ALÉNA c. gestion de l’offre: de quoi parle-t-on? - Caribou

ALÉNA c. gestion de l’offre: de quoi parle-t-on?

Publié le

07 septembre 2018

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Alors que les discussions se corsent entre le Canada et les États-Unis pour renouveler l’Accord de libre-échange nord-américain, les producteurs agricoles québécois s’inquiètent de l’affaiblissement, voire même de l’abolition, du système de gestion de l’offre. Une peur qui a mobilisé tous les chefs de partis en pleine campagne électorale au Québec, en plus de déclencher des manifestations de producteurs agricoles. Caribou répond à trois questions pour mieux comprendre quels sont les véritables enjeux. Texte d’Ugo Giguère Pour la petite histoire, un premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, connu sous l’acronyme ACCEU, est signé en 1987. Cette entente est ensuite remplacée par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) lorsque le Mexique s’y joint officiellement. L’ALÉNA est ratifié par les trois partenaires en 1993. On a dû attendre l’élection du président américain Donald Trump, 23 ans plus tard, pour que soit renégociée l’entente commerciale. Les équipes de négociateurs menées par la ministre des Affaires étrangères du Canada Chrystia Freeland, le représentant américain au Commerce Robert Lighthizer et le ministre de l’Économie du Mexique Ildefonso Guajardo ont entrepris les discussions en août 2017 et elles se poursuivent encore à ce jour. Les États-Unis et le Mexique ont cependant annoncé avoir convenu d’un accord préliminaire à la fin du mois dernier. Le fardeau repose maintenant sur le Canada qui continue de discuter avec ses partenaires, principalement les États-Unis, dans le but de se joindre à l’accord.

En quoi ça consiste l’ALÉNA?

Le principe de base d’un accord de libre-échange est d’éliminer les droits de douane et faciliter la circulation des biens et services entre les États membres. L’ALÉNA est d’ailleurs l’un des premiers accords du genre à avoir inclus les échanges de services. Grâce à l’ALÉNA, les consommateurs ont accès à des fruits et légumes des États-Unis ou du Mexique à faible coût puisqu’ils ne sont soumis à aucun tarif douanier. Cette invasion du marché alimentaire entraîne cependant une forte concurrence pour les maraîchers québécois. On n’a qu’à penser aux fraises de Californie ou aux poivrons mexicains. En sens inverse, nos producteurs de viande, de fruits, de légumes ou de céréales ont eux aussi accès au vaste marché des États-Unis et du Mexique. Selon les données de 2016, 80% des exportations de fruits et légumes du Québec ont pris la route du pays de l’oncle Sam, de même que 42% des exportations de viande. Ces producteurs agricoles ont donc absolument besoin de l’ALÉNA.

Et la gestion de l’offre, c’est quoi?

Au Canada, la production de lait, d’œufs et de volaille est soumise à un contrôle serré qui vise à ce que l’offre réponde tout juste à la demande du marché nécessaire à la consommation, sans surplus. Ce qui permet aussi à l’État de contrôler les prix et donc d’éviter toute fluctuation. Le système s’appuie sur trois piliers: le contrôle de la production par l’émission de quotas; l’établissement des prix fixés par l’État; le contrôle des importations par l’imposition de tarifs douaniers prohibitifs pouvant atteindre jusqu’à 300%. Les producteurs qui possèdent des quotas de production sont donc assurés d’un revenu stable et ne sont pas vulnérables aux aléas de l’économie. En contrepartie, l’industrie favorise un petit groupe de producteurs détenant des quotas et l’absence de compétitivité freine toute innovation, toute créativité.

Quel est le lien entre l’ALÉNA et la gestion de l’offre?

Depuis l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, le Canada a toujours protégé son système de gestion de l’offre, ce qui fait que les marchés du lait, de la volaille et des œufs sont exclus de l’entente de libre-échange. Dans le cadre de la renégociation, les États-Unis cherchent à obtenir un accès à ces marchés. Rappelons que le Canada a déjà fait des concessions semblables lors de ses plus récents accords signés avec l’Europe, puis avec l’Asie dans le Partenariat transpacifique. De l’avis du professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, le risque est plus grand d’ouvrir la porte au marché américain puisqu’il est un voisin immédiat et qu’il bénéficie d’un important avantage d’économie d’échelle.
«Les secteurs laitiers et avicoles sont névralgiques pour l’économie du Québec et du Canada et le maintien de la gestion de l’offre est fondamental pour ces productions. C’est non seulement notre production locale et notre capacité à nourrir notre propre population qui est en jeu, mais ce sont des milliers d’emplois et d’entreprises familiales partout au Québec et au Canada qui risquent de disparaître», s'inquiète le président général de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau.
Toutefois, M. Charlebois considère pour sa part qu’il est plus que temps de transformer la gestion de l’offre. «Il va falloir une période de transition de 15 ou 20 ans. Ça va être difficile au début, mais il faut le faire pour inciter les producteurs à être plus compétitifs. Il faut que le système soit repensé», plaide-t-il. Le chercheur qui travaille à créer un institut analytique en agroalimentaire insiste que 75% du secteur agricole a besoin d’un bon accord commercial avec les États-Unis. «Il suffit de faire notre travail et, avec une bonne stratégie, il y a toujours moyen compétitionner. Mais les producteurs laitiers défendent le statu quo, point à la ligne. Personne ne veut de changement», conclut-il.
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