Pinard & Filles: la romance du vin - Caribou

Pinard & Filles: la romance du vin

Publié le

04 septembre 2018

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L’histoire derrière Pinard & Filles est une remontée du courant qui commence dans un verre de vin et se termine dans un raisin. Le récit romantique de deux éternels avant-gardistes idéalistes, Frédéric Simon et Catherine Bélanger, qui ne demandent qu’à créer en bouteille, le pinard qu’ils rêvent de boire. Texte d’Ugo Giguère Photos de Dominique Lafond À elle seule, la cuvée Sortir du cadre, cabernet franc vinifié en blanc, illustre parfaitement l’esprit Pinard & Filles. De l’aveu même de Frédéric Simon, il s’agit d’un «ovni vinicole» alors qu’il exploite le manque de maturité d’un raisin noir très rarement vinifié en blanc, mais qui possède des arômes herbacés. Un vin dont l’exquise insolence justifie l’absurdité de son infime quantité de production. De 82 bouteilles l’an dernier, la production devrait exploser de 20% pour atteindre… 99 bouteilles cette année! «Ça raconte tellement une histoire différente ce truc-là que si j’y mettais du chardo pour augmenter le volume, ça n’aurait pas rapport. Ça fait une patente un peu ovni, mais tellement pertinente. Alors, on le vit», explique Frédéric. Ce qui veut dire une presse de plus, une mise en cuve de plus, un embouteillage de plus et la préparation d’étiquettes pour moins de cent bouteilles… Tout ce labeur pour l’unique plaisir d’offrir un produit singulier dont ils garderont (peut-être) trois ou quatre bouteilles. «On fait vraiment de l’artisanat», rigole Catherine. Ce mot noble, qui réfère à l’ouvrage des mains autant qu’à la délicatesse et à la créativité pure, résume le travail d’orfèvre qui s’opère dans la vigne et dans l’ancienne écurie devenue chai. Malgré un volume modeste, ce n’est pas l’ingéniosité qui manque au petit vignoble de Magog. L’an un (2015) a produit 1200 bouteilles, l’an deux (2016) a donné 4500 bouteilles et l’an trois (2017) devrait en rapporter 9000, mais peu importe le nombre, Pinard & Filles réussit à concocter chaque année une douzaine de cuvées différentes en assemblage ou en monocépage. «Avec toute la culture du vin qu’on a, on n’a pas peur de sortir du cadre. Chaque année est une page blanche: on recommence, on vendange et on décide quels vins on veut faire», décrit Frédéric. Pour Catherine, c’est même une évidence. «Si on était condamné à refaire les mêmes cuvées, année après année, on serait tellement bored qu’on décrocherait.» [caption id="attachment_4946" align="alignleft" width="1000"] Frédéric Simon et Catherine Bélanger[/caption]

Se rapprocher du produit

Cette culture du vin remonte à plus de vingt ans quand chacun de leur côté, ils ont fait connaissance avec le nectar. Tous les deux grands voyageurs, ils ont parcouru le monde en travaillant dans les restaurants. Un vagabondage qui a façonné leur palais aux acidités et aux tanins des régions du vaste monde vinicole. Frédéric Simon a fait ses premières armes Chez Fabien dans le Vieux-Terrebonne. Après avoir complété sa formation de sommellerie, il ouvre le restaurant Utopie avec le chef Stéphane Modat, à Québec, où il découvre les vins nature. Pour parfaire ses connaissances, il se rapproche des producteurs. «Je prenais un mois de vacances, en janvier, quand le vent souffle et qu’il fait froid à pleurer dans le Languedoc, et je partais visiter des vignerons», raconte-t-il. Une relation qui se transforme en lien d’affaires lorsqu’il «rentre à Montréal en courant» pour fonder la maison d’importation Insolite, dédiée aux vins nature. On est alors en 2005. De son côté, Catherine vient d’ouvrir le Pullman, un premier véritable bar à vin montréalais, qui s’approvisionne chez Frédéric. «La clientèle n’était pas prête pour un bar à vin et elle n’était pas prête pour ce genre de vin non plus. On a cette manie de faire un peu les choses avant tout le monde», se rappelle-t-elle. Lui, en parallèle à son agence d’importation, inaugure un restaurant dans la métropole appelé Les Cons Servent qui lui permet de boucler la boucle en allant chercher le vin directement du producteur, en l’important et en le servant personnellement aux tables.
«Dans toute notre démarche, on s’approche toujours plus du produit. Où on est rendu aujourd’hui, c’est juste la suite logique de notre parcours. Au début on s’intéresse au vin, puis à celui qui le produit et à un moment donné, on a eu le goût d’en faire», résume Frédéric.

L’appel de la vigne

On le devine, de la relation d’affaires entre le duo naîtra petit à petit une histoire d’amour et, bien assez tôt, un premier enfant. L’élément déclencheur qui va provoquer un besoin d’exil dans les Cantons-de-l’Est. «On rêvait d’horizon et de verdure», dit Frédéric. «On se couchait à quatre heures du matin tous les jours, on travaillait tous les deux dans des restos. Il fallait réajuster notre vie», renchérit Catherine. À la recherche d’un chalet, ils trouvent finalement un petit coin tranquille à Eastman. Instantanément, Frédéric Simon prend racine et n’a plus aucune envie de retourner en ville. Il jongle avec quelques idées de projets, mais l’appel de la vigne prend rapidement le dessus. Idéaliste et romantique, le «gentleman farmer» (c’était le nom de projet du vignoble avant de s’enregistrer sous Pinard & Filles) tient coûte que coûte à élever du vitis vinifera. Des vignes de souches dites nobles (pinot, gamay, chardonnay, cabernet franc, etc.) qui représentent un certain risque et nécessitent une plus grande attention dans le climat québécois. Pour ajouter au défi, il le fait à la main et sans intervention chimique. «Ce qui décrit bien Fred, c’est qu’il agit et il réfléchit après», révèle Catherine en ajoutant que son homme est un «très mauvais élève», mais un être intuitif. «Je fais tout par cœur», se défend-il en pointant sa poitrine. L’anecdote raconte que le couple a planté ses premières vignes le 5 juin 2011, quelques jours avant de s’envoler pour un mois en Italie et célébrer leur mariage… «Quand on est revenu, c’était la plus grosse joke ever», dit Catherine, qui se souvient que l’herbe était tellement haute que le vignoble avait disparu! Pas de tracteur, pas de pioche, Frédéric a mis des jours à nettoyer le gâchis avec l’aide de nombreux amis. Mais miraculeusement, un vignoble était né. [gallery size="medium" type="rectangular" link="file" ids="4943,4944,4945,4947,4948,4949"]

Les hybrides, c’est bon?

Dès le départ, Frédéric Simon s’est involontairement créé une image de rebelle dans la confrérie des vignerons québécois par sa désormais célèbre phrase: «Les hybrides, si c’était bon, on le saurait». Ça, c’était avant que lui-même tente l’expérience d’élever les cépages frontenac, la crescent et marquette. «Aujourd’hui je dis, si on avait su laisser les hybrides être ce qu’ils doivent être, ça aurait été bon. Un peu plus méchamment: "Si les gens avaient su les vinifier, ça aurait été bon"», rectifie le producteur qui a découvert de belles propriétés au frontenac, notamment. Dans sa carrière de restaurateur et de sommelier, il avait bien tenté de s’ouvrir aux productions locales, «mais je me faisais toujours mal et je trouvais ça dur, se désole-t-il. Qualitativement, si on se rapporte à l’époque au début des années 2000, je n’avais jamais été excité par rien.» «Le problème, c’est qu’on s’est rendu compte que les hybrides étaient vinifiés dans le but d’imiter un bordeaux ou un cabernet californien, ce qui est complètement absurde», souligne Catherine. Les vignerons ajoutaient du sucre, des enzymes et des levures pour donner l’impression d’un bordeaux ou d’un cabernet. «À la fin, ça donnait des vins qui se cherchaient. La sucrosité n’était pas à la bonne place, l’acidité n’était pas à la bonne place, tout était disloqué», décrit Frédéric qui s’est malgré tout laissé tenter par l’expérience de vinifier des cépages hybrides pour les besoins d’un test. Un essai qui s’est avéré assez concluant pour que Pinard & Filles lance ses propres cuvées de cépages hybrides, mais en respectant la nature du raisin. «Les cépages hybrides, sont très acides. Alors, si tu n’es pas prêt à travailler en fonction de cette acidité-là, tu ne feras jamais rien d’équilibré», révèle Catherine. Par exemple, le couple a découvert qu’une vendange plus tardive, vers la mi-octobre, permet à la vigne de réduire son taux d’acidité et d’offrir un vin beaucoup plus honnête. «Au Québec, tout le monde vendange le 15 septembre. Ils n’ont jamais changé la date, même s’il fait beau jusqu’au 5 novembre», ironise Frédéric qui a attendu jusqu’au 27 octobre l’an dernier pour obtenir «des vins beaucoup plus aboutis». Le vigneron converti note d’ailleurs que les vignes hybrides offrent un avantage non négligeable, soit de générer deux fois plus de fruits que les nobles viniferas. Mine de rien, après huit ans de travail et à sa troisième récolte, Pinard & Filles produit des vins parmi les plus prisés au Québec. Ses magnifiques bouteilles illustrées par le peintre Marc Séguin se retrouvent désormais sur les plus grandes tables de New York et attirent l’attention en Europe et en Asie. Peut-être parce que mettre son cœur et ses idéaux dans une bouteille, c’est le meilleur moyen de trouver un assemblage universel.
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