Le vin venu du Nord - Caribou

Publié le

14 février 2022

vin du nord serre
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Dans les Hautes-Laurentides, des serres abritent des précieux cépages issus de climats plus doux. La vigneronne Julie Zyromski relate le parcours atypique des Vins Zyromski, du raisin à la bouteille.

Texte de Laura Shine

«Notre sauvignon blanc, on le fait goûter à un sommelier, il n’a aucune idée d’où il se trouve dans le monde… il ne pense pas au Québec, et encore moins à Rivière-Rouge», relate la vigneronne Julie Zyromski.

Ce sauvignon blanc, c’est le produit d’une «bulle au cerveau» de Frank Zyromski.

Sa fille Julie raconte le projet étonnant qu’elle pilote avec lui: des vins de raisins cultivés sous serre dans les Hautes-Laurentides. À l’été 2021, les buveurs curieux ont pu se procurer leurs premières bouteilles.

Lancées en 1979, Les Serres Frank Zyromski produisent aujourd’hui plus de 8 millions de boutures chaque année, principalement de fleurs et de plantes ornementales. Mais il y a dix ans, le paternel se lance dans un projet un peu fou: faire pousser au nord du 46e parallèle des vitis vinifera, des vignes dites «nobles» qui produisent certains des cépages les plus reconnus du Vieux Continent.

vignes serres
Crédit photo: Renault Furlotte

Une idée qui fait hausser les sourcils, même au sein de sa famille tissée serrée. Il «réquisitionne» un tunnel pour son projet, «au grand désarroi de mon frère, qui est le directeur général des serres», rigole Julie. «On lui a dit: “Papa, c’est le rêve de tous les gentlemen farmer, ça sonne romantique, mais tant que tu n’as pas fait de vinification, tu ne sais pas dans quoi tu te lances! La vigne, c’est différent d’un géranium!”». Les agronomes aussi sont sceptiques. Si certains vignerons habiles, au sud de la province, tirent leur épingle du jeu avec du pinot noir ou du chardonnay, le merlot et le sauvignon, eux, sont plus capricieux. Cultiver ces cépages dans un climat aussi nordique, où même les vignes indigènes sont emportées par les rudesses de l’hiver, relèverait de l’exploit.

Une technologie de pointe

En 2011, 700 premiers pieds de vinifera sont néanmoins plantés en pleine terre laurentienne, protégés par une serre «intelligente» qui contrôle l’ouverture et la fermeture des panneaux pour maintenir une température adéquate. Le seul effet de serre suffit à ajouter quelques degrés décisifs et permet d’étirer la saison de deux ou trois semaines au printemps et à l’automne. Même sous la neige, la température grimpe parfois tant qu’il faut aérer pour éviter de réveiller les vignes en dormance. Les vignes survivent à un premier hiver, puis un second. La curiosité de Julie est piquée. Alors étudiante à l’Université des Sciences Gastronomiques à Pollenzo, en Italie, elle rédige son mémoire de maîtrise sur les cépages indigènes du Québec et travaille dans un vignoble là-bas pour s’initier au travail de la vigne.

Au fil des années suivantes, deux autres serres s’ajoutent, pour un total de 2500 plants: gamay, merlot, pinot noir, chardonnay, et sauvignon trouvent leur place sous les tunnels. Un investissement considérable, compensé en partie par l’installation de jardinières au-dessus des vignes, au printemps, alors qu’elles sont encore basses. La vente des paniers de fleurs permet alors d’amortir une partie des coûts.

Mais le vin, ce n’est pas que du raisin, et l’on ne s’improvise pas aisément vigneron.

«C’est très particulier: on n’a qu’une chance par année pour apprendre, pour se faire la main. Tout arrive en même temps, puis c’est fini jusqu’à l’année suivante.»

Julie Zyromski

En plus d’un agronome qui les conseille dans la culture, au duo père-fille s’ajoute Marc Desaulniers, sommelier de formation. Il compte plusieurs années d’expérience en vinification chez Osoyoos Larose, un vignoble prestigieux de la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique. Les premières années sont parsemées d’essais et d’erreurs, de vins à peine buvables. Mais dès 2017, quelque chose semble se dessiner à l’horizon. Le vin s’améliore, les techniques se raffinent.

vigne et raisin quebec
Marc Desaulniers dans les vignes - Crédit photo: Renault Furlotte

Une tempête dans un verre de vin

Un débat aussi se profile dans le chai: celui du goût. Un «clash entre le boomer et la milléniale», rigole Julie. Alors que son père préfère les palettes classiques des vins européens traditionnels, elle défend les jus nouvelle garde, plus digestes et moins épaulés. Le différend se résout par la naissance de deux gammes Zyromski. Les classiques monocépages, issus de leurs vignes sous serre, affichent une étiquette de facture plus classique. Les assemblages, pour leur part, marient les raisins vinifera et des fruits autochtones, de cépages st-pépin, la crescent et marquette, que la famille cultive sous des latitudes plus clémentes, à Laval. Ces bouteilles arborent une étiquette plus éclatée, ornée d’images colorées. Mais ne vous attendez pas à des vins «ultra-funky», cautionne la vigneronne: «on reste sur des vins droits, faits de façon minimaliste».

vin quebec
Crédit photo: Patricia Brochu

Le public a accueilli les 3500 premières bouteilles avec enthousiasme. La petite production, vendue sur place ou livrée par Julie en région montréalaise, s’est envolée rapidement. «Aujourd’hui, les gens sont intrigués par nos vins, encore plus quand ils ouvrent une bouteille. Ils sont ouverts, ils connaissent bien le vin, ils posent des questions ultra-précises! Ça a évolué très vite. Il y a cinq ans seulement, quand on a commencé à en parler, l’accueil était plus mitigé. On nous accusait de tricher à cause des serres.» Un accroc au sacrosaint concept de terroir, peut-être? «La seule chose qu’on contrôle, c’est que nos vignes ne meurent pas l’hiver. C’est le même sol, le même air, la même eau, le même soleil.» En matière de raisin, «ici, c’est un terroir qui n’existait pas. Sans serre, il n’y aurait pas de vigne possible.» Une bulle au cerveau qui, finalement, aura porté fruit.

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