Journal d'un vigneron: un stress parmi tant d’autres - Caribou

Journal d’un vigneron: un stress parmi tant d’autres

Publié le

26 juin 2020

Texte de

Sébastien Daoust

Je me rappelle du bon vieux temps où ma vie se limitait à faire un chiffrier Excel, à mesurer des plans d’affaires, des alternatives, puis à mettre tout ça dans un beau PowerPoint. On présentait au client. Il aimait ou n’aimait pas. Et on passait à un autre chiffrier Excel.
Je me rappelle du bon vieux temps où ma vie se limitait à faire un chiffrier Excel, à mesurer des plans d’affaires, des alternatives, puis à mettre tout ça dans un beau PowerPoint. On présentait au client. Il aimait ou n’aimait pas. Et on passait à un autre chiffrier Excel.
publicité

15 juin 2020. Pas moins de 10 000 PowerPoint en 15 ans. Pas tous les miens, et certains étaient des versions revues et corrigées par tel niveau de direction, par tel expert dans le domaine. Mais tout de même 10 000 PowerPoint.

Une vie à raffiner l’art de présenter un plan d’affaires. Personne ne se rappelle de ces PowerPoint. 

Et là, aujourd’hui, le 15 juin, j’ai de la levure, une cuve de 100 L, pour laquelle je dois mesurer exactement 71,24 L de vin, pour créer un sirop. Le but ultime, si tout va bien, ce sera d’embouteiller un mousseux ce samedi, avec quelques amis. Mais il faut être précis. Plus précis que dans un PowerPoint. 

Et ça m’énerve. 

Parce que ce mousseux-là, je vais réellement voir ce qu’il donne dans deux ans seulement. On va le mettre en bouteille pendant sa deuxième fermentation, puis on le laisse se reposer, se raffiner, pendant deux ans. Jusqu'à l’été 2022.

«À l’été 2022, je goûterai le résultat de ce vin, provenant de raisins cueillis en 2019. De raisins dont les premiers rudiments, les premières protections, sont survenus après les vendanges en 2018. Quatre ans à travailler sur quelque chose qui, on l’espère donnera un bon résultat.»  

Mais ça m’énerve aussi parce que je dois mesurer des quantités exactes. Et je n’ai que peu d’outils pratico-pratiques pour le faire. Peu d’expérience aussi. Une collègue, Ève Rainville, du Domaine Bergeville, me disait: «Nous apprécions tellement faire des bulles!» Je pense qu’ils aiment justement ce genre de précision scientifique, cet aspect technique qui leur va si bien! J’imagine leur chai, rempli de ces outils perfectionnés qui me faciliteraient la vie. Sans tout ça, je trouve l’exercice stressant. Il y a une question de pression, de mesure de densité exacte. L’année dernière, une bouteille a explosé. Cette année, qui sait. D’autres bouteilles vont-elles exploser? Les bouchons vont-ils s’ouvrir d’eux-mêmes? Vais-je perdre les quelque 1200 L de mousseux parce que la pression sera trop forte? Ou au contraire, trop faible?

Et mes amis, ce samedi? Ils sont prêts! Ils ont même hâte. Si la deuxième fermentation ne part pas comme prévu, seront-ils au vignoble pour rien, samedi? Seront-ils déçus?

Mais il faut essayer pour le savoir. C’est vrai pour toutes choses au vignoble. J’étais réticent à faire mes premiers vins. Je me considère, encore aujourd’hui, un imposteur dans ce grand monde des vins au Québec. J’ai les meilleures personnes autour de moi pour m’aider, me guider. Mais je ne me sens pas au même niveau que tous mes collègues. 

Je n’entrevois pas le jour où je me considérerai réellement comme un vigneron. Mais je préfère quand même être un imposteur dans le monde du vin, qu’une sommité en PowerPoint!

71,24 L de vin. Et 52,4 g de sucre... 

Sérieux?

publicité

Journal d'un vigneron

Tous les articles

Plus de contenu pour vous nourrir