Le grincement de dents de Clément Clerc: Plus, et plus vite, pour notre résilience alimentaire! - Caribou

Le grincement de dents de Clément Clerc: Plus, et plus vite, pour notre résilience alimentaire!

Publié le

31 octobre 2022

Texte de

Julie Aubé

Photo de

JHA Photographie

Clément Clerc est propriétaire de la ferme La Borderie et élève des volailles fermières à Saint-Joseph-de-Kamouraska, au Bas-Saint-Laurent. L’éleveur d’origine française a grandi auprès de parents agriculteurs ayant été pionniers – notamment avec leur table fermière – dans le mouvement de retour vers la mise en marché à la ferme au début des années 1980, dans l’Hexagone. Aujourd’hui, quand Clément pose son regard sur l’état de la situation de notre côté de l’Atlantique, il grince des dents en constatant qu’on agit à pas de tortue pour l’agriculture de proximité. 
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Clément Clerc est propriétaire de la ferme La Borderie et élève des volailles fermières à Saint-Joseph-de-Kamouraska, au Bas-Saint-Laurent. L’éleveur d’origine française a grandi auprès de parents agriculteurs ayant été pionniers – notamment avec leur table fermière – dans le mouvement de retour vers la mise en marché à la ferme au début des années 1980, dans l’Hexagone. Aujourd’hui, quand Clément pose son regard sur l’état de la situation de notre côté de l’Atlantique, il grince des dents en constatant qu’on agit à pas de tortue pour l’agriculture de proximité. 
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Pourquoi estimes-tu que les choses ne bougent pas assez pour l’agriculture de proximité? 

Malgré les aides financières existantes, plusieurs d’entre nous, petites fermes qui faisons notre mise en marché de proximité, nous épuisons. Pour nourrir nos communautés, on porte des dizaines de chapeaux, de la production à la comptabilité en passant par la mise en marché, la transformation, la communication ou le marketing, en nous tirant un salaire de misère, si bien qu’on doit souvent travailler à l’extérieur pour joindre les deux bouts. Ce qu’il faut réaliser, c’est que si on atteint le fond, on disparaît. Des idées pour multiplier les initiatives agricoles et supporter les systèmes alimentaires de proximité, on en a plein! Mais on ne se sent pas écoutés. Même qu’on se sent trahis quand on voit le gouvernement verser des millions à des industriels – comme récemment à Pepsico – au nom de l’autonomie alimentaire. Ou face au financement de méga-serres énergivores pour cultiver des concombres en hiver. Ce n’est pas cela qui nourrit notre résilience alimentaire.

Quel genre de soutien te semblerait urgent pour le système alimentaire de proximité?

Il fait combien de pages ton article? (rires). Sans blague, on pourrait par exemple imaginer des subventions pour nous aider à se dégager un salaire pour nous-mêmes, et pour trouver des bras pour travailler sur nos fermes. Ça nous aiderait à garder la tête hors de l’eau, à moins s’épuiser et à pouvoir réinvestir nos profits plus judicieusement. Il pourrait aussi y avoir des emplois financés, dans les municipalités et dans les MRC, pour développer la mise en marché de proximité sur chaque territoire. Parmi les marchés publics auxquels nous participons, il y en a un qui est géré par un employé de la municipalité plutôt que d’être la responsabilité d’un comité de producteurs-qui-manquent-déjà-de-temps. C’est moins énergivore, super bien organisé, c’est notre marché préféré!

Par ailleurs, il existe des règlements difficiles à expliquer qui nous limitent dans notre potentiel de rentabilité. Par exemple, peu de gens savent qu’un fermier est limité à 100 kg par mois de produits qu’il a le droit de transformer dans sa cuisine. Au-delà, ceux qui souhaitent nourrir leur communauté avec des plats préparés à base de leurs productions doivent… s’endetter pour se construire une autre cuisine séparée! C’est un exemple de bâton dans les roues des « petits » qui ne serait pas bien compliqué à éliminer. On pourrait aussi parler de l’accès aux terres, des cotisations uniques, des permis, des entraves pour développer un abattoir ou un espace de transformation. C’est frustrant que de tels freins persistent tandis qu’en parallèle, on supporte «les gros . Il faut déconstruire tout un système qui a été bâti au fil des décennies pour limiter l’agriculture de proximité.

Le pire dans tout ça, c’est qu’on sort à peine des élections, et on n’a à peu près pas parlé d’agriculture. C’est grave! Il y a un cruel manque de stratégie et de vision dont on va collectivement subir les conséquences si on ne bouge pas, plus et plus vite, pour notre résilience alimentaire. 

Tu parles de résilience alimentaire plutôt que d’autonomie alimentaire, pourquoi?

La résilience inclut une référence à la capacité d’adaptation. Elle invite à se poser la question: qui va nous nourrir en cas de crises? Est-ce l’agriculture industrielle, qui dépend souvent d’intrants importés et de relations commerciales internationales, dans un contexte où partout sur la planète se multiplient les crises sociopolitiques, énergétiques, sanitaires et climatiques? Ou des fermes résilientes, ancrées dans leur territoire, qui produisent et distribuent localement? Nous incarnons la résilience alimentaire, et on ne lâche pas parce qu’on y croit, mais on se sent parfois laissés à nous-mêmes – souvent sur le respirateur artificiel – alors que le développement d’un réseau de fermes diversifiées à échelle humaine est un enjeu collectif.

La ruralité, c’est ce qui nous tient en vie! Il est temps qu’on en prenne conscience et qu’on agisse – et vite! – pour consolider et soutenir le développement d’un système alimentaire de proximité structurant, vivant et nourrissant.

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