Un vigneron, ça mange quoi en hiver? - Caribou

Un vigneron, ça mange quoi en hiver?

Publié le

24 janvier 2022

Texte de

Sébastien Daoust

Il n’y a rien de plus bucolique que l’image de l’agriculteur, assis dans le silence de sa chaumière, sculptant un cheval dans un bout d’érable avec un canif, nous disant calmement, entre deux crépitements du feu de foyer, qu’il attend le printemps pour recommencer à travailler.  
le metier de vigneron lhiver
Il n’y a rien de plus bucolique que l’image de l’agriculteur, assis dans le silence de sa chaumière, sculptant un cheval dans un bout d’érable avec un canif, nous disant calmement, entre deux crépitements du feu de foyer, qu’il attend le printemps pour recommencer à travailler.  
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9 janvier 2022. Voilà vingt ans, assis dans mon cubicule, à regarder le vent qui soufflait quelques centimètres de neige sur le Centre Bell, je me disais que cette vie-là serait bien belle. Hiverner, en quelque sorte, en attendant le printemps, l’agriculteur avait le temps que je n’avais pas du haut de mes trois semaines de vacances par année. À la place du PowerPoint en face de moi, je pourrais apprendre à jouer de la guitare ou à souder. Ou tailler un cheval dans un bout d’érable. 

C’était une image fausse. Mais une image forte. Elle n’a jamais guidé ma décision de quitter le monde des affaires. Ce choix-là s’est lancé sur moi sans m’avertir. 

C’est vrai que l’hiver, pour un vigneron, c’est différent. On a le temps de planifier nos journées. Même de planifier des vacances. Ayant plusieurs amis dans le domaine de la santé, je n’oserais pas partir en ce moment, si ce n’est que par souci de solidarité, considérant les difficultés auxquelles nous faisons face. Mais il reste que je peux dire «Oui, aujourd’hui, je vais faire de la comptabilité.» Et je peux planifier une rencontre deux semaines à l’avance sans problème. 

Or il n’y a pas «rien à faire». On se met à jour. 

Sébastien Daoust. Crédit photo: Josée Léger.
Sébastien Daoust. Crédit photo: Josée Léger.

Pour Thomas, mon maître de chai, les cuves et les vins ont besoin d’un suivi régulier. Et par professionnalisme, il aime bien avoir tout ce suivi bien en ordre. Alors il corrige les trous dans les notes de travail qu’il s’est pris pendant les vendanges. Il prend le temps de comparer et analyser ce qui a été fait. Et avec les volumes de cette année, il a plusieurs soutirages (transferts entre deux cuves) à faire. Les vins ont terminé leur fermentation alcoolique, mais il reste quelques fermentations malolactiques*. Et la stabilisation tartrique** au froid. En plus, il doit aussi prévoir nos besoins en équipement pour l’année prochaine. Une cuve de 10 000 litres, ça ne s’achète pas sur un coin de table. Les nôtres viennent de bien loin. Alors il faut s’y prendre à l’avance. 

Pour Geneviève, cheffe de culture, c’est effectivement plus calme. L’horaire d’été était particulièrement intense. Et juste quand elle pensait que les vacances arrivaient à la mi-décembre, des vents intenses sont venus défaire toutes les protections hivernales sur les vignes. Nous avons eu une semaine assez intense, les trois ensemble, à remettre tout en place. C’est seulement à Noël qu’elle est retombée en vacances, et ce pour deux mois, tout au plus. Elle a ses propres cuvées, nommées En Roue Libre, et elles aussi doivent être suivies. Début mars, ce sera l’entretien préventif des tracteurs, le ménage de l’entrepôt.

Et de mon côté? Le reste. Il reste peu de vins à vendre, fort heureusement, mais la comptabilité ne se fera pas toute seule. Par ailleurs, au mois d’avril, l’embouteillage arrive. Ça veut dire que les trois premiers mois de l’année sont dédiés à obtenir les bouteilles, bouchons, étiquettes, approbation par la Régie des Alcools, des courses et des jeux, ainsi que par l’IGP Vin du Québec. Ajoutons à cela les ententes promotionnelles avec la SAQ pour l’année à venir, et la création de notre infolettre pour nos collègues des épiceries fines et restaurants. C’est aussi le moment de penser aux investissements autant dans le champ que dans le chai, ainsi que les subventions qui sont bien cachées, mais bien disponibles. Il faut être tout un Sherlock Holmes pour savoir ce à quoi on a droit. 

Et finalement, la logistique autours de l’arrivée de nos collègues du Mexique. Virginio et Alejandro seront avec nous pour la 6e fois cette année. Mariano, cinquième. Luis-Pedro, quatrième. Et un petit nouveau devrait aussi se joindre à l’équipe. Ils sont tous conscients que les règles changent à chaque année. Une année, le fédéral décide d’avoir un test biométrique, l’autre année, il y a des délais dans les papiers. À chaque année, il y a un nouveau problème que le fédéral crée de toute pièce. Je ne parle même pas de la COVID et des règles qui y sont afférentes. Je parle juste de dédales administratives mises en place pour des raisons obscures. À chaque année. Les gars arrivent au mois d’avril. Début avril. 

Avec tout ça, j’ai tout de même des projets personnels pour le vignoble, des façons de faire pour être plus efficace.

Ce n’est pas très romantique de parler d’efficacité, mais le vignoble est tout de même en compétition contre un paquet d’autres vignobles à travers le monde. Ils sont plus gros, ont plus de moyens. Il y a des façons d’être plus efficace. Il faut juste s’y mettre! 

Quand?

Je ne sais pas. Il faudrait que je me trouve du temps un peu. 

*Fermentation malolactique: deuxième fermentation (après la fermentation alcoolique) qui permet de transformer l’acide malique en acide lactique en rejetant du gaz carbonique. Plus souvent pratiquée dans la production de vins rouges, elle confère de la souplesse au vin et contribue à en réduire l’acidité. 

** Stabilisation tartrique: Avec le froid, l’acide tartrique se cristallise, se qui permet de désacidifier naturellement le vin.

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