. C’est donc clair qu’il ne peut pas y en avoir deux. Et en plus, on dit que tout le monde, qu’il soit membre ou non, devra cotiser [à l’association]. En pratique, c’est un monopole. Cette loi-là a été votée pour permettre à l’UPA de prendre le contrôle absolu de la gestion des plans conjoints de mise en marché. Est-ce qu’au départ, cette loi-là était une bonne idée pour le Québec de 1972? Ç’a eu du bon. Je crois que ça a été efficace. Ç’a permis une extension du contrôle des agriculteurs sur leurs ventes, en autres, pendant les deux premières décennies de ce système-là. C’est sûr que l’embryon que ce qui allait devenir mauvais là-dedans était déjà là. C’est-à-dire que donner au syndicat le contrôle complet de la mise en marché et des offices de producteurs, c’était un risque. Quand l’agriculture est entrée, à la fin des années 1980, dans la mondialisation et le libre-échange, les aspects négatifs et pervers d’un monopole de l’UPA sont devenus plus évidents. Maintenant, ça n’a plus aucune limite. Ils occupent le terrain, ont pris le contrôle des comité-conseils en agroenvironnement, des institutions de recherche… Dans le fond, ce que vous dénoncez ce n’est pas l'existence de l’UPA, c’est plutôt cette Loi sur les producteurs agricoles qui a autorisé que l’UPA ait tout ce contrôle et qui empêche le pluralisme syndical? C’est exactement ça. C’est cette loi-là qu’il faut changer. La recommandation 47 du rapport Pronovost [déposé en 2008 par Jean Pronovost, à la suite de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire au Québec] l’a très bien expliqué et a recommandé comment on pouvait la changer sans être radical, en maintenant l’obligation des agriculteurs à adhérer à un syndicat, mais à un syndicat de leur choix. Le secteur agricole est très vaste et est composé d’entreprises très différentes les unes des autres. C'est donc tout à fait normal qu’il y ait des agriculteurs avec différents intérêts et qui ont besoin d’être représentés par leurs propres représentants. Mon livre je ne l’ai pas écrit pour détruire l’UPA, ou pour détruire le syndicalisme en agriculture. L’UPA doit demeurer, tout comme le syndicalisme, mais je prêche pour qu’on enlève le monopole et qu’on puisse avoir la liberté de choisir son syndicat. Mais l’UPA ne veut absolument pas lâcher un pouce là-dessus, elle ne veut même pas en entendre parler. Dans les 48 heures qui ont suivi le dépôt du rapport Pronovost, l’UPA est sortie publiquement et a rejeté le rapport de A à Z. Entre autres parce que le rapport touche au monopole syndical.
«Avec ce livre, je voulais aller au cœur de la question, même si on l’évite continuellement, qu’on essaie de nous laisser croire que le monopole ce n’est pas si important que ça, que les agriculteurs s’accommodent fort bien de ce système-là, que la majorité sont volontairement membres de l’UPA. Ce n’est pas exact. On oublie de dire qu’ils sont membres de l’UPA parce qu’ils sont mieux de l’être, puisqu’ils sont de toute façon obligés de cotiser. Il n’y a aucune autre possibilité.»
Selon les chiffres de l’UPA, 93% des producteurs agricoles sont membres du syndicat. Qu’est-ce qui arrive concrètement au 7% des agriculteurs qui ne sont pas membres? Tout d’abord, il faut se rappeler que membre ou pas, tous les agriculteurs sont obligés de payer leur cotisation annuelle à l’UPA. Mais ceux qui ne sont pas membres n’ont pas accès à une série de services que le syndicat donne à ses membres. Ensuite, quand il y a des votes importants, on dit à ces gens-là qu’ils n’ont pas le droit de voter parce qu’ils ne sont pas membres. Toutes les personnes ayant une vision différente de la vision dominante se retrouvent donc sans voix? C’est ça. Surtout depuis que l’UPA a pris un virage très évident vers l’agriculture productiviste dans les années 1990. On a abandonné l’objectif principal d’autosuffisance alimentaire au profit de la conquête des marchés. À partir de ce moment, il y a eu un modèle agricole unique qui a pris le dessus. Ce modèle en est un de concentration des entreprises, de plus en plus grosses, de plus en plus concentrées dans les régions centrales du Québec. Les gens qui veulent faire une agriculture locale, en circuit court, biologique, de niche, sont laissés pour compte parce que toutes les politiques sont orientées pour soutenir le modèle productiviste qui permet les meilleures chances d’exportation, etc. L’agriculture doit faire une transition écologique qui exige qu’on favorise une relocalisation en agriculture, l’autosuffisance alimentaire des communautés locales, une réoccupation du territoire pour diminuer les transports d’aliments. Si on veut changer ça, il faut absolument donner du soutien au développement d’une agriculture territoriale, de circuit court et moins axée sur la concentration. On ne peut pas le faire actuellement parce que les 2 à 3 milliards qui sont investis pour l'agriculture par les gouvernements servent en majorité à financer le modèle agricole productiviste. C'est ça le drame. Le gouvernement a pourtant le pouvoir de changer les choses... Ben oui, c'est sûr que théoriquement le gouvernement est là pour établir des politiques et s'il est moindrement conscient de ce que désirent les gens – les gens veulent une agriculture beaucoup plus locale, beaucoup plus proche d'eux –, de changer les politiques. Mais il ne le fait pas parce que l'UPA dit non. Est-ce que ça augure mal pour la future politique bioalimentaire que déposera le gouvernement du Québec dans les prochaines semaines? C'est clair que ça sera juste des grandes formules abstraites, cosmétiques qui ne s'attaqueront pas aux vrais problèmes. Dire aux gens : «On va augmenter la vente des produits locaux», mais qu'on ne change pas les politiques agricoles, les politiques de soutien financier, de mise en marché collective, de gestion des quotas, ça ne donne rien. Et pourquoi les politiciens ne sont pas capables de dire non à l'UPA? C'est parce que l'UPA c'est un énorme lobby qui dispose d'énormément d'argent, avec des tentacules partout et n'importe quel parti politique sait qu’elle peut lui faire perdre une élection s'il l’affronte directement. Il va falloir que les mangeurs québécois se lèvent et fassent valoir leurs volontés s’ils souhaitent un changement? Il va falloir une grande prise de conscience collective au Québec et que les gens cessent d'avoir peur de l'UPA et que ça deviennent aussi dangereux pour les politiciens d'appuyer l'UPA que de ne pas l'appuyer. Sinon, ça ne bougera pas et notre agriculture s'en va chez l'diable.
C'est un enjeu énorme l'agriculture et pas juste pour les agriculteurs, pour tout le monde. C'est tout le territoire qui est en cause, c'est un patrimoine énorme.
À plusieurs reprises ces derniers mois, on a entendu le président de l’UPA, Marcel Groleau, se montrer ouvert à une libéralisation de l’organisation pour permettre l’épanouissement des plus petits producteurs. Il soutient que le dialogue est ouvert. Sentez-vous cette ouverture? Non. C’est purement une opération d’image publique. Les problèmes réels sont toujours occultés dans le discours de l’UPA. Mais ce sont des problèmes compliqués, alors souvent les gens se laissent avoir. Que toutes ces questions relatives au syndicalisme, à la gestion de l'offre et aux quotas soient si compliqués, n'est-ce pas aussi une embûche à la mobilisation citoyenne? Comment faire pour conscientiser les gens à ces enjeux si complexes? Ça touche vraiment le fond de la question. C'est le drame de ceux qui se sont battus. Moi, ça fait 40 ans que je me bats, je n’ai pas gagné un pouce. OK, il y a plus de jeunes qui font de l'agriculture intelligente. Mais encore là, ça équivaut à 2 ou 2,5% de la production agricole et c'est quasiment plafonné. Par contre, il y a une conjoncture favorable en ce moment: on se bat contre Monsanto en Europe, il y a le débat sur les pesticides ici au Québec, il y a une poussée de jeunes agriculteurs écologiques, qui sont soit à l'Union paysanne ou à la Coopérative pour l'Agriculture de Proximité Écologique (CAPÉ), qui se battent un peu pour une production hors quotas. Ce livre pourrait être une brique de plus dans le décor, mais je ne me fais pas d'illusion, un livre ce n'est qu'une bouteille à la mer. L’UPA : un monopole qui a fait son temps VLB Éditeur, coédité par La Vie agricole En librairie le 28 mars  

La gestion de l'offre selon Roméo Bouchard

Depuis plusieurs mois, la gestion de l’offre est au cœur des débats publics. Elle s’est invitée dans la dernière campagne électorale fédérale et est un des points d’achoppement des négociations sur l’ALÉNA entre les États-Unis et le Canada. Roméo Bouchard croit encore en l’utilité de la gestion de l’offre, mais considère qu’elle devrait être réformée pour qu’elle s’adapte à la diversification de l'agriculture. Son argumentaire en trois points: 1. Les quotas ne devraient pas être payants. «Ils devraient être distribués en vertu du type d'agriculture qu’on veut avoir. On doit se servir des quotas pour servir des objectifs qu’on veut obtenir en agriculture. Actuellement, c’est au plus fort la poche. C'est une poignée de gros qui ramasse tout.» 2. La production de proximité et de niche devrait être hors quotas. «La production sous quotas devrait uniquement être celle de volume.» 3. Il faudrait revenir au véritable office de producteurs. «Ce qui implique qu'il n'y aurait plus de monopole syndical. Admettons qu’il y aurait trois syndicats. Quand l'office qui gère les plans conjoints siègerait, les représentants de ces trois syndicats devraient être là pour représenter leurs membres, en plus de d’autres représentants de la chaîne de production et de mise en marché.»
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