Levons nos verres aux bulles québécoises - Caribou

Levons nos verres aux bulles québécoises

Publié le

19 décembre 2019

Bulles québécoises
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Exit champagne, crémant ou cava; place aux vins mousseux de chez nous! Des bulles conçues suivant la méthode traditionnelle développée en Champagne et qui n’ont rien à envier aux produits européens. Leur qualité est telle que l’on voit désormais les vins effervescents comme la véritable signature québécoise, détrônant le vin de glace. 

Texte d'Ugo Giguère

De l’avis de la chroniqueuse vin Nadia Fournier, autrice de l’annuel Guide du vin Phaneuf, de tous les produits de la vigne d’ici, c’est le vin mousseux qui présente de loin la plus grande homogénéité en matière de qualité, qu’elle qualifie de «généralement très élevée». «Je constate que ces vins-là n’ont rien à envier aux autres régions du monde. Ils ne sont pas plus chers et ils sont produits ici. Ce n’est pas un prix de consolation d’acheter des mousseux québécois», assure celle qui a repris le flambeau du réputé guide en 2011. Elle se réjouit du fait que les vignerons n’essaient pas de travestir le raisin pour imiter le champagne. Nos artisans embrassent leur identité. 

«Le caractère distinctif des vins mousseux québécois, c’est qu’il n’y a personne dans le monde qui fait des assemblages de frontenac blanc, frontenac gris, acadie blanc et saint-pépin [comme l’assemblage de L’Intégrale du Domaine Bergeville]», témoigne Mme Fournier, qui voit dans le vin mousseux le véritable produit de spécialité québécois. 

«Ce n’est pas un prix de consolation d’acheter des mousseux québécois.»

Nadia Fournier

Ce choix de cépages n’est pas fortuit. Certains hybrides créés pour affronter les rigueurs du climat nord-américain présentent un réel avantage dans la transformation en vin mousseux: un taux d’acidité record! «C’est surtout le frontenac qui a un taux d’acidité dans le tapis», confirme Nadia Fournier. 

Jean-Paul Scieur, cofondateur du vignoble Le Cep d’Argent, à Magog, et pionnier du vin mousseux dans la Belle Province, explique que l’acidité favorise l’émulsion. Pour en faire l’expérience, suggère-t-il, croquez dans une fraise et gardez le jus acide en bouche, puis prenez une gorgée de vin mousseux. «Vous créez une explosion de bulles», jure le viticulteur français, dont la famille exploite toujours des vignes en Champagne. 

Des scientifiques convaincus 

Quand Ève Rainville et Marc Théberge sont rentrés au Québec et ont entrepris d’y lancer un projet de vignoble après avoir travaillé à l’étranger, les deux scientifiques de formation ont fait leurs devoirs. En étudiant le marché, le climat, le sol, le fruit, ils ont compris que tout avantageait la production de vins mousseux. 

Le climat frais et nordique favorise des taux d’acidité plus élevés et un taux de sucre plus faible, souligne la copropriétaire du Domaine Bergeville, à Hatley. «C’est ce dont on a besoin pour faire du vin mousseux», conclut-elle. 

Il semble bien que la décision du couple ait été la bonne puisque leur vignoble, qui ne produit que des bulles, est pratiquement devenu une référence en la matière. Ce choix comportait tout de même son lot de risques, dont le principal était financier. 

«C’est une folie financièrement parlant. De manière générale, les vins mousseux sont vendus environ deux fois plus cher pour une bonne raison.»

Ève Rainville, faisant référence aux équipements spécialisés nécessaires, aux bouteilles plus robustes et aux délais beaucoup plus longs avant d’engendrer des revenus. 

Comme le cahier des charges à respecter nécessite au moins deux ans avant qu’un vin mousseux ne soit prêt à être commercialisé, les producteurs doivent sacrifier beaucoup d’espace et de temps dans l’espoir d’encaisser des revenus, et ce, plus tard que s’ils fabriquaient un vin tranquille. 

La progression du Domaine Bergeville a malgré tout été fulgurante, la production passant de 2500 bouteilles en 2014 à 45 000 bouteilles en 2019. 

Les importateurs de savoir-faire 

Les frères François et Jean-Paul Scieur, eux, ont quitté la Champagne pour Magog afin de produire, en 1989, le premier vin mousseux québécois respectant la méthode traditionnelle (l’expression méthode champenoise est réservée à la région de Champagne), au vignoble Le Cep d’Argent. 

Avant même de faire le saut, les deux vignerons de sixième génération savaient qu’il n’y avait qu’une différence de 20 jours sans gel entre la Champagne (180 jours) et le sud du Québec (160 jours). Et ils savaient aussi que lors d’une infestation du Phylloxéra en France, un parasite des vignes, les Champenois s’étaient tournés vers le seyval. Un cépage qui mû- rit en 150 jours et qui est donc idéal pour le Québec. 

Les Scieur ont ainsi troqué les meunier et chardonnay pour du seyval blanc. «Le seyval dégage des notes minérales avec un peu d’agrumes», explique Jean-Paul Scieur, qui cherche à obtenir le goût de pain brioché propre au champagne en prolongeant la période de contact avec les levures. 

La fameuse méthode traditionnelle, dite «champenoise», consiste d’abord à produire un vin tranquille, qui effectue sa première fermentation en cuve durant une période minimale d’une année. 

Par la suite, on embouteille le vin en y ajoutant du sucre et des levures et on laisse la deuxième fermentation s’effectuer dans la bouteille durant un minimum de 15 mois. Plus la période de contact avec les levures est longue, plus le produit sera fin dans ses saveurs et la texture de ses bulles. 

Marc Théberge du Domaine Bergeville dégorge les bouteilles. | Photo d'Emmanuelle Roberge

Jean-Paul Scieur révèle qu’avec précisément 24 grammes de sucre, il obtient six kilos de pression en six semaines, «comme en Champagne». Les levures digèrent quatre grammes de sucre par semaine, produisant chaque fois un kilo de pression de gaz carbonique. 

Quand le vigneron estime que ses mousseux sont prêts, il ne lui reste plus qu’à dégorger les bouteilles, c’est- à-dire à retirer la lie, puis à remettre le bouchon pour vous permettre de faire «pop!» avec vos êtres chers. 

Sept suggestions de nos trois connaisseurs: 

Nadia Fournier

1. Domaine Bergeville – L’Exception. C’est l’accord parfait avec la cuisine traditionnelle des Fêtes. Il a une bonne acidité pour équilibrer celle de la canneberge, un fruit gourmand pour accompagner la tourtière et des bulles! 34$ 

2. Domaine St-Jacques – Brut 2016. Assemblage de chardonnay (85 %), de vidal et de seyval. Un vin frais et plein de vitalité, qui porte la signature aromatique du chardonnay, avec des notes de poire et de camomille qui se mêlent au citron et à la brioche, peut-on lire dans le Guide du vin Phaneuf 2019. 28,95$ 

3. Vignoble 1292 – St. Croix. Un mousseux rosé 100% sainte-croix, très sec. Les goûts de fraise et de cerise acidulée sont soulignés par une amertume très agréable en fin de bouche. 30$ 

Ève Rainville 

4. Domaine Bergeville – Plus petit que. Ce vin effervescent non dégorgé était d’abord destiné à être conservé comme vin de réserve afin de servir à de futurs assemblages, mais en le goûtant, les vignerons ont eu un plaisir fou et ont décidé de le partager. Quand on a quelque chose à célébrer au domaine, c’est un Plus petit que l’on débouche pour faire décoller
la fête. 80$ (1,5 l) 

5. Domaine Le Grand Saint-Charles – Farniente. Un pétillant naturel de frontenac noir et gris. Pas prétentieux du tout, très sur le fruit, dit Ève avec un enthousiasme qui trahit un souvenir bien agréable. 23$ 

Jean-Paul Scieur 

6. Le Cep d’Argent – Sélection Blanc de Blancs. Un très bon produit élaboré selon la pure méthode traditionnelle champenoise et qui passe 24 mois avec les levures. Il a remporté de nombreux prix au cours des 20 dernières années. Il se boit seul à l’apéro ou avec des fraises, parce que l’effervescence en bouche est très amusante. Sinon, il s’accompagne bien d’un produit du terroir de la région, le foie gras Ducs de Montrichard. 27$ 

7. Vignoble Chemin de la rivière – Cuvée du Champenois. Une perle intéressante de chez notre voisin, un Champenois lui aussi, qui travaille selon la méthode traditionnelle. 32$ 

***

Ce texte est paru dans un cahier de la série Manger le Québec, produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, en partenariat avec Caribou.

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