Gaston Robert, le vétéran du bleuet - Caribou

Gaston Robert, le vétéran du bleuet

Publié le

25 mai 2018

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À 78 ans, avec quelques dents en moins, une jambe de bois, un seul œil fonctionnel et un stimulateur cardiaque, la plupart des gens resteraient confortablement à la maison. Mais Gaston Robert, lui, préfère la liberté des grands espaces et le calme de la forêt boréale du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette forêt, il la sillonne chaque année depuis plus de 12 ans en quête de bleuets sauvages. Texte de Guillaume Roy Photos de Daphné Caron Muni d’un gros peigne aux dents métalliques et au manche en fibre de verre, Gaston gratte les plants de bleuets comme le ferait un ours, pour faire tomber les petits fruits bleus dans son grand panier. Dans le silence de la forêt boréale, ce son est de la musique à ses oreilles. «Quand ça vaut la peine de récolter, on entend les bleuets tomber», dit-il, tout sourire, content d’avoir enfin trouvé une talle décente. Contrairement aux années fastes, en cet été 2016 il faut chercher longtemps pour trouver suffisamment de bleuets dans les zones de récolte de bois ou dans les secteurs dévastés par le feu. Le gel qui a frappé en juin dernier a détruit une bonne partie des talles. Après seulement quelques jours de travail, en ce début du mois d’août, plusieurs cueilleurs ont déjà plié bagage, faute de petits fruits. Pour faire de bonnes récoltes, on doit adopter un rythme constant et rapide. Gaston a l’habitude de cueillir plus de 250 livres de bleuets par jour! Malgré sa jambe de bois, il se déplace avec une aisance surprenante dans les marécages et sur les pentes escarpées. Tout en scrutant le terrain en quête de fruits, il effectue le geste répétitif, qui finit par devenir mécanique. Seul, à environ 200 km du village le plus près, il apprécie pleinement le calme, le silence et la beauté du territoire. «Y en a qui se payent des retraites fermées dans un monastère. Moi, je viens cueillir des bleuets et je repense à ma vie, dit-il. J’en profite aussi pour faire mon entraînement annuel et perdre 10 livres!» Après quelques heures de récolte, Gaston s’arrête, essoufflé, et met un genou au sol. «Je viens de me rappeler que ça fait quatre jours que je n’ai pas pris mes pilules. On dirait que ça me ralentit.» Après une courte pause, ragaillardi par la beauté du paysage, il repart de plus belle. Il faut dire que Gaston ne se laisse pas arrêter facilement. À 17 ans, alors qu’il apprenait le métier d’électricien, un morceau de métal lui a fait perdre l’usage d’un œil. Il a pourtant persévéré et a pratiqué ce métier jusqu’à 45 ans. Puis, il a eu envie de changer de vie et s’est acheté un verger à Saint-Hilaire. Dans les années 1980, un chauffard en état d’ébriété est venu lui faucher un pied alors qu’il faisait une balade en moto. À peine sorti de l’hôpital, il retournait déjà cueillir des pommes au verger. Il y a quelques années, c’est son cœur qui a commencé à montrer des signes de fatigue. Après deux crises cardiaques, les médecins lui ont installé un stimulateur cardiaque. «Une chance que j’ai ça, parce que je suis mort le printemps dernier, et l’appareil m’a “reparti”», raconte-t-il comme si de rien n’était. [gallery type="rectangular" size="large" ids="4284,4282,4283"] Après les pommes, les bleuets Son pèlerinage annuel aux bleuets sauvages a commencé il y a 12 ans, après qu’il eut vendu son verger. Un acheteur de bleuets des Laurentides lui a alors appris que chaque été, quelques milliers de cueilleurs prenaient d’assaut la forêt boréale du Saguenay–Lac-Saint-Jean, formant des microvillages forestiers autour des campements de la centaine d’acheteurs déployés par les deux grands transformateurs de bleuets de la région. Pour plusieurs familles, la cueillette de ces petits fruits bleus est une tradition annuelle qui génère d’importants revenus. Certains cueilleurs peuvent faire jusqu’à 25 000$ en une seule saison, libres d’impôt. La cueillette des bleuets est un des derniers secteurs d’activité où le travail au noir est toléré. Depuis trois ans, Gaston, lui, installe sa roulotte dans le secteur Nestaocano, à près de 200 km au nord-ouest de Saint-Félicien. «Gaston, c’est une légende, lance Pierre, un acheteur de bleuets [ndlr: nom fictif, son employeur préférant qu’il conserve l’anonymat]. Malgré son âge, il ramasse plus de bleuets que des jeunes en pleine santé.» C’est qu’il a su développer l’instinct du cueilleur. Chaque jour, dès les premières lueurs du soleil, il avale un déjeuner rapide, monte sur son quatre-roues et se laisse guider par son pif. Un pif qui fait des envieux. «Il y a des petits vieux qui sont vraiment haïssables, raconte Gaston en riant. Ils te suivent un jour, puis le lendemain, ils arrivent avant toi et disent que c’est leur talle.» Les petits vieux, ce sont les autres cueilleurs, dont 85% ont plus de 55 ans. Après six heures de cueillette, Gaston rentre vendre ses bleuets. Au campement de l’acheteur, la balance affiche 106 livres, ce qui lui vaudra 79,50$. Certes, Gaston espère cueillir davantage et obtenir un meilleur prix au cours des prochaines semaines, mais il cueille d’abord pour le plaisir de passer du temps dans le bois. «La perspective de finir ma vie en couches, je n’endure pas ça. Plutôt me jeter en bas d’un pont! En attendant, je veux profiter de la vie.» *** Ce portrait est paru à l’origine dans le numéro 5, Nordicité, en novembre 2016. Pour plus de portraits et de textes sur cette thématique, achetez-le ICI.
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