Plonger dans la chaîne alimentaire - Caribou

Plonger dans la chaîne alimentaire

Publié le

08 avril 2019

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Chaque mois, Caribou offre carte blanche à une personnalité pour qu’elle s’exprime sur le sujet de son choix. La pêcheuse sous-marine Valentine Thomas explique comment sa vie a changé le jour où elle a «chassé» son premier poisson.

Texte et photos de Valentine Thomas

Je n’avais jamais réfléchi à la provenance de ma nourriture avant de commencer le sport étrange qu’est le «spearfishing», la pêche au harpon. J’avais toujours choisi mon poisson et ma viande en optant pour ce qui était le moins cher et ce qui semblait le meilleur, sans penser à ce qui se passait entre le moment où mon poisson ou ma viande était un organisme vivant et le moment où il atterrissait couché sur un bout de styromousse au supermarché. 

Tout a changé le jour où je me suis trouvée au beau milieu de la chaîne alimentaire. J’ai quitté mon emploi afin de me consacrer à ma nouvelle passion, celle d’attraper ma propre nourriture, principalement en apnée, armée d’un fusil de chasse sous-marine. 

J’ai été initiée à la chasse sous-marine par des amis en 2011. Ma première fois ne s’est pas passée «comme sur des roulettes», loin de là. Je me souviens être assise sur l’arrière du bateau en pleine mer, pétrifiée par les centaines de mètres de profondeur en dessous de moi. Mon cœur battait à cent milles à l’heure – j’étais en pleine crise de panique. Peur irrationnelle? Pas tellement puisqu’à 14 ans, j’ai été entraînée par un courant de fond et j’ai perdu connaissance sous l’eau lors de vacances avec mes parents à Biarritz dans le sud de la France. 

Malgré la peur qui me rongeait, j’ai pris tout mon courage et j’ai sauté à l’eau. Je me souviens encore de la beauté qui m’a coupé le souffle. L’aspect sombre, agité et houleux de la mer à la surface contrastait avec le calme et la sérénité que je voyais sous moi.

J’étais entourée de centaines de poissons. 

Et c’est cette journée-là que j’ai tiré mon premier poisson. 

La chasse sous-marine et moi avions cependant encore beaucoup de plongées à accomplir avant que ne commence véritablement notre grande histoire d’amour. Ma peur bleue de l’eau profonde était toujours là. Mais, cette soirée-là, lorsque j’ai cuisiné sur la plage le poisson que j’avais moi-même attrapé, ma vision de la provenance de ma nourriture a changé et c’est ce qui m’a poussé à continuer de chasser.

La chasse sous-marine se fait en apnée, il faut donc la pratiquer en étant le plus relax possible. Avec un seul souffle et une seule plongée, tu t’immerges dans les fonds marins, dans le but de ramener un poisson, choisi de façon responsable et étique, sans dommage collatéral. Il n’y a rien de plus gratifiant que d’attraper sa propre nourriture.

Enfant anxieuse, la peur a toujours fait partie intégrante de ma vie. J’ai grandi en ayant peur de mon ombre. Personne ne fût donc surpris lorsque des crises de panique sévères m’ont frappée à l’âge de 18 ans. Incapable de sortir de chez moi, l’anxiété menait ma vie. Mais j’ai décidé de ne plus me laisser contrôler par la peur et de combattre ma maladie sans médicament. J’ai donc poussé mes limites tous les jours un peu plus et j’ai travaillé à rendre mon inconfort, confortable. C’est en vainquant la prison irrationnelle que je m’étais créée dans ma tête que  j’ai réussi à travailler sur ma relation amour-haine avec la mer. Huit ans plus tard, ma plus grande peur est devenue non seulement ma plus grande passion, mais également mon gagne-pain. 

Cette belle histoire d’amour m’a fait constater les dommages que nous avons faits à nos océans et prendre conscience qu’en tant qu'humain, nous ne sommes pas au-dessus de l'écosystème, mais nous en faisons bel et bien partie.

À chaque plongée, je vois les sacs de plastique, les mégots de cigarettes, les ballons et les gobelets qui envahissent nos mers et l’estomac de nos poissons. La planète prend soin de nous, mais nous ne prenons pas soin d’elle.

Notre aveuglement volontaire est le plus grand danger qui nous guette quand il est question du futur de la planète. Tant qu‘on ne fera pas face à ce qui se passent réellement sur notre planète, et dans le monde de l’approvisionnement alimentaire, et que l’on encouragera les compagnies dans leurs pratiques destructrices, la chanson Plus rien des Cowboys Fringants décrira malheureusement ce qui nous attend.

Suivez Valentine Thomas sur Instagram @valentinethomas
Son livre
À contre-courant paraîtra le 15 avril, aux éditions Cardinal

https://youtu.be/ygFyL8GCo8U

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