Les cahiers neufs sur le coin de la table, les crayons fraîchement aiguisés, l’horaire des cours sur le frigo: pas de doute, la rentrée est bien là. Et avec elle, la charge sisyphéenne de la fameuse boîte à lunch. Trois simples mots qui provoquent des soupirs d’exaspération chez bien des parents. Et s’il était temps de raviver la cantine?
Un texte de Laura Shine
Planification, préparation, emballage, déballage, rangement: la boîte à lunch cause bien des maux de tête aux familles déjà débordées. C’est sans parler de l’équilibre nutritionnel, des goûts de la marmaille, des casse-têtes du chaud/froid, du zéro déchet et de l’interdiction d’allergènes divers à conjuguer.
Au Québec, la boîte à lunch est partie intégrante du paysage scolaire, tout particulièrement au primaire, où la majorité des enfants arrivent en classe plusieurs jours par semaine avec un repas préparé par leurs parents.
Dans de nombreux pays – en France, en Angleterre, en Finlande, en Inde ou au Japon, pour n’en nommer que quelques-uns – les enfants mangent plutôt un repas de cantine servi à frais modiques ou, dans certains cas, gratuitement.
Ce système d’alimentation à grande échelle peut avoir de nombreuses ramifications. Il peut abaisser les inégalités en fournissant à tous un repas équilibré et nourrissant, peu importe le revenu familial. Il peut offrir une stabilité financière enviable aux fournisseurs, petites fermes ou multinationales selon les circonstances et les choix politiques. Il peut servir d’intégrateur social en faisant découvrir aux enfants des plats qu’ils n’auraient pas mangés à la maison et promouvoir de saines habitudes alimentaires.
Dans certains écoles primaires de la Belle Province, on propose aussi des repas chauds. Il s’agit alors, sauf dans de très rares exceptions, d’un service offert par une entreprise externe, généralement de grande envergure, qui prépare les mets dans une cuisine centralisée et les livre dans plusieurs établissements.
C’est que la grande majorité des écoles primaires québécoises ne dispose pas – ou plus – d’une cuisine suffisamment spacieuse pour préparer les repas sur place, ni d’une personne attitrée à la cuisine.
Cette mini-série d’articles présente des communautés qui ont retroussé leurs manches pour ramener la cuisine au cœur de l’expérience scolaire. Cette semaine, l’École de Sutton en Estrie.
Créer un réseau régional
L’École de Sutton est l’une des rares à avoir conservé une cuisine suffisamment spacieuse pour nourrir tous les enfants qui la fréquentent. Jusqu’à l’an dernier, un traiteur y préparait des repas, mais peu de familles en faisaient la demande. Quand la cuisinière a pris sa retraite, un petit groupe de parents et de membres de l’équipe-école a créé l’organisme à but non lucratif (OBNL) Racine Pop pour imaginer la suite.
Grâce à des subventions et une campagne de sociofinancement, ils ont pu rénover la cuisine et mettre en place un système de commandes. Éventuellement, l’OBNL financera aussi le salaire d’un cuisinier ou d’une cuisinière; les opérations dépendent pour l’instant d’une implication essentiellement bénévole. Dès la mi-septembre, la cuisine proposera deux repas par semaine, en attendant d’augmenter ses capacités.
«Il y a plusieurs défis imbriqués dans notre projet», explique Claudia Pérez-Levesque, une des fondatrices de l’organisme. «Il y a le celui de cuisiner quelque chose qui plaît aux enfants et qui plaît aux parents. La logistique représente aussi un défi: les gens sont habitués à placer facilement des commandes en ligne. Si c’est compliqué, c’est une barrière de plus. Il faut donc développer un modèle qui facilite la vie aux familles, avec des menus santé, locaux, mais qui plaisent aussi pour pouvoir en vendre le plus possible.»


Mais au-delà du contenu de l’assiette, il s’agit d’intégrer l’alimentation et l’agriculture dans le projet éducatif des enfants en mobilisant l’ensemble de la communauté. Un Jardin des Générations accueille déjà des aînés du Centre d’Action Bénévole, qui accompagnent les petits jardiniers dans un potager dédié. En plus des récoltes du jardin, plusieurs fruits et légumes qui entreront dans la préparation des repas proviendront largement de fermes de proximité.
Mais il reste un problème de taille – littéralement.
«Ce n’est pas un modèle d’affaire viable, de nourrir les enfants dans une école. Pas dans une petite école de région, en tous les cas.»
Claudia Pérez-Levesque
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Avec des repas vendus 6,50$, difficile de se payer des ingrédients de qualité et les services d’une personne attitrée.
Pour viabiliser son projet, l’équipe souhaite donc s’associer à d’autres organismes pour livrer des repas dans les garderies, résidences d’aînés ou encore dans d’autres écoles de la région qui, elles, ne disposent pas de cuisine. Un projet pilote est d’ailleurs prévu pour cette année.
«L’idée, c’est de pérenniser l’offre alimentaire de notre école, de créer un modèle avec l’écosystème local pour éviter que la cafétéria ne ferme, comme c’est le cas pour celles de presque toutes les autres écoles.»
Claudia Pérez-Levesque
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«Ici, on a la chance d’être dans une région qui a un profil agroalimentaire exceptionnel. On est choyés: on a des agriculteurs, des producteurs de viande, des transformateurs et plusieurs autres opportunités alimentaires. Ce qu’il faut créer, ce sont des connexions entre tous ces acteurs-là afin de permettre au modèle d’être vivant et durable.»
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