La grande séduction par le poisson - Caribou

La grande séduction par le poisson

Publié le

21 juillet 2020

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L’équipe de Caribou vous invite à bord du Bella Desgagnés, la desserte maritime de la Basse-Côte-Nord, et vous raconte ses rencontres faites lors des escales. Troisième arrêt: Harrington Harbour, 1472 kilomètres de Montréal, 255 habitants. 

Texte de Geneviève Vézina-Montplaisir

Il est magnifique le passage qui mène à Harrington Harbour. Le Bella Desgagnés se glisse dans un étroit passage entre deux îles rocheuses aux hautes parois. Du pont du bateau, on croirait presque pouvoir leur toucher. Il y a ensuite le joli villlage de Harrington Harbour qui s’offre devant nous, celui qu’on a vu dans La grande séduction. Mais si, dans le célèbre film québécois, le village est accablé par la perte de son usine de transformation de poissons et de fruits de mer, en réalité, celle-ci est bien vivante. 

La Lower North Shore Community Seafoods Coop trône sur le quai où nous accostons. Il y a plusieurs hommes qui traînent autour du bâtiment un peu usé par l’air marin. Bien que la saison soit terminée, on perçoit que c’est un peu le cœur du village de 255 habitants, le point de rassemblement où on jase de tout, mais surtout de pêche. 

Même si l’endroit est beaucoup plus calme qu’à son habitude, Clint Fequet est au poste et nous accueille avec son grand sourire. Comme il n’y a pas grand-chose à visiter à l’usine qui n’est plus active à la fin de l’été, il nous invite à passer à son bureau, à l’étage pour nous parler de la coop qu’il dirige depuis 16 ans. 

«Établie depuis 1991, la Lower North Shore Community Seafoods Coop est la plus vieille usine de transformation de fruits de mer encore en activité sur la Basse Côte-Nord, souligne-t-il. On a commencé avec la morue salée, maintenant, on transforme le crabe et le homard. Aujourd’hui, nous vendons partout dans le monde, beaucoup au Japon et aux États-Unis.»

La Coop est une vraie fierté dans la région. Elle compte aujourd’hui 360 membres, dont 150 membres actifs qui vendent leurs prises ou travaillent à la coop. Parmi ceux-ci, on compte entre 60 et 100 pêcheurs et environ 15 employés. 

«Seulement 20% de nos pêcheurs vivent à Harrington. Mais ils viennent tous de la Basse-Côte-Nord, de Chevery ou de Old Ford Bay. Ils vivent ici l’été seulement. Pendant celui-ci, nous sommes le seul endroit sur la Basse-Côte-Nord qui a un taux de 100% d’employabilité.»

L’idée de créer une coopérative autour de l’industrie de la pêche est née dans la tête de pêcheurs d’Harrignton Harbour à la fin des années 1980 alors que l’industrie du crabe en était à ses débuts au Québec. 

«Il y avait des acheteurs de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick qui venaient nous acheter notre stock et qui disaient: «Voici le prix que je t’offre, c’est à prendre ou à laisser». Les pêcheurs sont des gens fiers, ils n’aiment pas se faire dire quoi faire. Ils ont donc dit: «Non merci, on va s’organiser nous-mêmes», et ils l’ont fait. Ils étaient au départ quelques pêcheurs. Ils ont amassé quelques milliers de dollars et ils ont contracté un prêt de 50 000$. Ils ont acheté un congélateur, et c’était parti! Avant la coop, ils se faisait offrir 0,40$ la livre pour le crabe, et maintenant nous payons 5,10$ la livre.» 

«J’ai pêché tous les étés pendant que j’étais à l’université et j’ai payé mes études avec l’argent de la pêche. Le prix était excellent dans ce temps-là. Je pouvais faire entre 15 000$ et 20 000$ chaque été.» 

Clint Fequet

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Le défi de la distance

Malheureusement, la plupart des produits pêchés au large d’Harrington et transformés à la coop prennent le chemin du Japon et des États-Unis qui sont prêts à payer plus cher la livre pour ces trésors de la mer. Clint déplore aussi les canaux de distribution qui ne sont pas là pour soutenir les pêcheurs du Québec. 

«Le principal défi est le transport. Notre produit transige par le Bella Desgagnés. Cela nous coûte deux fois plus cher d’envoyer un chargement de camion sur le Bella pour aller à Rimouski que ce que ça peut coûter aux autres usines de transformation. Notre situation géographique nous donne donc vraiment un désavantage.» 

Le défi du transport teinte aussi la vie personnelle de Clint. Ce dernier est originaire de Old Ford Bay et vit l’été à Harrington Harbour et l’hiver à Blanc Sablon. Il a étudié en gestion des affaires au Nouveau-Brunswick et y a travaillé pendant quelques années quand sa femme a eu une opportunité de travailler à Harrington. Il a alors joint la coop et la dirige depuis. 

«Voyager sur la Basse-Côte-Nord, c’est très cher. La semaine passée, je suis allée voir ma femme qui a présentement un contrat à Montréal, ça m’a coûté 3000$!»

Même si tout coûte plus cher sur la Basse-Côte-Nord, se nourrir, se chauffer, Clint apprécie son coin de pays qui vit au rythme de l’eau et de la pêche pendant l’été et du chauffage au bois pendant les longs mois d’hiver.  

«Pour économiser sur la facture d’électricité, on doit aussi chauffer au bois pendant la saison froide. Mais se chauffer au bois, ça prend du temps, c’est un style de vie. Vivre sur la Basse-Côte, c’est vivre entre ce qu’était la vie avant et les temps modernes.» 

Bella Desgagnés: à la découverte de la Basse-Côte-Nord escale par escale

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