Vézina au carré - Caribou

Vézina au carré

Publié le

19 juin 2020

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Le rendez-vous, casé de justesse dans l’agenda plus que chargé de Daniel Vézina par sa gérante et amoureuse, Suzanne, a lieu au chalet familial. Perché sur la berge d’un lac près de Québec, le bâtiment s’ouvre comme une grande fenêtre sur la nature. Sur l’îlot de la cuisine trône une immense côte de bœuf. Dans l’âtre, les braises rougeoient. «Bientôt prêtes?» C’est Vézina père qui questionne son fils Raphaël. L’impression est fugace, mais on sent que père et fils sont ici sur un pied d’égalité. Tout au long de l’entrevue, l’héritier gérera dans la bonne humeur la cuisson sur le feu, un des dadas du duo. 

Texte d’Émélie Bernier
Photo de Nicolas Gouin

«Inconsciemment ou consciemment, j’espérais que Raphaël suive mes traces, à sa manière», lance Daniel Vézina. «La cuisine n’était pas un lieu interdit pour les enfants chez nous, au contraire. La première chose que je lui ai appris à faire, c’est les crêpes! Mon fils est hyper gourmand, encore plus que moi. Ses papilles ont besoin de jouissance!» Les deux hommes s’esclaffent. 

Raphaël n’a pas su d’emblée qu’il deviendrait cuisinier. Ado, il a fait ses classes dans l’étuve de la plonge. «Je lui ai dit: “J’ai choisi mon métier, choisis le tien, mais apprends à cuisiner, tu vas manger toute ta vie!”» se souvient Daniel. «J’aimais l’ambiance en cuisine, mais ce qui m’attirait, c’était l’idée de gravir les échelons. Je savais que le travail serait énorme si je voulais devenir chef, et ça m’a stimulé», résume Raphaël, qui porte désormais ce titre convoité. Il est aussi copropriétaire, avec sa sœur, Laurie-Alex, du restaurant Laurie-Raphaël, situé dans le Vieux-Port de Québec. Il règne en cuisine; elle reprend les rênes de l’administration, que lui a passés leur mère, Suzanne. 

À peine sorti du secondaire, Raphaël s’est envolé vers la France pour tout apprendre du métier qui deviendrait le sien. «Ça nous a coûté un bras...» lance son père dans un autre éclat de rire. Plus sérieusement, il admet que sa femme et lui ont voulu protéger leur fils. «Je savais qu’ici, il serait le “fils de...”» dit-il.

«On me pose toujours des questions par rapport à ça: “As-tu peur de vivre dans l’ombre de ton père?” Sincèrement, je n’ai jamais senti cette pression-là!» 

Raphaël Vézina

Les débuts de la carrière de Raphaël ont été précipités par une conjoncture imprévisible, soit le départ presque coup sur coup des chef et sous-chef du Laurie-Raphaël de Montréal. À 22 ans, il était donc promu chef de ce petit frère de l’établissement de Québec, situé dans l’hôtel Le Germain [NDLR: le resto a cessé ses activités lorsque le bail a pris fin en 2018]. «J’étais stressé, je criais beaucoup...» avoue aujourd’hui le jeune trentenaire, repentant quand il songe à ses débuts. Devenu depuis chef de la maison mère à Québec, il a appris à se faire respecter sans hausser le ton. 

S’il est un conseil que le père souhaite donner à son fils, c’est de tracer «religieusement» la frontière entre le travail et la vie privée. «On a tout bâti à partir de rien, Suzanne et moi. On s’est toujours dit les vraies affaires, mais on essayait d’éviter de ramener les soucis à la maison. Nos enfants vont se chamailler, sans doute, mais j’ose croire qu’on leur a donné un bon exemple.» «Laurie et moi, on a de la chance, estime Raphaël. Il y a une structure, une réputation qui viennent avec le resto. Je pense qu’on va avoir la même complicité que celle qu’avaient nos parents.» 

Le Laurie-Raphaël de Québec est la priorité de la famille. Même Daniel, qui mène divers projets de front, est d’abord un ambassadeur pour le restaurant du Vieux-Port de Québec. «Il sera toujours le chef fondateur», insiste Raphaël. 

Avec sa progéniture aux commandes, le père n’a aucune inquiétude: «Raphaël et moi, en cuisine, on se ressemble en crisse! On est des artistes du goût avant tout et on cherche toujours à faire vivre une émotion aux gens qui mangent chez nous, car on veut qu’ils s’en souviennent longtemps. Par contre, et c’est tant mieux, mon fils a hérité des aptitudes administratives de sa mère.» 

Les Vézina sont animés d’une même volonté de faire progresser la gastronomie québécoise. Raphaël s’emporte quand il parle de la délicieuse viande de loup marin, honnie et pourtant «nécessaire sur le plan écologique», selon lui. Daniel, lui, souhaite que soit enfin définie la fameuse identité culinaire québécoise dont on parle tant. «Qu’est-ce qu’on a d’unique au Québec? C’est ça, additionné à notre histoire, à nos traditions et à notre modernité, qui va définir la cuisine québécoise. On a un rôle à jouer dans cette définition-là!» 

L’entrevue tire à sa fin. Les deux Vézina, grisés par les fous rires (et peut-être un peu par le vin rouge), attendent Laurie-Alex et Suzanne pour un meeting d’associés, autour de la côte de bœuf dont le fumet embaume le chalet. «On fait ça régulièrement. On parle de stratégie, de vision... Le resto, maintenant, c’est les enfants, mais tant qu’ils auront besoin de nous, on ne sera pas loin. On ne sera jamais tannés du Laurie-Raphaël. C’est notre bébé!» 

À propos de bébé, Raphaël et sa douce Elyse ont annoncé récemment qu’ils seront bientôt parents. «Je n’avais pas l’impression d’être prêt, mais je pense que c’est moi, le plus excité de la gang!» raconte le futur grand-père, se rappelant le rythme effréné des débuts de sa propre famille. «Laurie venait de naître et Raphaël avait trois ans quand on a ouvert le resto. C’était un peu fou... On n’était pas des mauviettes, mais je souhaite à Raphaël de prendre davantage le temps de vivre tout ça.» Parions que le petit ou la petite Vézina à venir mettra bien vite la main à la pâte... à crêpe! 

Ce texte est tiré du numéro Famille, disponible ici.
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