Les épiceries: un marché prometteur pour les vins d'ici - Caribou

Les épiceries: un marché prometteur pour les vins d’ici

Publié le

05 octobre 2020

Vin en épicerie
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En 2016, le gouvernement du Québec a adopté le très attendu projet de loi 88, qui est devenu la Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales. Celle-ci permet aux vignerons, entre autres, de vendre leurs vins directement dans les épiceries. Depuis, un vaste et lucratif marché s’est ouvert aux producteurs. Simon Naud, du Vignoble La Bauge, à Brigham, en Montérégie, est un de ceux qui ont décidé de vendre leur production dans ces commerces où les gens n’ont pas forcément l’habitude d’acheter leurs vins. Entretien.

Texte d’Audrey Lavoie

Avant la loi 88, comment distribuiez-vous vos vins?
À nos débuts à la fin des années 1980, on vendait au vignoble uniquement. Puis, à la fin des années 1990, les vignerons québécois ont obtenu le droit de distribuer leurs produits dans les restaurants et les marchés publics ainsi que dans les succursales de la Société des alcools (SAQ). Pour ma part, j’ai commencé en 2002 à vendre à la SAQ. L’autre grande ouverture qu’on attendait, c’était le marché des épiceries, et ça s’est produit en 2016.

Qu’est-ce que ça a changé pour vous?
Beaucoup de choses! J’aime vraiment ce réseau-là parce que tout le monde fait son épicerie, et ce n’est pas tout le monde qui a le temps de passer à la SAQ pour aller chercher son vin. Donc, c’est le fun de pouvoir offrir nos vins de qualité dans les supermarchés. En épicerie, contrairement à la SAQ, il est possible d’avoir un contact direct avec les clients en organisant, par exemple, des dégustations. Ce n’est pas le cas cette année [à cause de la COVID], mais jusqu’à l’an passé, on disposait de huit personnes qui étaient formées pour présenter nos produits et notre philosophie aux consommateurs dans les épiceries.

Il y a aussi le marché des épiceries fines, dont plusieurs se sont spécialisées dans les vins d’ici. Elles comptent souvent parmi leur personnel des conseillers capables d’accompagner les gens dans leurs choix. Ce sont de super belles courroies de transmission que la loi 88 a permises.

Aujourd’hui, est-ce que le marché des épiceries est celui où vous vendez le plus de vin?
Présentement, oui. Le marché des épiceries représente entre 30% et 40% de nos ventes.

Ça a tellement bien fonctionné dès 2016 qu’en 2017, on s’est retirés du réseau de la SAQ [pendant deux ans] parce qu’on n’avait pas assez de vin pour le vendre dans ces succursales en plus des épiceries. Comme j’avais vu ça venir, j’avais planté plus de parcelles de vigne; donc, on a pu augmenter notre capacité de production et revenir dans les succursales de la SAQ par la suite.

«Dans les succursales de la SAQ, c’est difficile de fidéliser les clients [parce qu’il y a une multitude de choix], alors qu’en épicerie, les gens se disent: "J’en ai trouvé un bon, je vais le garder!" Ça explique en partie pourquoi on a un très bon roulement.»

Simon Naud

Vous avez une gamme de vins pour les épiceries et une autre pour la SAQ. Pourquoi ne pas vendre les mêmes vins dans ces deux réseaux?
J’ai essayé de créer des vins spécifiques pour répondre aux attentes de chacun des réseaux. Pour les épiceries, je voulais créer une gamme de vins authentiques et accessibles, parce que, vous le savez comme moi, les vins qu’on trouve au supermarché sont souvent décevants. De bons vins honnêtes, en épicerie, il n’y en a à peu près pas… sauf ceux du Québec. 

Plusieurs croient que mes vins d’épicerie sont mes entrées de gamme. Ce n’est pas le cas. Ils correspondent à un type de vins spécifique. Je veux mettre de l’avant leur côté rafraîchissant, fruité; offrir aux gens un produit fin, accessible, délicat, aromatique et prêt à boire. 

Justement, est-ce que la mauvaise réputation des vins d’épicerie nuit aux vins québécois qui sont sur les tablettes des supermarchés ?
C’est sûr que pour beaucoup de gens, ce n’est pas un réflexe d’acheter du vin à l’épicerie. Mais les dégustations et les explications qu’on donne aux clients les rassurent beaucoup. On en fait aussi la promotion au vignoble, auprès des gens qui viennent nous visiter. Tous sont surpris mais contents d’apprendre qu’ils peuvent maintenant acheter nos vins dans les épiceries. Il y a un préjugé, c’est clair. Par contre, avec l’arrivée récente des vins québécois sur les tablettes des supermarchés, on ne pourra plus dire qu’on n’y trouve que des vins «plates». 

Un marché menacé par les accords internationaux

Les litiges entre deux pays à l’Organisation mondiale du commerce sont souvent pointus et passent souvent inaperçus. Mais certains d’entre eux peuvent avoir des conséquences directes sur notre économie et sur nos entrepreneurs. C’est le cas du litige qui oppose l’Australie et le Canada et qui concerne la mise en marché des vins canadiens. 

Bien que les trois autres provinces concernées aient réglé la question, ici au Québec, les négociations sont toujours en cours. Ce qui est visé par la plainte faite par l'Australie: l’accès direct aux épiceries pour les vins d'ici et la majoration de la SAQ en épicerie, de laquelle les produits québécois sont exemptés. Le dénouement de ce litige pourrait transformer, voire faire disparaître, ce jeune et lucratif marché pour les vignerons d’ici.

«Si on passe par le même processus que les vins importés et [qu’on doit donner une majoration à la SAQ], ça ne sera plus rentable d'être en épicerie et il faudra qu'on sorte de là, déplore Simon Naud. Mais je pense que le réseau est rendu trop important pour nous et il faudra que les gouvernements et les associations de vignerons se mettent ensemble pour trouver une façon de poursuivre la mise en marché dans les épiceries, et que ça reste rentable. C'est crucial pour le développement des vignerons québécois, pour les petits producteurs qui veulent se faire une niche dans ce marché-là.»

Un dossier à suivre de près…
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