L’amour est (dur à trouver) dans le pré - Caribou

L’amour est (dur à trouver) dans le pré

Publié le

11 janvier 2021

publicité

Diffusée depuis 2012 sur V, l’émission L’amour est dans le pré peut se vanter d’avoir généré le plus grand nombre de couples... et de bébés de l’histoire des téléréalités québécoises. Mieux encore, elle a transformé la vision qu’avait la population de la vie agricole. Pourtant, les hommes et les femmes qui tiennent les fermes du Québec à bout de bras peinent encore à trouver l’amour. 

Texte de Samuel Larochelle
Illustration de Sébastien Thibault

Travailleuse de rang – l’équivalent des travailleurs de rue, mais en milieu agricole – dans le Centre-du-Québec, Hélen Bourgoin soutient que l’émission L’amour est dans le pré présente une image très romancée de la réalité rurale. «Mon chum possède une ferme, et quand on regarde l’émission, il me dit: “Moi, je n’ai jamais le temps de m’asseoir pour regarder le coucher de soleil ou organiser un pique-nique sur un tracteur, j’ai bien trop d’ouvrage!” Et quand ils tentent d’expliquer leur statut de célibataire, les agriculteurs disent souvent “Je ne sors pas, je travaille trop!”» 

Cette passion viscérale qu’ont les entrepreneurs agricoles pour leurs fermes peut d’ailleurs leur jouer des tours, croit Julie Bissonnette, productrice laitière en Montérégie et présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec. «Ce n’est pas évident de rencontrer quelqu’un quand ton seul sujet de discussion, c’est l’agriculture, dit-elle. Quand tu as grandi sur une ferme, évidemment que tu es allé à l’école et que tu es ouvert à d’autres sujets, mais ta terre, tu l’as dans le sang.» Selon elle, il peut donc être gênant pour certains d’aborder quelqu’un et de constater que les sujets de discussion manquent. 

François Tanguay, un agriculteur spécialisé en culture maraîchère certifiée bio qui possède une ferme en Montérégie, trouve très difficile de se dénicher une amoureuse prête à se joindre à son équipe. «C’est souvent le souhait des agriculteurs [d’avoir une partenaire intéressée à participer à l’entreprise], dit l’homme de 59 ans. Mais arriver à rencontrer la bonne personne n’est pas facile. Et peut-être que quand on vieillit, le processus se complique encore plus.» 

Ce maraîcher est conscient du défi que pose la recherche d’une femme capable d’accepter les longues heures de travail et l’engagement total qu’exige sa profession. «Durant une bonne partie de l’année, les fins de semaine de congé sont plutôt rares, voire inexistantes, en raison des courtes périodes pendant lesquelles on peut cultiver», souligne François, qui estime que  cela exerce une certaine pression sur un couple. «La solidité du lien peut être mise à mal. Souvent, il n’y a que les personnes issues du milieu agricole qui arrivent à comprendre tous les enjeux de cette passion qui nous habite.» 

Obstacle à la relève 

La solitude des agriculteurs est carrément devenue un obstacle à la relève, comme le souligne Diane Parent, professeure émérite à la Faculté des sciences, de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. «Le célibat renforce le sentiment d’isolement dont souffrent les agriculteurs, explique-t-elle. En raison de la nature même du travail qui fait qu’on reste toujours sur sa terre, des horaires atypiques, des longues heures consacrées à l’ouvrage et de l’éloignement géographique, les célibataires en milieu agricole ont un réseau social plus restreint qu’en milieu urbain. Donc, à long terme, si le célibat ne vous rend pas heureux, c’est plus difficile de persister en agriculture.» 

Une image à refaire 

Même si la téléréalité a amélioré la perception que la société a des agriculteurs, Diane Parent affirme que leur profession est un frein à leur quête amoureuse. «Dans nos sociétés, notre métier définit notre identité. Quand on sort et qu’on dit qu’on est avocat ou médecin, c’est winner, mais si on est éleveur de porcs, on ne l’annonce pas toujours d’entrée de jeu.» Et ce phénomène est principalement dû aux préjugés, croit la professeure. «Les gens disent des agriculteurs qu’ils sont plus manuels qu’intellectuels, qu’ils sont captifs de leurs fermes... De plus, dans une ère où la production animale est mise au banc des accusés, il faut être prêt à porter tout ça.» Une opinion que partage la productrice laitière Julie Bissonnette: «Plusieurs personnes nous voient encore en salopette avec un brin de paille dans la bouche. On n’est pas arriérés, on est comme tout le monde! Pourtant, il y a encore beaucoup d’idées préconçues sur le métier.» 

En 2003, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a créé la Journée portes ouvertes sur les fermes du Québec, afin de permettre à tous ceux qui le souhaitent de mieux connaître les gens qui travaillent la terre, leur mode de vie et leur expertise. «C’est important que les agriculteurs rencontrent le public, croit la professeure Diane Parent. Il y a 50 ans, on avait toujours un agriculteur dans notre parenté et on pouvait mettre un visage sur cette réalité. Maintenant, l’image est filtrée par les médias. On parle surtout d’agriculture quand il est question de problèmes environnementaux ou de maltraitance des animaux, ou d’autres sujets qui prêtent à controverse.» 

Match agricole 

Les agriculteurs qui veulent sortir du célibat sans avoir à justifier leur profession peuvent au moins se tourner vers agrirencontre.com, un site lancé en 2001 par Luc Gagnon, programmeur web et agriculteur. «À l’époque, j’entendais des gens du milieu agricole dire qu’ils n’avaient pas beaucoup de succès sur les sites de rencontres, car s’ils affichaient leur métier, peu de gens s’intéressaient à eux, relate-t-il. Certains allaient même jusqu’à cacher leur profession pour essayer de capter l’attention de quelques personnes, avec l’idée de ne leur en parler qu’une fois qu’elles les connaîtraient un peu, en espérant que ça passerait mieux comme ça.» 

En bâtissant le site, il a cependant constaté que le nombre d’agriculteurs était en déclin et que la profession était fortement masculine, deux facteurs qui diminuent les probabilités d’en arriver à des matchs fructueux. Il a donc ouvert la plateforme à l’ensemble des gens qui ont un penchant pour la campagne. «C’est pour ça que nous retrouvons des citadins sur le site. Je sais bien que certains d’entre eux se font une idée bucolique de la campagne et qu’ils ne deviendront jamais des campagnards, mais dans l’ensemble, le site permet de faire des rencontres.» 

Dans le même ordre d’idées, le 14 février 2017, la Fédération de la relève agricole du Québec a organisé une activité de speed dating, Cultivacœur, qui a réuni 20 hommes et 20 femmes à Saint-Hyacinthe. «Les participants voulaient vraiment trouver l’amour, assure la présidente de la Fédération, Julie Bissonnette. C’est un sujet qui me tient à cœur: je trouve ça dommage de voir d’aussi belles personnes rester seules durant des années.» Cette activité a été répétée chaque année depuis, en plus d’être reproduite à Saint-Jérôme en 2019. 

La travailleuse de rang Hélen Bourgoin salue toutes ces initiatives et encourage les agriculteurs à prendre le temps de sortir de leur cercle pour rencontrer de nouvelles personnes... parce que tout le monde a droit à l’amour! 


Ce texte est paru à l’origine dans le numéro 9, FAMILLE, au printemps 2019.

publicité

Plus de contenu pour vous nourrir