Le gourmand solidaire - Caribou

Le gourmand solidaire

Publié le

27 juin 2020

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À la fin du confinement, la première chose que fera le fondateur de La Tablée des chefs est d’inviter toute sa famille à souper. En attendant, Jean-François Archambault nourrit chaque jour, par l’entremise de son projet Les Cuisines solidaires, né de la pandémie, des milliers de personnes en situation précaire. 

Texte de Roxane Léouzon

C’est avec sa fille de huit mois sur les genoux que le père de quatre filles et d’un garçon raconte les dernières semaines, qu’il a vécues sur l’accélérateur. En un temps record, il a rallié des centaines d’organismes et d’entreprises à sa cause. Jusqu’à présent, ce sont 1,5 million de portions qui ont été cuisinées et distribuées aux banques alimentaires d’un bout à l’autre du Québec. «La mobilisation est incroyable. On est vraiment privilégiés et on a servi de catalyseur pour faire travailler tout ce monde-là ensemble», résume Jean-François Archambault par vidéoconférence depuis sa maison de Candiac, en Montérégie. 

La Tablée des chefs pilote depuis 15 ans un programme de récupération de surplus alimentaires. «J’ai travaillé pendant 10 ans dans l’hôtellerie et je voyais que la nourriture gaspillée pouvait être récupérée. J’ai aussi compris que l’éducation culinaire et alimentaire était un enjeu auquel les chefs et les cuisiniers pouvaient répondre», explique l’entrepreneur social de 44 ans. 

Plusieurs années ont été nécessaires avant que la Tablée prenne de l’envergure. Jean-François a dû lutter contre ce qu’il qualifie de «légendes urbaines», notamment la peur de l’empoisonnement alimentaire lié à cette récupération, qui n’était pas une priorité dans cette industrie. 

Sa persévérance a porté des fruits. Aujourd’hui, l’organisme collabore avec 170 restaurants pour redistribuer des aliments à 150 organismes communautaires. Il offre aussi des programmes d’éducation culinaire dans les écoles et les centres jeunesse. 

Quand les salles à manger ont fermé en raison de la pandémie, à la mi-mars, il devenait évident que l’organisme devait trouver d’autres façons de fournir des services à ceux dont la précarité ne faisait qu’augmenter. 

«Beaucoup de chefs m’écrivaient pour me demander s’ils pouvaient aider la Tablée. J’ai compris que les travailleurs de la restauration n’avaient pas envie d’être à la maison et qu’ils voulaient cuisiner», se rappelle celui qui a étudié en gestion hôtelière à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec. Pourquoi alors ne pas payer les restaurateurs pour préparer, à même leur propre cuisine, des repas qui seraient ensuite envoyés aux banques alimentaires de la province? L’idée des Cuisines solidaires était née. 

Des partenaires solidaires 

Pour mener ce projet à bien, il fallait obtenir de la matière première. L’énergique entrepreneur n’a eu aucun mal à convaincre les fédérations agricoles de fournir gratuitement fruits, légumes, volaille, porc, œufs et autres denrées. 

«La directrice de la Fédération des producteurs de pommes de terre du Québec m’a demandé de combien de patates j’avais besoin. Ce n’était pas 100 kg! Le premier don qu’ils ont fait, c’est 20 000 kg de patates et là, au total, on est rendus à 120 000 kg de patates», souligne avec enthousiasme cet amateur de pâté chinois. 

Le projet a aussi obtenu 400 000$ en aide d’urgence du gouvernement provincial et des dons privés totalisant plus de 700 000$. Ces contributions permettent maintenant d’acheminer l’ensemble des ingrédients nécessaires aux restaurateurs et de les rémunérer 1$ par plat. Une soixantaine d’établissements de toutes tailles à travers la province participent, de la cuisine du Casino du Lac-Leamy à Gatineau jusqu’au restaurant gastronomique Impasto, dans la Petite-Italie à Montréal. C’est ainsi que déjà 1.5 million de portions de braisé de porc aux légumes, de frittata et d’autres plats ont déjà envoyées aux banques alimentaires. 

Un écosystème qui est là pour de bon

Les choses ne retourneront jamais à «la normale» à La Tablée des chefs. Non seulement les Cuisines solidaires sont là pour de bon, mais elles ont permis de mettre en place une infrastructure utile à deux autres projets que Jean-François mijotait. 

«On planche sur l’idée de créer une cuisine centrale, de la dimension de celle du Centre Bell, avec de gros espaces de production et de réfrigération, avec un quai de déchargement pour camions. On veut être capables de récupérer et de transformer de grandes quantités d’aliments pour venir en aide à des secteurs particuliers qui en ont besoin», explique le natif du quartier Ahuntsic à Montréal. 

Il y a aussi son projet de Refettorio, un restaurant pour personnes en situation d’itinérance prévu dans l’église Saint-Georges, au centre-ville de Montréal. Ce dernier est toujours en développement, malgré la crise sanitaire qui bouleverse son avenir.


Pour aider La Tablée des chefs, vous pouvez:

Photo de Fabrice Gaëtan

Chaque semaine, Caribou fait découvrir dans les pages du quotidien Le Devoir, un homme ou une femme, qui, à sa façon, nourrit le Québec .

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