Le rôle crucial des travailleurs étrangers - Caribou

Le rôle crucial des travailleurs étrangers

Publié le

25 mars 2020

travailleurs agricoles saisonnier
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En raison de la crise actuelle liée au coronavirus, des milliers de travailleurs étrangers temporaires pourraient ne pas pouvoir venir au Québec pour travailler sur les fermes, ce qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur notre alimentation. Le monde agricole ainsi que plusieurs ministères préparent donc une grande campagne de recrutement afin d'appeler les Québécois en renfort. Dans son numéro TABOUS, Caribou publiait un texte sur l'apport des travailleurs étrangers, qui permet encore aujourd'hui de comprendre leur rôle crucial dans nos champs.

Texte de Véronique Leduc
Photos de Fabrice Gaëtan

Ils sont des milliers, penchés sur des plants, juchés sur des tracteurs, cachés sous des pommiers, à prendre soin des aliments qui se retrouveront dans nos assiettes. Ce sont les travailleurs agricoles étrangers, sans qui les étals du Québec seraient bien différents. 

«Soyons francs: les aliments locaux sont présents dans nos marchés grâce aux travailleurs étrangers», affirme Denis Hamel, directeur de FERME (Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère), une organisation qui fait le lien entre les travailleurs venus d’ailleurs et les employeurs agricoles québécois, pour illustrer l’ampleur du phénomène. [ndlr: À noter que Denis Hamel n'est plus directeur de FERME en 2020.

Cette année, ce sont près de 10000 travailleurs, du Mexique et du Guatemala surtout, qui ont quitté leur pays pour venir s’occuper de nos champs. Et le phénomène est en progression constante. Les responsables de FERME notent chaque année, depuis les débuts de la fondation en 1988, une augmentation de la demande venant des producteurs québécois. À ses débuts, FERME faisait venir 200 travailleurs, comparativement à 9000 en 2015 [ndlr: on parle de 16 000 qui étaient attendus en 2020], pour la plupart des hommes, qui viennent fouler le sol fertile du Québec. 

FERME compte 750 membres employeurs qui pourraient se charger eux-mêmes des démarches administratives, mais qui, parce que c’est un processus très complexe, choisissent de faire affaire avec l’organisation. Cette dernière s’occupe aussi de noliser des avions, d’accueillir les travailleurs à l’aéroport, de leur fournir de la documentation sur leur consulat et sur les normes du travail qui prévalent ici, et est leur ressource sur place s’ils ont besoin d’aide. Ce n’est pas la seule organisation du genre, mais c’est la plus importante, puisqu’elle s’occupe de la venue d’environ 90% des travailleurs agricoles étrangers du Québec, répartis majoritairement en Montérégie, dans les Basses-Laurentides, dans Lanaudière et sur l’île d’Orléans. 

Des champs désertés

Ce sont des programmes fédéraux, dont le premier a été créé il y a 40 ans, qui permettent de faire venir au pays de la main-d’œuvre étrangère. «Ce n’est pas un phénomène nouveau, ni propre au Québec, explique Denis Hamel dans son bureau du Marché central, à Montréal. C’est un phénomène de pays industrialisés, où l’agriculture est boudée par la population locale, qui est plus instruite qu’avant, qui cherche des emplois mieux rémunérés et des conditions plus faciles que de travailler au gros soleil du matin au soir.» 

Pourtant, il y a 50 ans à peine, les travailleurs étrangers n’étaient pas une partie intégrante du fonctionnement des fermes québécoises. Ces dernières étaient plus petites qu’elles le sont aujourd’hui, et les familles suffisaient à les exploiter. Mais depuis que les fermes québécoises sont à la fois moins nombreuses et plus grosses, elles ont besoin de 40, 50, voire 250 travailleurs. La famille et les voisins ne suffisent plus. 

«C’est paradoxal, mais le travailleur étranger est désormais le lien direct entre le consommateur et le produit local.»

Denis Hamel

Un Eldorado?

Le séjour moyen de ces travailleurs étrangers au Québec est de 23 semaines. La plupart œuvrent au même endroit pendant tout le contrat. Ils aident à faire les plantations au printemps et restent jusqu’à la récolte de la fin de l’été. C’est ce qui se passe à la Ferme familiale Quinn, sur l’île Perrot, à 40 minutes de Montréal, où quatre Guatémaltèques travaillent de mai à novembre. «Ensemble, ils accomplissent ce que faisaient autrefois plus d’une trentaine de jeunes du coin qui ne voulaient travailler que quelques heures par jour ou qui partaient en vacances en pleine saison des fraises. C’était très compliqué! Depuis quatre ans, engager des travailleurs étrangers nous épargne énormément de tracas en termes de gestion des ressources humaines», explique Stéphanie Quinn, copropriétaire, avec son mari, de cette ferme maraîchère. Par la force des choses, le couple arrive désormais à communiquer en espagnol avec ses employés. 

Sur place, les travailleurs ont peu de dépenses. Selon l’entente, ils sont logés ou doivent payer environ 30$ par semaine pour l’être. Parfois, ils doivent rembourser à leur employeur le coût du billet d’avion. Mais au bout du compte, leur séjour dans la Belle Province est rentable pour eux et pourra changer la vie qu’ils mènent dans leur pays. 

José travaille depuis quatre ans à la Ferme Quinn et a réussi, grâce à son emploi au Québec, à envoyer sa fille à l’école secondaire, une première dans la famille. Il rêve aussi d’ouvrir une boutique où vendre ses récoltes, d’avoir un terrain à lui et de construire une maison pour sa famille, dit-il, les yeux brillants, pendant sa pause. 

«Il faut comprendre que les travailleurs viennent de régions extrêmement pauvres où ils ont des salaires misérables et que venir ici est l’équivalent, pour eux, d’aller à la Baie James ou à Dubaï pour certains Québécois qui s’exilent afin de remplir un contrat payant», explique Denis Hamel. Au Québec, en environ cinq mois où ils travaillent 60 heures par semaine, ces ouvriers agricoles, payés au salaire minimum, gagnent de 10 à 20 fois plus que ce qu’ils gagneraient chez eux durant la même période.» 

SALAIRE AGRICOLE MOYEN  
➤ AU GUATEMALA : 4 $/JOUR 
➤ AU MEXIQUE : 12 $/JOUR
➤ AU QUÉBEC : 125 $/JOUR

La venue de travailleurs étrangers est tellement importante pour le Québec qu'un cours d'espagnol est maintenant offert dans les programmes de formation agricole.

Interdépendance 

Sans ces travailleurs étrangers, nous serions dépendants des fruits et légumes importés. «Parce que les petits fruits se cueillent à la main, pour nous, la présence des travailleurs est cruciale», affirme Yourianne Plante, directrice générale de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec. [ndlr: À noter que Yourianne Plante n'est plus aujourd'hui directrice de l'association.]

Selon elle, la plupart des employeurs ont compris l’importance de ces ouvriers. Surtout que dans la production de petits fruits, on est passé de 1000 travailleurs étrangers il y a cinq ans à 2000 aujourd’hui. «En ce qui concerne les conditions de vie et de travail, je sens que tout le monde a réalisé que c’est à l’avantage du secteur tout entier de s’ajuster.» 

La directrice de l’association ne dit pas pour autant que les séjours sont faciles. «C’est du dur labeur! Mais en parlant aux travailleurs, j’ai compris qu’ils sont là pour faire de l’argent. Pour eux, ce n’est pas un voyage: ils sont concentrés sur les tâches à accomplir, et plus ils font d’heures, plus ils sont heureux.» 

Après quatre étés et de nombreuses heures passées dans les champs du Québec, José, agriculteur chez lui, a apporté beaucoup de ses connaissances à la Ferme Quinn. Il est aussi retourné dans son village avec de nouveaux savoirs et des semences inconnues là-bas, comme celles de la tomate cerise et du maïs sucré. Avec l’argent recueilli, il s’est même acheté une tronçonneuse. «Il est le seul homme du village à en avoir une! Imagine la fierté!» raconte Stéphanie, qui se promet d’aller bientôt, avec son mari et ses enfants, visiter José au Guatemala, pour rencontrer sa famille et mieux comprendre sa réalité. 

Selon Denis Hamel, tout le monde trouve son compte dans cet arrangement, les ouvriers agricoles étrangers comme les producteurs. «Les travailleurs rendent ici un service énorme, font de l’argent, apprennent des choses et réinvestissent dans leur pays l’argent qu’ils ont gagné et le savoir qu’ils ont accumulé ici. Comme programme d’aide internationale, on ne peut imaginer mieux!» 


L’influence des travailleurs 

Les travailleurs agricoles étrangers offrent aux Québécois la possibilité de manger local, mais ont aussi un effet plus large sur leur société d’accueil. Nouveaux produits mexicains dans les épiceries, cantines aux saveurs de l’Amérique centrale ou commerces de transfert d’argent: au fil des ans, une offre s’est créée en région pour les travailleurs qui modifient ainsi, à leur façon, le paysage québécois. 

De toutes les initiatives mises sur pied pour les travailleurs étrangers, c’est certainement le Festival mexicain de Saint-Rémi, organisé par cette municipalité, qui est le plus couru. Depuis huit ans, au mois d’août, des spectacles, des activités et une vingtaine de chapiteaux sous lesquels on sert des plats d’origine latino-américaine attirent en Montérégie des centaines de travailleurs de la région et d’au-delà. 

➤ À lire à ce sujet dans notre numéro 10 D’ICI ET D’AILLEURS, le reportage Saint-Rémi, la ville la plus latino de la Montérégie 

Ce texte est paru dans le numéro TABOUS à l'automne 2015.

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