Nourriture réconfort avant le grand départ - Caribou

Nourriture réconfort avant le grand départ

Publié le

16 janvier 2023

Nathalie Boies de la maison Michel-Sarrazin
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Dans un îlot verdoyant aux abords du chemin Saint-Louis, à Québec, la Maison Michel-Sarrazin, qui compte 15 chambres, affiche toujours complet. Un lien particulier unit tous ses résidents, dont la durée de séjour varie de quelques jours à quelques mois: chaque personne qui entre ici sait pertinemment qu’elle n’en ressortira plus... Nathalie Boies est la bienveillante patronne des cuisines de cette singulière maison. Pourquoi choisir de travailler dans un lieu où le climat risque d’être assombri par la mort qui rôde? Rencontre avec la cuisinière au grand cœur de la maison de soins palliatifs Michel-Sarrazin

Texte d’Émélie Bernier
Photos de Nancy Guignard

Comment êtes-vous arrivée à la maison Michel-Sarrazin? 

Je suis native de Saint-Jean-Port-Joli. J’ai travaillé durant des années à La Roche à Veillon, un théâtre d’été où on offre des soupers-spectacles. En même temps, je m’occupais de mon père malade. Quand il est décédé en 2005, je suis venue rejoindre mon conjoint à Québec et j’ai cherché un emploi qui me permettrait de prendre soin des gens. J’étais rendue là dans ma vie. 

Qui nourrissez-vous au quotidien? 

Tout le monde! Les personnes malades, leurs proches, le personnel... Les gens qui sont admis ici prennent souvent leurs repas dans leur chambre, mais certains viennent à la salle à manger, où il règne une belle ambiance conviviale. Les gens jasent et rient; on a des moments de bonheur. On ne parle pas de maladie, mais de la vie à la maison, de nos fleurs, de la pleine lune... de tout et de rien, en fait, comme autour d’une table familiale. 

Qu’est-ce qu’on sert à manger dans une maison de soins palliatifs? 

De tout: de la lasagne, du poisson, des sandwichs, des hamburgers, des soupes maison, des salades, de la salade de fruits, du tapioca, des sundaes... On prépare beaucoup de classiques de la cuisine québécoise. Les gens nous disent souvent: «Je mangeais ça quand j’étais petit.» 

Et ce menu est offert quasiment en tout temps. Même la nuit, les gens peuvent avoir accès à des collations. Les personnes malades mangent ce qu’elles veulent, quand elles le veulent. Comme ce sont leurs derniers moments, on trouve ça important de s’adapter à leurs besoins. Si quelqu’un a envie de manger des œufs bacon à 19h30, pas de problème! 

Quel est le plus grand défi pratico-pratique que vous ayez à relever? 

Comme chef d’équipe, je dois tout avoir en stock. En plus de la carte, on a un menu du jour conçu en fonction de ce que les gens réclament. Chaque jour, on leur présente le menu, puis, quand vient le temps de servir, on adapte la nourriture à leur état. Par exemple, les plats doivent parfois être liquides ou en purée. Au besoin, on coupe la viande en bouchées. Certains malades ont aussi des intolérances ou des allergies dont il faut tenir compte. Parfois, des gens nous demandent un repas plus léger ou seulement un bouillon... On ne sait jamais combien de repas on devra servir. C’est un beau défi. 

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Qu’est-ce que la nature des lieux change dans votre façon de travailler? 

On est ici pour les résidents. On met beaucoup d’amour dans ce qu’on fait parce qu’on s’attache aux gens, peu importe la durée de leur passage chez nous. On cuisine comme à la maison. Surtout, il faut que ça goûte bon! La nourriture est une source de réconfort, c’est connu. 

Est-ce que c’est difficile de pratiquer votre métier dans une maison de soins palliatifs? 

Il faut se faire une carapace. Au début, ça me rendait très émotive. Il a fallu que j’apprenne à voir les choses autrement. Quand une personne meurt, pour que ça me rentre moins dedans, je me dis qu’elle quitte simplement la maison pour aller ailleurs. Oui, la mort, ça existe, mais pour faire ce métier, il ne faut pas trop que j’y pense. Depuis 15 ans, j’arrive à venir travailler chaque jour avec le sourire. 

«On ne parle pas de maladie, mais de la vie à la maison, de nos fleurs, de la pleine lune... de tout et de rien, en fait, comme autour d’une table familiale.»

Qu’est-ce qui vous motive à revenir à vos fourneaux chaque matin? 

Les personnes malades, sans s’en rendre compte, nous apportent quelque chose de beau et nous font voir les choses autrement. Parfois, juste un mot de leur part change notre façon de voir la vie. Et elles sont tellement reconnaissantes! Elles nous accueillent toujours avec un sourire, malgré la douleur. 

Comment décririez-vous le climat au travail? 

On a tous le même but: gâter notre monde! Quand on prépare un plat, on y met tout notre amour parce qu’on ne sait pas si, pour quelqu’un, ce sera le dernier. Et on s’amuse à faire des petites décorations dans les assiettes, pour que ce soit joli, que ça ouvre l’appétit. J’ai une très belle équipe. Je pense que quand on offre ses services pour venir travailler à la Maison Michel-Sarrazin, c’est qu’on a bon cœur. On a le souci des autres et un petit côté maternel. On rit beaucoup, entre nous et avec le personnel soignant, et aussi avec les personnes malades, mais on sait se faire discrets quand une famille vit ses derniers moments avec un proche. Les gens pensent qu’on est toujours plongés dans la tristesse; ce n’est pas vrai. On vit aussi beaucoup de moments de joie. Parfois, toute la famille et les proches se réunissent autour d’un dernier repas, pour célébrer la vie. Il y a déjà eu un baptême ici, pour le bébé d’une dame qui avait accouché pas longtemps avant de partir. Il y a même eu des mariages! La Maison est un endroit au climat très particulier. 

Est-ce que certains malades ont des souhaits particuliers pour leur dernier repas? 

Un soir, un patient m’a dit: «Demain, je m’en vais. J’ai demandé l’aide médicale à mourir. J’ai une demande spéciale: j’aimerais manger un Big Mac...» Alors, tout en m’occupant de répondre aux besoins des autres patients, j’ai fait des patates frites, une petite salade de chou et un vrai Big Mac, avec la sauce et tout. Il était tellement content... Il pleurait! Avant de partir, il m’a dit: «Que Dieu vous bénisse!» Ça m’a émue. Et puis, on m’a déjà demandé un spaghetti avec sauce aux fruits de mer, un œuf dans le trou avec du pain doré, un steak avec sauce au vin rouge, champignons et oignons... Il est aussi arrivé que des familles m’apportent pour leur proche un steak d’orignal ou des truites fraîchement pêchées. 

Qu’est-ce que vous appréciez du fait de travailler dans un milieu si singulier? 

Côtoyer les personnes en fin de vie, ça remet les valeurs à la bonne place, ça développe l’empathie et le don de soi. Même si on verse des larmes, même si on ressent de la tristesse, il y a beaucoup d’amour, de respect et de bienveillance entre le personnel et les patients. J’aimerais finir ma carrière ici. Faire naître des sourires sur les visages et faire plaisir grâce à la nourriture, c’est un travail qui a du sens pour moi. 

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Ce texte est paru à l'origine dans le numéro Climat, en novembre 2022.
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