Ferme Quinn: retour sur un printemps pas comme les autres - Caribou

Ferme Quinn: retour sur un printemps pas comme les autres

Publié le

05 juin 2020

Agricultrice dans le champ de maïs
publicité

Depuis le début de la crise, plusieurs agriculteurs ont vu leur saison mise en péril, entre autres à cause du manque de main-d’œuvre étrangère qui pourrait venir travailler au Québec. Stéphanie Quinn de la Ferme Quinn, à Notre-Dame-de-l’Ile-Perrot, près de Montréal, nous parle de son printemps pas comme les autres en 10 constats.

Un texte de Véronique Leduc

1. Un printemps sous le signe de l’incertitude
Depuis la mi-mars, la situation évolue rapidement et tout le monde vit dans l’incertitude. C’est la même chose pour les agriculteurs. «Entre autres situations, nous avons pensé pendant longtemps que l’autocueillette des fraises ne serait pas possible. Il aurait alors fallu engager une centaine de cueilleurs pour ne pas perdre nos fruits. Mais finalement, on a annoncé que l’autocueillette sera possible en respectant les mesures d’hygiène et de distanciation», explique Stéphanie Quinn qui doit donc finalement très rapidement organiser sa saison d’autocueillette en mettant en place des mesures de sécurité spéciales liées à la crise.

2. Des travailleurs étrangers retardés
Habituellement, la Ferme Quinn accueille six travailleurs étrangers dès le début du mois de mars et qui restent jusqu’à l’automne. Cette année, la ferme de Notre-Dame-de-l’Ile-Perrot a reçu cinq travailleurs venus du Guatemala qui sont arrivés à la mi-mai et qui viennent juste de terminer leur quarantaine. Au final, on parle donc de trois mois de retard. «Ceux qui avaient déjà un permis de travail en main à la mi-mars quand la crise a débuté ont pu entrer au pays, mais les autres sont retardés parce que tout est fermé ou au ralenti dans les bureaux gouvernementaux», explique Stéphanie.

3. Un grand soulagement
Avec ses cinq travailleurs guatémaltèques plutôt que les six attendus, la Ferme Quinn fait partie des privilégiées parce que ce n’est pas toutes les entreprises agricoles qui peuvent avoir accès à la presque totalité de leurs travailleurs. De plus, sur les cinq travailleurs arrivés, trois ont déjà travaillé à la Ferme Quinn dans les dernières années et pourront donc former les nouveaux. Une immense richesse pour un agriculteur. Ainsi, même avec un travailleur en moins, Stéphanie estime que les choses devraient bien rouler.

4. Des travailleurs étrangers indispensables
Pour Stéphanie, comme pour de nombreux agriculteurs, la présence des travailleurs étrangers est indispensable. «Quand le gouvernement a lancé l’appel aux Québécois à aller travailler dans les champs, des centaines de personnes nous ont écrit pour nous offrir quelques heures ou une journée par semaine par exemple. C’est vraiment gentil mais comparativement à des travailleurs étrangers qui sont là à temps plein, ça fait énormément d’horaires à gérer et de gens à former!» Une mission qui paraissait alors impossible à Stéphanie qui devait déjà lire des documents pour assurer la sécurité des travailleurs étrangers qui allaient arriver éminemment, travailler dans les champs pour palier au manque de main-d’œuvre et gérer l’ouverture d’une nouvelle boutique en ligne.

De plus, la propriétaire de la Ferme Quinn ne met pas en doute la volonté et la capacité des Québécois qui souhaitent s’impliquer mais s’ils n’ont pas d’expérience, il faut les former et puis pour l’avoir comparé, les travailleurs étrangers, même contre des Québécois habitués, travaillent selon Stéphanie Quinn, beaucoup plus rapidement. «Avant, on engageait 35 cueilleurs pour nos récoltes mais quand on s’est mis à embaucher des travailleurs du Guatemala, ils ont pu être remplacés par deux travailleurs seulement! Au Guatemala, 50% des gens sont en agriculture. Les travailleurs, recrutés spécifiquement pour leur expérience, arrivent donc ici avec des techniques et des connaissances. Ils voient par exemple quand les plants sont malades, peuvent réparer des équipements et même nous conseiller! Leur capacité va bien au-delà de l’action de cueillir les fraises!»

«Les travailleurs guatémaltèques n’ont pas peur des grosses journées et sont habitués à la chaleur alors que les étudiants québécois qu’on engageait avant voulaient travailler l’avant-midi seulement et pour deux ou trois jours par semaine. Au final, on se ramassait avec des gens qui faisaient 15 heures par semaine au lieu de 60. Ça ajoute vraiment beaucoup de gestion d’horaires!»

Pour toutes ces raisons, pour les agriculteurs d’ici, les travailleurs d’ailleurs sont tellement indispensables que Stéphanie connaît un agriculteur qui a lui-même nolisé un avion pour faire venir une centaine de travailleurs sur sa ferme. 

5. Un programme irréaliste
«Le gouvernement a lancé un appel à aller travailler dans les champs, mais je ne sais pas à quel point les agriculteurs ont été consultés. Ici, nous n’avions pas les détails de ce programme et je crois que c’est ce qui en a rebuté plusieurs», explique Stéphanie. Cette dernière avoue que dans les derniers mois, alors qu’elle devait passer sans attendre ses journées dans les champs, elle n’avait aucunement le temps de se plonger dans la paperasse liée à l’embauche des Québécois. «Ce sont des programmes frustrants et difficiles à gérer», explique t-elle. Et c’est sans parler du malaise qu’avait Stéphanie d’embaucher via cette campagne du gouvernement des travailleurs sans expérience qui feraient plus d’argent que la soixantaine d’employés saisonniers québécois qui sont à la Ferme Quinn depuis plusieurs années au service à la clientèle ou à la gestion de l’entreprise par exemple.

6. Des propriétaires et des employés au champ 
«Ma gérante et moi on a beaucoup travaillé dans les champs ce printemps, ce qu’on ne fait pas d’habitude alors qu’on s’occupe davantage de la gestion», explique Stéphanie. Mais cette année, pas le choix : Stéphanie, Gabrielle et les enfants de 8 et 10 ans de Stéphanie ont mis la main à la pâte. Plusieurs des étudiants employés saisonniers de la ferme ont aussi offert leur aide.

Crédit: Ferme Quinn

7. Des choix à faire
Devant l’incertitude et le manque de main-d’œuvre, la plupart des agriculteurs ont dû prendre des décisions et faire des choix, parfois déchirants. «Cette année, il faut accepter qu’on ne peut pas tout faire! dit Stéphanie. Chez nous, nous avions prévu augmenter nos surfaces de culture mais nous avons remis le projet à plus tard.» La plupart des fermes avec qui l’agricultrice est en contact sont d’ailleurs encore en train de s’ajuster en choisissant des légumes plus faciles à récolter à la machine par exemple ou en coupant le nombre d’acres de culture.

8. Une crise qui pourrait avoir du positif
«Je crois qu’il est très bien que certains québécois fassent cet été un travail agricole afin de comprendre que c’est un métier qui n’est pas facile et que notre système alimentaire est fragile», affirme Stéphanie qui remarque un intérêt grandissant de la part des Québécois pour le travail des agriculteurs. D’ailleurs, selon elle, le fait que plusieurs personnes se soient pour la première fois mises à faire du jardinage à la maison pourra montrer concrètement à plusieurs tout le travail qu’il y a derrière un aliment: «c’est un processus agréable, mais long!» estime l’agricultrice.  

9. Des agriculteurs qui s’adaptent
Comme la ferme de Notre-Dame-de-l’Ile-Perrot a aussi une boutique proposant des produits alimentaires, ils ont pu ouvrir le magasin six jours par semaine dès la mi-mars. Mais l’entreprise a fait entrer plusieurs nouveaux aliments afin d’offrir la possibilité de venir chercher une épicerie plus complète. Rapidement, la Ferme Quinn a aussi lancé une épicerie en ligne qui a permis de rattraper les manques de revenus occasionnés par l’annulation des activités printanières comme la chasse aux cocos ou des journées liées au temps des sucres par exemple qui sont habituellement offertes sur la ferme. La boutique en ligne restera d’ailleurs probablement ouverte même après la pandémie.

10. Un travail valorisant 
Même si c’est un métier difficile et exigeant, Stéphanie adore son travail et a particulièrement apprécié le fait de retourner dans les champs. «Habituellement, je suis beaucoup dans la paperasse mais cette année, j’étais toute excitée d’aller planter des plants de fraises et je le suis maintenant à les regarder évoluer. Rares sont les emplois où on suit à ce point un processus du début à la fin, et ça créé un réel sentiment d’accomplissement!» raconte Stéphanie qui voit d’un bon œil la saison à venir. 

Le numéro FEMMES, en vente dès maintenant!
publicité

Plus de contenu pour vous nourrir