Les meilleures histoires culinaires familiales - Caribou

Les meilleures histoires culinaires familiales

Publié le

26 avril 2019

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À l’automne 2018, le restaurant Manitoba, situé à Montréal, organisait un concours d’écriture sur ses réseaux sociaux. En un maximum de 350 mots, les participants devaient rendre hommage à leur histoire culinaire familiale. Voici les textes qui ont remporté le deuxième et le troisième prix. Celui qui s’est mérité la première place, écrit par Danièle Belley, a été publié dans le numéro Famille de Caribou.

3e prix: texte de Valérie Bélisle

Ça se passe à l’été 1997 au chalet des Bélisle, sur le Lac Simon, près de Chénéville dans l’Outaouais.

Les deux pieds dans le bac d'eau à rincer le sable entre nos orteils, prêts à manger, on entendait souvent: «Non, restez dehors!»

La famille Bélisle était formé de six frères et sœurs, dont mon père Jacques, l'aîné de la famille. Chacun avait sa recette.

Celle de mon père était la meilleure: les bines dans le sable. Une technique de cuisson qui date de bien avant les ceintures fléchées. Le plus fascinant dans le processus était le côté mystérieux. Combien de temps pour la cuisson? Comment savoir si c'est prêt?

Mon père, qui se réveillait lorsque le soleil se levait sur le lac, mélangeait bines, lardon ou perdrix, mélasse («Bin important la mélasse»), oignons, sel, beurre d'arachides et moutarde sèche dans un immense chaudron de fonte sellé par un papier aluminium. «Y’a toujours un peu de sable qui rentre, mais c'est pas bin grave.»

Jacques descendait sur la plage à travers le gazon mouillé par la bruine et faisait un trou d’environ trois pieds pour partir son premier feu. Une fois que les braises étaient assez abondantes, il mettait le chaudron, le recouvrait de sable, et redémarrait un feu au-dessus. «And that’s where the magic happens.»

En 1978, ça faisait la fête, ça jouait de la musique, ça dansait toute la journée autour du feu. En 1997, c’était plutôt la course aux activités pour les enfants, mais une chose ne changeait pas: le rituel du feu. Une chaise, un bâton, un pack de smokes, quelques Labatt 50 et de la patience – c’est tout ce dont mon père avait besoin.

Des fois, c'était le porcelet du fermier: l'important, c'était le feu.

Entretemps, on essayait de faire le plus d’activités possibles pour gagner notre place à la table parce que les bines dans le sable de papa étaient très populaires. Un tour de «ponton» à la plage Duhamel ou du ski nautique avec mononcle Luc, on avait l’impression qu’au chalet, le temps était suspendu.

2e prix: texte d’Annabelle Payant

Il y a eu tous les pâtés
et leur dorure parfaite
que je n’ai pas connus
les gâteaux
surmontés de meringue
disparus en 1996
la tarte aux pommes
de Réjeanne
pelant les fruits
avec la délicatesse d’une fée
les conserves mal-aimées
le bouilli fade mais nécessaire
toutes ces choses
qu’on sauce dans le chocolat
les sablés de Noël
le Reine Élizabeth
pour la fête d’Isabelle
la tarte au chocolat
pour Nicolas 
les années ont passé
ces festins sont en hibernation
pour une durée indéterminée
(Jehane Benoît
je ne sais plus où est passée
ta bible) 
mais tout le réconfort
est resté dans nos fourneaux
dans le rack à épices
sous la terre du potager
dans le cœur de ma mère 
elle qui, dès trois ou quatre ans
sustentait ses poupées aux crânes lisses
sortant du four de sa mini-cuisinette
un de ces gâteaux «verre-brisé»
qu’on doit se contenter
de manger avec les yeux 
à sept ans
je rentre les joues rouges
le toupet ébouriffé
le dos en sueurs
d’avoir construit
mon château de givre
je rentre au chaud
et baigne dans les effluves
du poulet aux olives de ma mère 
je mijoterais bien
dans le bouillon citronné
pour attendrir mes engelures
doucement, être bordée
par les pommes de terre,
en faire ma robe de chambre 
l’hiver est un café à la cardamome
qui refroidit trop vite 
ma mère maîtrise parfaitement
le poulet à la pancetta et ces tomates farcies de Josée
le saumon en croûte d’épices de Josée
le sorbet aux mandarines de Josée
les poires pochées de Josée
la panna cotta de Josée
et surtout,
sa moussaka
son tiramisu
secrets bien gardés 
Daniel Pinard peut aller rhabiller
son poulet en crapaud
Ricardo, lui, peut songer à supprimer
sa recette d’omelette au micro-onde 
j’ai longtemps rêvé secrètement
qu’on passe à À la di Stasio
dans un épisode spécial «mère-fille»
mais personne n’a su l’inventer
j’attends toujours
faisant les cent pas
sur le terrazzo de la cuisine
les citrons confits
sont déjà tout gorgés de sel
et la tresse de piments
dessèche, s’emplit de rides

*Pour lire le texte qui a remporté le premier prix, procurez-vous le numéro Famille.

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