Boulangers, entre l’ombre et la lumière  - Caribou

Boulangers, entre l’ombre et la lumière 

Publié le

25 mai 2019

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De nouvelles adresses de plus en plus nombreuses, des files d’attente les samedis matin: les boulangeries artisanales connaissent depuis quelques années un engouement grandissant. Après les chefs, les sommeliers, les mixologues... les boulangers sont-ils en train de devenir les nouvelles «vedettes» de l’alimentation québécoise?  Texte d'Andréanne Chevalier Photos de Dominique Lafond «Mettons [que le chef] Antonin Mousseau Rivard entre ici, plusieurs personnes vont dire: “Hey, c’est Antonin!” Moi, si j’entre [au Mousso] et que quelqu’un me reconnaît, c’est peut-être parce qu’il m’a déjà vu au IGA!» raconte, en plaisantant, Julien Roy, copropriétaire de la boulangerie Automne à Montréal. Alors que la microboulangerie est de plus en plus reconnue, ses artisans refusent l’étiquette de «vedettes». Trop humbles, les boulangers? Peut-être. «C’est vrai que ce n’est pas glamour, un boulanger!» reconnaît à son tour Martin Falardeau, de la Meunerie urbaine, dans Notre-Dame-de-Grâce à Montréal. Pour lui, la reconnaissance vient sur tout des clients en boutique. «Les gens nous disent comment ça a changé leur vie, une boulangerie. Un des plaisirs qu’on a, c’est de voir des enfants plus excités que dans un McDonald’s.» «Ça va être long avant qu’on ait ce statut [de vedette] là, si un jour on l’a, dit Julien Roy. Et moi, ça ne me dérange pas qu’on l’ait jamais!» affirme-t-il, en riant, dans son commerce de Rosemont–La Petite-Patrie, ouvert en 2016.  Pour le jeune boulanger – qui a déjà goûté à la reconnaissance internationale en ayant été nommé Meilleur apprenti au 4e Mondial du pain, tenu en France en 2013, alors qu’il travaillait à la boulangerie Le Pain dans les voiles avec Martin Falardeau –, l’explication est simple: c’est un métier de l’ombre (encore beaucoup de travail est fait la nuit et il n’y a pas de contact direct avec les clients) et le processus prend du temps. «Ce qui est important pour moi, c’est que la place fonctionne bien, que mes employés soient heureux, qu’on puisse engager toujours plus de monde parce que l’offre augmente chaque jour.»  Les contraintes inhérentes au métier rendent ainsi difficile la visibilité. «C’est moins flash que le métier de cuisinier», admet M. Roy. «On ne voit jamais un boulanger à la télé. Ça serait plate! Enfin, pas que ça serait plate, mais... Un steak, tu peux le cuire là. Un pain, il va falloir un processus de 24 heures avant [de voir le résultat], explique-t-il. Ce ne serait pas trop rentable pour la station de télé de faire une émission sur le pain.»  Quand Josée di Stasio a consacré un segment de son émission de télé à Automne, c’est justement le volet cuisine de l’endroit qui a été davantage développé à l’écran par Seth Gabrielese, l’autre partenaire aux commandes du commerce. « Ça serait illogique de leur part de [montrer] une recette de pain. On a trois ingrédients à mélanger.» (rires)  Mais malgré une certaine absence de visibilité, l’art de la boulangerie se porte bien et bénéficie d’une conjoncture favorable. «Il y a eu un éveil envers le vin, envers la nourriture, la restauration; il fallait un peu que le pain suive», avance Albert Elbilia, qui a commencé à observer le milieu de la boulangerie de près il y a environ sept ans, pour la rédaction de son livre Boulange et boustifaille publié en 2014. En 2015, les circonstances ont amené M. Elbilia à ouvrir sa boulangerie, Merci la vie, à Prévost, dans les Laurentides.  Dans le milieu, depuis aussi environ sept ans, Julien Roy remarque la même tendance. «Les gens sont de plus en plus curieux. On me parle de mes farines. Il y a sept ans, les gens ne savaient pas c’était quoi, de l’épeautre. Aujourd’hui, ils demandent d’où il vient. On aime ça, parce que c’est pour ça qu’on fait ce métier-là.» 
«L’évolution du métier est super positive, c’est une évolution incroyable, qui, selon moi, va perdurer vers la qualité.» –Martin Falardeau. 
Une confrérie  Avec cet engouement grandissant, est-ce que la compétition entre les boulangers et les boulangeries s’accroît? «Ce contre quoi on se bat, ce ne sont pas les autres boulangeries, dit M. Falardeau. C’est contre les habitudes d’achat des clients.» La majorité de la population s’approvisionne toujours à l’épicerie, reconnaissent les artisans.  «Plus il va y avoir de petites boulangeries qui essaient de bien faire les choses, plus on va en parler, soutient Julien Roy. Le monde me compare à Guillaume [de la boulangerie du même nom], à Marc-André Royal de la Bête à pain... Il n’y a pas de comparaison [à faire]. On fait tous du mieux qu’on peut.»  Depuis l’ouverture de Merci la vie, Albert Elbilia a été frappé par le sentiment de fraternité qui existe entre les boulangers. «Les gens s’entraident au lieu d’être méfiants, de protéger leurs secrets. C’est sûr que j’ai pas demandé à Martin Falardeau sa recette de levain, mais... La première fois qu’on est allés le rencontrer, on ne le connaissait pas du tout. Il s’est assis avec nous, il nous a donné des conseils.» Même expérience avec les gars d’Automne. «C’est spécial. Même si tu ne les connais pas, t’as quand même l’impression de faire partie d’une famille. C’est vraiment beau. L’être humain a vraiment besoin de collaborer. Ça m’impressionne à quel point c’est développé en restauration, en boulangerie, à Montréal», raconte celui qui était auparavant photographe et directeur artistique.  Martin Falardeau trouve naturel d’aider les nouveaux venus dans le milieu. «C’est parce que je suis le plus vieux [que j’ai aidé les autres]!» répond-il humblement. Mais pour le boulanger, qui est dans le domaine depuis 1994 et qui a eu plusieurs commerces avant d’ouvrir La Meunerie urbaine en 2017 (La femme et le boulanger, Le Pain dans les voiles), cet esprit existe depuis longtemps.  «Ça part des origines [des boulangeries artisanales] au Québec. Il n’y a jamais eu de compétition», pense Martin Falardeau. Il raconte ses débuts, où «on était une gang de tripeux», sans formation, mais avec une passion sans égale pour le produit. «Ça a fait en sorte que ça a donné de bons boulangers, parce qu’on avait le désir de faire mieux tout le temps. En fin de compte, pour faire du bon pain, on a tous les mêmes ingrédients. Il n’y a pas de recette miracle: c’est la rigueur et la volonté de faire un bon produit [qui comptent]. » 

Jochen Niemand, boulanger de l’année 

Le 2e gala des Lauriers de la gastronomie québécoise, qui honore les artisans de l’industrie culinaire d’ici, a, pour la première fois cette année, reconnu le travail des boulangers en leur remettant une récompense. C’est Jochen Niemand, de la boulangerie Niemand à Kamouraska, qui a obtenu le titre de Boulanger de l’année le 29 avril. Le travail d’Albert Elbilia (Merci la vie), de Martin Falardeau (La Meunerie urbaine), de Julien Roy et Seth Gabrielse (Automne) et de Jeffrey Finkelstein (Hof Kelsten), tous nommés dans la catégorie, a aussi été souligné par la même occasion.  

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Ce texte est paru dans un cahier de la série Manger le Québec, produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, en partenariat avec Caribou. Aussi dans le cahier «On déjeune»: 
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