2020, l’année des extrêmes pour les producteurs d’alcool québécois - Caribou

2020, l’année des extrêmes pour les producteurs d’alcool québécois

Publié le

07 décembre 2020

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Des ventes phénoménales pour certains, des pertes importantes pour d’autres, une production chamboulée, des mesures sanitaires inédites, de nouvelles façons de vendre et un engouement renouvelé du grand public: l’année 2020 restera longtemps dans la mémoire des producteurs d’alcool québécois. Caribou est allé à la rencontre de vignerons, de microbrasseurs et de distillateurs d’ici pour savoir comment ils ont traversé cette année pas comme les autres.

Texte de Benoit Valois-Nadeau 
Illustrations d’Evi Jane

Pour la plupart des gens, 2020 sera une année à oublier. Mais pas pour Véronique Hupin, copropriétaire du vignoble biologique Les Pervenches, à Farnham. «Tout a tellement bien été, je suis quasiment gênée de le dire», explique-t-elle en riant.

Mise en vente au printemps, la cuvée 2019 des Pervenches s’est envolée en… 10 minutes.

Au champ, Mère Nature a fourni le soleil et la chaleur nécessaire pour créer un millésime exceptionnel, le plus beau du vignoble en près de 20 ans d’existence.

«Pour nous, c’est vraiment une très belle année, la consécration de tous nos efforts, dit Véronique Hupin. On a travaillé d’arrache-pied pour que ce soit un une année qui ne soit pas seulement marquée par la COVID, mais par de grands vins.»

Petit ou grand, le vin québécois a eu la cote cette année, comme la plupart des boissons alcoolisées de la province.

Au cours du premier trimestre de 2020, les ventes liées à l’ensemble des produits québécois ont crû de plus de 40% à la SAQ. En ligne, les ventes de produits québécois ont augmenté de près de 3000%!

Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec (CVQ), a pu constater cet engouement de visu. Tout au long de l’été, une file de plusieurs mètres de long se formait devant son vignoble de Sainte-Pétronille, à l’île d’Orléans, dont la capacité a été limité à six personnes en raison des mesures sanitaires.

Malgré l’ouverture tardive du vignoble, ses 60 000 bouteilles ont trouvé preneur avant la mi-septembre, presqu’un mois plus rapidement que d’habitude.

«Ce qui est intéressant dans notre domaine, c’est que lorsque ça va bien, les gens boivent du vin. Et quand ça va mal, ils boivent beaucoup de vin!» rigole Louis Denault, qui qualifie l’année d’«excellente» pour la grande majorité des membres du CVQ.

Ces résultats exceptionnels font oublier les «petits» désagréments liés à l’irruption du coronavirus: les employés étrangers qui ont été retenus dans leurs pays, puis qui ont dû être placés en quarantaine à leur arrivée, les heures passées dans les vignes pour les remplacer, l’augmentation faramineuse des coûts de fournitures comme les bouchons de lièges ou les bouteilles, ou encore la perte du contact privilégié avec les clients. 

Sans compter la perte de ventes en bars et en restaurants, le stress et l’incertitude. «Au mois de mars, quand tout a débuté, on ne savait pas si les gens allaient encore avoir de l’argent pour acheter une bouteille de vin. On a fait des prévisions dans laquelle on vendait seulement 20% de notre production», se rappelle Véronique Hupin.

Vins Fragments

Passer au travers

La COVID-19 a aussi parfois provoqué l’arrivée de visiteurs inattendus… «Les policiers se sont présentés quelques fois au vignoble lors de dégustations, pensant qu’on était dans l’illégalité», se souvient, un brin découragé, René-Carl Martin, agriculteur et propriétaire du Domaine Vinéterra.

L’année 2020 devait marquer les débuts officiels du vignoble, situé sur les abords du Mont Saint-Hilaire, en Montérégie. Le scénario espéré ne s’est pas déroulé comme prévu. 

La fermeture des chantiers de construction a retardé l’achèvement du bâtiment, qui a finalement été inauguré sans tambour ni trompette à la fin du mois de juillet, bien après le début de la saison touristique. Dans les champs, les employés guatémaltèques sont arrivés avec plusieurs semaines de retard et la sécheresse hâtive leur aura fait perdre 500 jeunes vignes.

Puis, après un été prometteur en termes d’affluence, l’achalandage s’est effondré lors du passage de la région en zone rouge, en pleine période de vendanges. 

Malgré les pépins, René-Carl Martin se dit «hyper motivé» pour la suite des choses. «On a été emballé par la réaction des clients à nos produits. Les gens veulent découvrir les produits du Québec et particulièrement les vins. Il faut être positif et se dire qu’on va passer au travers. La prochaine année ne peut pas être pire!»

Louis-Philippe Mercier, de La Boîte à Vins, peut témoigner de cet engouement.

Le distributeur de vins en ligne, qui privilégie les vignobles québécois hors SAQ, a connu une augmentation de 2000% de ses ventes pendant le premier confinement.

Quand le gouvernement Legault s’est mis à faire ouvertement la promotion des produits québécois, «c’est comme si les planètes s’étaient alignées», illustre Louis-Philippe Mercier. 

L’entreprise a réalisé l’équivalent de son chiffre d’affaires 2019, lors de la première semaine du mois d’avril. Avec six livreurs sur la route, elle pouvait écouler jusqu’à 250 caisses par semaine, du jamais-vu. 

La petite compagnie était parfaitement adaptée pour profiter de cette tempête parfaite: des produits hautement demandés, un modèle d’affaires basé à 90% sur la vente en ligne et une politique d’achat ultra-local. 

Tellement qu’il a fallu apprendre à vivre avec le succès, quitte à frôler le surmenage. «Ç’a tellement été gros et énorme que j’ai fait un petit burnout. Je voulais tout faire, ç’a été trop pour moi, il a fallu tirer la plogue à un moment donné.»

«La Boîte à Vins, c’était essentiellement moi et ma blonde. Là, on est rendu une entreprise de 14 employés, raconte le jeune sommelier. Nous sommes des cavistes, mais on a dû apprendre à gérer une entreprise de livraison pratiquement du jour au lendemain. »

Louis-Philippe Mercier, de La Boîte à Vins

Difficile réinvention

Si les ventes des microbrasseries en épicerie et en dépanneur se sont maintenues, l’année a été plus difficile pour les détenteurs d’un permis de type artisans brasseur, qui peuvent seulement vendre à partir de leur lieu de production, pour consommation sur place ou pour emporter.

Bières de microbrasseries

Au gré des fermetures des bars et des restaurants, plusieurs ont dû mettre à pied temporairement des employés.  «C’est très difficile pour l’équipe , confie Philippe Dupuis, de la Microbrasserie À la Fût. Ouvre, ferme, ouvre, ferme, c’est dur sur le moral. On ne peut pas donner du travail à tout le monde.»

Le pub, situé en plein cœur de Saint-Tite, en Mauricie, a fermé ses portes à deux reprises, mettant une quinzaine d’employés à l’arrêt. «Les artisans brasseurs, on les retrouve souvent dans les centres-villes, dans des rues habituellement gorgées de touristes. En ce moment, ça ne grouille pas ben ben», se désole Marie-Ève Myrand, directrice de l’Association des microbrasseries du Québec.

Pour passer à travers la crise, les microbrasseurs ont adopté le nouveau mantra du gouvernement Legault: se réinventer.

«On a su rebondir et être créatif, affirme Philippe Dupuis. On s’est diversifié et on a fait les choses autrement. C’est ce qui a fait en sorte qu’on a passé un beau printemps et que l’été a été un beau succès. Mais ce n’est pas fini.»

«On doit continuer à être créatif pour mousser ce qu’on fait et montrer qu’on est encore en vie.»

Philippe Dupuis, de la Microbrasserie À la Fût

À la Distillerie Fils du Roy, à Saint-Arsène, près de Rivière-du-Loup, la réinvention a pris un tout autre sens.

Au tout début de la pandémie, alors que les Québécois se lavaient les mains comme jamais, l’entreprise a utilisé ses installations pour produire du gel désinfectant, alors en pénurie. 

Finalement, ce sont 6000 litres de gel qui ont été distribués gratuitement dans tous le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. «C’était normal pour nous de s’impliquer, explique Jonathan Roy, qui est aussi président de l’Union québécoise des microdistilleries. L’industrie, c’est un petit monde avec un équilibre qui a été très fragilisé avec cette pandémie. Si on peut mettre l’épaule à la roue pour soutenir notre économie régionale, on va le faire.»

Selon notre décompte, au moins une douzaine de microdistilleries québécoises ont produit temporairement du gel désinfectant, le temps que la pénurie se résorbe. La palme de l’originalité revient à la Distillerie des Appalaches, de Lévis, et à son gel nommé… le Arruda Matata!

À lire à ce sujet: Cocktail du moment: microdistilleries et produits désinfectants

À quelque chose malheur est bon?

Si la pandémie a amené quelque chose de bon, c’est au moins d’avoir provoqué un intérêt jamais vu pour l’achat local. «2020 a été une très bonne année pour le sentiment d’appartenance des Québécois envers les microdistilleries. On a vu un très gros engouement envers nos produits», confirme Jonathan Roy. La vente de spiritueux d’ici a augmenté de 79% lors des mois de mars et avril. 

Lubie passagère ou changement d’habitude durable? «Ce ne sera peut-être pas aussi fort que durant avril, mai et juin, mais c’est sûr qu’il va y avoir des répercussions à long terme, estime Louis-Philippe Mercier, de La Boîte à Vins. Les gens y ont goûté et les gens ont aimé. On a beaucoup moins à travailler sur les préjugés envers le vin du Québec.»

«Il y a toujours la question de la facilité d’accès. Pendant la pandémie, les gens avaient du temps et toutes les excuses étaient bonnes pour sortir, aller aux vignobles, aux potagers. Une fois que les gens vont retourner à leur 9 à 5, peut-être auront-ils moins de temps pour l’achat local?» questionne Véronique Hupin, du vignoble Les Pervenches.

Les Québécois lèvent-ils davantage le coude en temps de pandémie? 
Malgré les apparences, les deux tiers des Québécois n’ont pas changé leur niveau de consommation depuis le début de la pandémie, alors que 13% l’ont diminué, selon la dernière enquête d’Educ’alcool.

Une personne sur cinq (20%) dit boire davantage. «Les Québécois ne boivent pas plus, mais leur consommation s’est transférée, estime Marie-Ève Myrand, directrice de l’Association des microbrasseries du Québec. Auparavant, on buvait dans les bars, les restaurants et à la maison. Avec la fermeture des bars et des restos, on a simplement augmenté la consommation à la maison. Le lunch du midi, le 5 à 7 entre collègues, le souper au restaurant, ce sont des moments où on buvait qui ont disparu. On les a transférés à la maison.»

Educ’alcool remarque tout de même une hausse de la consommation chez les 18-34 ans et les personnes qui sont davantage affectées psychologiquement par les contrecoups de la pandémie.
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