Voir loin

Christian Bégin et Îlot a St-Valérien-de-RimouskiAmélie, Colombe, Christian, Donald et Guillaume, lors d'une journée passée à Saint-Valérien-de-Rimouski, à la Ferme du Vert Mouton. | Crédit: ILOT stratégie + gestion de marque

On dirait que ce matin, plus que les autres, je sens que ça s’peut! Que anyway c’est inévitable. C’est le seul projet possible… J’ai déjà dit ça. Alors si ça revient de façon si persistante, c’est que ça bat au cœur de moi, de nous oserai-je dire, là là…  

Une chronique de Christian Bégin

Qu’est-ce tu r’gardes de même?

Je r’garde loin…

On est plusieurs à voir loin. On n’a pas l’choix. Faut voir loin.  

Faut aussi aider, guider, conduire celles et ceux qui regardent à quatre ans de distance, qui marchent dans un sillon qui est un fossé, et les amener, voire les forcer à lever les yeux pis à travailler pour celles et ceux qu’ont aperçoit quand on r’garde loin… Parce que quand on r’garde loin, bizarrement, on fait apparaître celles et ceux qui sont juste à côté et qui seront encore là quand celles et ceux qui r’gardent leurs pieds auront levé les leurs justement.

La fée Clochette se peut pu de faire sonner sa cloche pour qu’on tourne la page!  

Je suis encore tout plein d’une magnifique journée passée dimanche à Saint-Valérien-de-Rimouski, à la Ferme du Vert Mouton. Une ferme comme on voudrait qu’elles essaiment le Québec entier. J’étais avec Donald et Laurence, les propriétaires, et leur fille Camélia. Léo leur fils était chez des amis. Parfait! S’ajoute à la tribu, Colombe Saint-Pierre, cette chef de génie et grande activiste et batailleuse et résistante – tout comme le sont Donald et Laurence – et aussi Amélie et Guillaume, de la firme ILOT stratégie + gestion de marque, qui en ce moment et depuis plusieurs mois nous donnent du temps gratuitement pour nous aider à structurer la révolution – Oui oui! – que nous fomentons à travers la plateforme et le mouvement «Goûter NOUS».  

Le set up:

On est dans l’arrière-pays, y fait beau, le ciel est d’un bleu si pur qu’on sait que la qualité de l’air y est pour quelque chose. Pour vrai y’a plein de choses dans l’air du Bas-Saint-Laurent. À force d’aujourd’hui qui sentent loin, ben ça sent demain. Ça sent demain pour NOUS. Ça pogne au nez et au cœur cette odeur-là! Chus sûr que vous la sentez!

Les employé.e.s sont affairé.e.s. aux champs et d’autres travaillent à la préparation du marché qui a lieu à Rimouski. Je vois l’abondance, je la goûte, je la sens, je l’admire sur les 2,5 hectares en maraîchage diversifié de la ferme. On parle de 30 à 40 variétés de légumes magnifiques.  Magnifiques parce que Donald et Laurence partagent cette obsession de produire de beaux légumes. En plus du marché de ce matin, ce sont 200 familles qui sont approvisionnées par la ferme. C’est beaucoup de «nous», ça l’air de rien! 

Pis juste à côté, jouxtant la ferme, il y en a une autre, habitée par des jeunes agriculteurs, un couple, formés par Vert Mouton, qui partagent la même passion et qui permettent à plus de monde du coin de manger des bons légumes dans le respect du cycle des saisons, du cycle qui existe à l’intérieur même de l’été. Pis pas loin, il y en a une autre pis une autre pis une autre. Le Bas-Saint-Laurent foisonne de fermes aux dimensions humaines dédiées à une agriculture vraiment nourricière et soucieuses d’adopter des pratiques en harmonie avec la terre, le sol, tout l’écosystème dont, faut-il encore le marteler, nous sommes partie prenante. Faut se rappeler ça à TOUS LES JOURS, pour voir loin! 

Le Québec en entier voit ces fermes qui éclosent un peu partout et vit en ce moment une période charnière, déterminante pour la suite des choses et la réappropriation du pouvoir de se nourrir lui-même, par ses propres moyens, sans dépendre d’un système soumis à l’économie de marché et, par conséquent, EXTRÊMEMENT vulnérable et, on le sent plus que jamais, bâti sur un temple dont les colonnes tremblent dangereusement en ce moment. 

Il faut se rappeler, souvent aussi, qu’en se réappropriant ce pouvoir, on le redonne aux autres par un effet collatéral salutaire; aux communautés partout au Québec, et à ces travailleurs exilés qui devraient nourrir les leurs au lieu de devoir s’éreinter dans des champs désâmés à faire pousser des kilomètres de légumes qui vont, pour une grande partie, aller nourrir du monde ailleurs.   

Toute la journée jusqu’au festin du soir, jusqu’à ces agapes heureuses et généreuses où la table ployait presque tellement y’avait de la nourriture,  on a jasé d’agriculture, de comment il est impératif de faire comprendre aux gens, sur l’ensemble de notre territoire, qu’on doit s’éduquer, se rassembler et agir afin de tranquillement – mais habité par une volonté ferme et une conviction inébranlable qui s’appuie sur des données réelles et irréfutables – mais inéluctablement transiter vers cette agriculture destinée à NOUS nourrir et qui goûte NOUS.  

Donald et Christian s’affairent à préparer le festin à la ferme Vert Mouton | Crédit: ILOT stratégie + gestion de marque

Le projet commun, celui qu’on cherche depuis des années, anesthésié entre autres par nos échecs référendaires et le règne moribond d’un néolibéralisme décomplexé et gargarisé de lui-même, ce projet qui concerne TOUT le monde, parce que tout le monde mange ou souhaite manger et bien manger à chaque jour de sa vie, ce projet auquel on peut toutes et tous s’associer, auquel on peut toutes et tous prendre part, qui devrait nous animer avec fougue et pugnacité et par lequel on pourrait retrouver une fierté un peu malmenée depuis quelques années, ce projet qui devrait nous fédérer toutes et tous, toutes origines et générations confondues, c’est bien celui de l’autonomie alimentaire.  Pour l’heure, c’est sinon le plus important mais incontestablement celui par lequel nous pouvons marcher ensemble et creuser le sillon de notre souveraineté.

Je garde en mémoire une phrase terrifiante tirée d’un livre incendiaire qui dénonce l’emprise hégémonique – que plusieurs qualifient de criminelle – de Bayer-Monsanto,  les créateurs du controversé et hautement surutilisé herbicide Round-Up – qui dénonce donc l’emprise de Monsanto sur l’avenir de notre alimentation. Elle demeure à jamais gravée dans ma mémoire comme le plus cauchemardesque des avertissements: 

«Celui qui détient les semences possède le monde.»

Beaucoup en ce moment travaillent avec acharnement et avidité à nous déposséder de notre capacité à nous nourrir et surtout de notre capacité à choisir de quoi on veut se nourrir et de comment on veut cultiver ce qui nous nourrit. De comment on veut élever ce qui nous nourrit. De comment on veut transformer ce qui nous nourrit. 

Il y a beaucoup beaucoup beaucoup d’argent dans ce panier noir. Et celles et ceux qui sont à sa funeste solde ne voient plus rien, sont aveugles à l’autre.   

Mais, j’ai vu dans les yeux de Donald et Laurence, qui s’aiment pour vrai, qui s’aiment et qui travaillent leur amour avec le même soin qu’ils travaillent la terre, qui après une soirée, une journée qui est venue percutée leur routine, qui leur a demandé de réorganiser l’occupation de leur temps et celui de leurs employé.e.s pour pouvoir nous recevoir et nous expliquer ce projet qui les anime et qui donne non seulement du sens à leur vie mais qui est destiné à prendre soin de NOUS; j’ai vu donc dans leurs yeux qui se sont ouvert à 5h ce matin, pour aller travailler aux champs, j’ai vu, je l’ai senti dans ma chair, avec beaucoup d’espoir et de gratitude, j’ai vu que la résistance est en marche. Que ce système dont on nous fait croire qu’il existe pour nourrir la planète, alors qu’il l’assassine, ce système est un géant aux pieds d’argile. On le voit maintenant. Très clairement! Le roi est nu! Et nous avons tout pour nous substituer à ce pouvoir délétère.  

Je les vu dans leurs yeux amoureux, dans leurs mains abîmées, dans leurs ongles noirs de terre. Et si on marche avec eux, avec elles, si on embrasse – parce qu’on aura compris que c’est la seule voie à suivre pour la suite du monde – leurs projets ancrés dans la terre nourricière, ben on va toutes et tous manger à notre faim et tout ce qu’on va manger va goûter NOUS!

Alors merci à Donald, Laurence, Clotilde, Julie, Étienne, Andrea, Maris, Raphael, Mathieu, Isabelle, Patrick, Colombe, Martin, Miguel, Patrice, Jérémie, Samuel, Maurice, Madeleine, Lucie, Thierry, Émile, Jean, Julie, Damien, Roméo, Maxime, Eva, Marcel, Valérie, Jean-Martin, Esther, Nathalie, Stéphanie, Élisabeth, Nathacha, Simon, Jean…et mille et mille autres, sur tout le territoire, qui ont choisi de nous nourrir sensément en pratiquant une agriculture sensée en rupture avec une agriculture de marché insensée.

J’invite, avec ouverture et avec la conviction que c’est non seulement possible mais incontournable, j’invite notre ministre de l’agriculture et tout le MAPAQ à devenir nos allié.e.s., à reprendre le gouvernail des mains de celles et ceux qui pilotent un navire qui dérivent dangereusement et comme seul.e.s maître à bord; je l’invite, NOUS l’invitons à emboîter le pas maintenant et pour vrai parce que nous sommes en marche et on a les mains dans la terre, la tête dure et la voix qui porte!

Soyons, chaque jour, à travers ce qu’on achète, ce qu’on mange, ce qu’on choisit de manger, les allié.e.s et les porte-voix de celles et ceux qui sont debout depuis tôt ce matin et qui changent le monde une carotte, une poule, un cochon, un agneau, un topinambour et une micro-pousse à la fois…

C’est ensemble qu’on est le plus nombreux.

C’est ensemble qu’on va finir par «Goûter NOUS»!!


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