Johane Despins et Denis Gagné: faire L’épicerie - Caribou

Johane Despins et Denis Gagné: faire L’épicerie

Publié le

04 novembre 2020

emission L'epicerie animateurs
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Fidèle au poste – littéralement! –, le charismatique tandem formé de Denis Gagné et Johane Despins guide chaque semaine les Québécois dans leurs virées au supermarché, entre allégations trompeuses à traquer et critères d’achat à garder en tête au moment de choisir la meilleure pancetta. «Allées»-retours vers L’épicerie, l’émission diffusée sur ICI Radio-Canada qui, mine de rien, fait partie de notre paysage télévisuel depuis 19 ans déjà.

Texte de Pierre Duchesneau

En près de 20 ans, quels changements majeurs avez-vous remarqués dans les habitudes dachat des Québécois au supermarché?

Johane: Les changements sont énormes; c’est fou à quel point notre rapport à l’épicerie s’est complètement transformé! Surtout dans la dernière année, c’est encore plus marquant: c’est l’un des endroits où le consommateur s’est le plus exprimé, le plus imposé et le plus impliqué. Il y a une prise de position par l’alimentation qui est devenue très évidente au cours des 20 dernières années, et je le dis en toute modestie: L’épicerie a fait évoluer énormément notre façon de faire l’épicerie. Ce qui est le plus évident, selon moi, c’est que les gens sont informés. Est-ce qu’ils mangent mieux? Ça, c’est un autre dossier, mais ils savent ce qu’ils mangent, ils savent d’où ça vient, ils savent ce que ça contient et ils font des choix éclairés.

Denis: C’est évident qu’en 19 ans, on a vu évoluer tout le Québec à vitesse grand V. On est passés du Petit Québec au Alfred le Fermier; du Maxwell House à l’espresso; de la Labatt 50 à la bière de microbrasserie… Je regardais récemment nos premiers reportages, en 2002: c’était, par exemple, sur le sodium dans les produits alimentaires. Ça, ça n’a pas changé: il y a encore trop de sel, mais les gens en sont de plus en plus conscients. J’ai aussi regardé comment les fabricants nous approchaient: il y a eu les aliments sans cholestérol, les probiotiques et prébiotiques, les aliments faibles en matières grasses ou sans gras trans, les antioxydants, les oméga-3… Puis, tout d’un coup, là où il y a eu une avancée, c’est qu’on est rendus – du moins une partie de la population – à l’absence de colorants et d’arômes artificiels; à une certaine «naturalité» qui privilégie une liste d’ingrédients courte, avec des mots qu’on peut prononcer. La jeune génération est impitoyable à ce sujet: eux, ce sont des lecteurs de listes d’ingrédients et de tableaux de valeurs nutritives et ils sont sensibles au gaspillage alimentaire, au suremballage, au bien-être animal… Les millénariaux vont complètement bousculer nos traditions.

Depuis les débuts de L’épicerie, quels changements avez-vous constatés dans les façons de faire des supermarchés?

Denis : Les épiceries sont devenues des foires alimentaires au fil du temps. On a commencé à offrir différents mets à emporter, des mets cuisinés sur place; on a même installé des tables et des chaises. Le rapport à l’épicerie change, aussi: on a redécoré les épiceries, on a abaissé les plafonds, on a changé les couleurs… Puis on fait cuire du pain sur place; c’est la multiplication des pains!

Johane: Le prêt-à-manger, c’est ce qu’on a vu comme évolution la plus flagrante ces dernières années dans les épiceries. Maintenant, avec l’épicerie en ligne – bon, j’ai pas besoin de revenir sur les derniers mois… –, ça a explosé, mais il y a de grands penseurs qui nous disent que très bientôt, on n’aura peut-être plus d’aliments secs en épicerie, mais que du frais et de la restauration, parce que le sec se trouvera dans les entrepôts et que c’est ça qu’on va commander en ligne, sans avoir à se déplacer. Ça fait que dans les 20 dernières années, on s’est retrouvé avec des épiceries qui sont devenues de plus en plus grosses; après, on a commencé à diminuer l’espace et à faire des versions «express», puis là, on va probablement modifier ces immenses espaces, façon moitié restaurant, moitié produits frais. Ça bouge, c’est fou combien ça change. Tout ça en 20 ans!

«Là où il y a eu le plus gros changement, c’est pas au centre de l’épicerie – où on met les produits traditionnels –, c’est tout autour.»

Selon vous, les gens cuisinent-ils plus ou moins quavant?

Denis: J’ai l’impression que c’est démographique… Je pense que les jeunes sont plus de type restaurants et applications de livraison, et pas grave si ça coûte deux fois le prix.

Johane: Ce qu’on a vu apparaître en épicerie, aussi, ce sont des choses à moitié prêtes, c’est-à-dire des aliments précoupés, préassemblés, prêts à manger ou prêts à cuisiner… Selon moi, le rapport des gens au temps a énormément changé en 20 ans. Ils veulent cuisiner, mais une fois par semaine, quand ils ont du temps, pour épater la galerie. […] Je crois qu’on a perdu l’aptitude de cuisiner deux repas par jour, c’est-à-dire un bon lunch et un bon souper, comme c’était le cas il y a 30 ans au Québec pour à peu près toutes les familles.

Denis: Le brainwashing de l’industrie date de la fin des années 1950, quand les ménagères sont retournées sur le marché du travail. On leur disait: on va vous aider, on va vous faire des plats tout cuisinés – dîners Swanson et autres. Et ça, c’est resté: cette idée qu’on n’avait pas le temps de cuisiner, alors que nous, à l’émission, on a démontré tellement de fois que ça prend le même temps, ou à peine plus, et que ça coûte moins cher; que c’est plus savoureux; que vous allez avoir des restes pour vos lunchs…

Avez-vous noté un attrait grandissant pour les produits exotiques au fil des années, une ouverture sur les saveurs du monde?

Johane : Oui, c’est sûr que ça a été énorme comme évolution. Mais cette curiosité-là, ça fait longtemps que les Québécois et les Canadiens l’ont! Avant, on trouvait ces produits surtout dans les grands centres, ou alors dans les épiceries fines… Maintenant, ne serait-ce que par les travailleurs en agriculture qui arrivent surtout du Mexique, de l’Amérique du Sud ou de l’Amérique centrale, à peu près tout ce dont on a besoin pour préparer des mets de ces coins-là sont offerts dans n’importe quelle épicerie de n’importe où au pays.

Denis: En effet, on a toujours été très curieux. C’est probablement grâce à [Daniel] Pinard, [Josée] di Stasio, Ricardo, [Christian] Bégin et nous, parce qu’on a presque systématiquement un volet où on parle de la cuisine de Québécois d’autres origines. Quand tu vois ces produits apparaître sur les tablettes, c’est là que tu te dis: O.K., il y a quelque chose qui se passe; ça entre dans nos mœurs. On se multiplie, si je peux dire.

Quelques mots, en terminant, sur les fameux tests de goût avec le public?

Johane: C’est drôle; c’est un segment qui existe depuis les débuts, et pour lequel on se dit parfois qu’il a fait son temps ou qu’on devrait en repenser la formule. Finalement, c’est l’un des plus populaires! On dirait que les gens sont contents que ce soit le public qui décide. Leur façon à eux de dire: c’est ce produit-là qu’on préfère, que ce soit le meilleur, le plus ci, le plus ça, le moins cher, le «pas moins cher»… Et puis, étonnamment, plus ça va et plus ça montre à quel point les gens sont éduqués. Au début, c’était toujours le produit à peu près le moins intéressant d’un point de vue nutritionnel qui gagnait. Maintenant, ce n’est plus du tout le cas! Très souvent, ce sont les produits biologiques, moins salés ou moins gras qui gagnent. Donc ça devient quand même un outil plus qu’intéressant; c’est comme un sondage chaque fois.

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