Gardiens de semences - Caribou

Gardiens de semences

Publié le

13 mai 2019

Texte de

Hélène Raymond

On l’a surnommé «le jardinier de la dernière chance». Quelle belle façon de mettre en lumière cet homme discret, investi d’une mission qui l’a poussé à sauver des espèces végétales de l’oubli. Lors de nos rencontres, il s’animait en décrivant une tomate, héritée de quelqu’un qui l’avait dénichée dans une armoire de la Beauce et qu’il avait l’intention de remettre en culture, ou la «crotte d’ours de Louis-Marie», une pomme de terre qu’il était déterminé à sauver de l’extinction. Je me rappelle aussi ma surprise, devant les semences d’un concombre dont il ne pouvait décrire la saveur, puisqu’il était essentiel à ses yeux de le multiplier pendant plusieurs saisons, avant de le goûter. Sa démarche était botanique avant d’être gourmande.
On l’a surnommé «le jardinier de la dernière chance». Quelle belle façon de mettre en lumière cet homme discret, investi d’une mission qui l’a poussé à sauver des espèces végétales de l’oubli. Lors de nos rencontres, il s’animait en décrivant une tomate, héritée de quelqu’un qui l’avait dénichée dans une armoire de la Beauce et qu’il avait l’intention de remettre en culture, ou la «crotte d’ours de Louis-Marie», une pomme de terre qu’il était déterminé à sauver de l’extinction. Je me rappelle aussi ma surprise, devant les semences d’un concombre dont il ne pouvait décrire la saveur, puisqu’il était essentiel à ses yeux de le multiplier pendant plusieurs saisons, avant de le goûter. Sa démarche était botanique avant d’être gourmande.
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Dans son jardin, à Saint-Louis-de-Pintendre sur la rive sud de Québec, on allait d’un potager à l’autre avec l’impression que rien n’était vraiment ordonné alors que tout avait été planifié selon les règles des distances séparatrices qui s’imposent, quand on veut empêcher les croisements. Je me rappelle sa maison ancienne. Elle avait une allure de mystère, avec des bouquets de plantes séchées accrochés aux poutres, des sacs de papier, où patientaient des ombelles jusqu’à ce qu’il puisse en extraire les graines et une table chargée de toutes ces lettres de jardiniers passionnés qui découvraient, à leur tour, que les potagers servent aussi à faire pousser des histoires et à protéger la diversité légumière et florale.

Antoine Davignon s’est éteint en 2003. À 55 ans. Son entourage a réussi à transmettre tout ce qu’il avait accumulé et j’ose penser qu’il serait heureux de constater aujourd’hui que le mouvement québécois de préservation des semences n’est pas mort avec lui et qu’il s’est même défini une identité propre.

D’autres se sont résolument engagés pour la diversité: dès 1980, Yves Gagnon et Diane Mackay ont redessiné le paysage de leur terre de Saint-Didace. Puis, ils ont dispersé les semences des Jardins du Grand-Portage, comme autant de bonnes nouvelles. Ils ont démontré, de surcroît, toutes les possibilités de créer des oasis de verdure au nord de la vallée du Saint-Laurent. C’est à Yves Gagnon que l’on doit la survie de la tomate Savignac qu’on pourra acheter en plants dans quelques semaines dans ces petites jardineries qui partagent ces valeurs de protection. Patrice Fortier avec sa Société des Plantes, à Kamouraska, a combiné art et botanique dans un projet devenu plus grand que nature. Et je me souviens aussi de cette corvée d’ensachage à la Ferme Tournesol, à Sainte-Anne-de-Bellevue. Un travail d’une infinie patience.

Ces semenciers-artisans savent parler de nourriture et d’agriculture et il n’est pas rare qu’à leurs étals se pressent des jardiniers intéressés à la fois par la protection de la diversité et la cuisine. Curieux jusqu’à la fourchette.
Crédit photo: Arrivage

En 2018, Thibault Renouf et Félix-Étienne Trépanier de l’entreprise Arrivage ont élargi l’initiative en lançant l’opération Gardiens de semences. Déjà engagés à tisser des liens entre chefs, restaurateurs et agriculteurs, ils entendent continuer de créer des ponts. Voici ce qu’ils disent: «Un ambassadeur-chef, détaillant ou transformateur a sélectionné sa semence dans un catalogue créé avec neuf artisans semenciers locaux. La semence choisie est alors proposée à un maraîcher partenaire qui la cultivera cette saison spécialement pour son complice.»

Des exemples? Une variété d’ail sera multipliée à la Ferme D3 Pierre pour se retrouver chez Rachelle Béry; le rutabaga Fortin, dont la semence est issue du catalogue des Jardins de l’Écoumène, sera cultivé par les maraîchers des Saveurs Mitis et vendu à la Coop Alina, bien connue à Rimouski. Du Casino de Montréal aux restaurants des centres-villes de la métropole et de Québec, à Yamachiche et Sherbrooke, des chefs se prêteront au jeu. La tomate Mémé de Beauce, le salsifi, des maïs d’antan garniront leurs plats. Un épicier montréalais fera pousser des légumes du patrimoine sur ses toits. Ils sont plus de cinquante à participer cette année.

Chapeau à ceux et celles qui ont crié haut et fort depuis des décennies pour nous alerter face à cette perte de diversité florale, fruitière, légumière. Ils ont permis aux jardiniers amateurs de mettre la main à la pâte en rappelant que ceux qui ont jardiné avant nous faisaient plus que faire pousser des patates et des choux! Si le mot diversité n’était pas encore entré dans leur vocabulaire, le terme mondialisé ne l’était pas davantage. Imaginons, pour la suite, des complices dans toutes les régions: jardiniers de balcon et de potagers, maraîchers, chefs, distributeurs qui, ensemble, continueront de faire éclore au grand soleil notre patrimoine maraîcher. Pour le bien-être de la planète et la diversité de notre assiette.

Et vous, que sèmerez-vous au temps chaud?

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