Le plongeur vu par les restaurateurs… Verdict? - Caribou

Le plongeur vu par les restaurateurs… Verdict?

Publié le

23 mars 2023

Texte de

Sophie Mediavilla-Rivard

Photos de

Danny Taillon

Le film Le plongeur, adaptation du roman éponyme de Stéphane Larue, immerge les Québécois dans les coulisses de la restauration depuis sa sortie en salle. Cumulant des recettes de plus de 750 000$ après trois semaines en salle, l’œuvre séduit les critiques et le public, mais qu’en pensent les gens du milieu?
Film Le Plongeur
Le film Le plongeur, adaptation du roman éponyme de Stéphane Larue, immerge les Québécois dans les coulisses de la restauration depuis sa sortie en salle. Cumulant des recettes de plus de 750 000$ après trois semaines en salle, l’œuvre séduit les critiques et le public, mais qu’en pensent les gens du milieu?
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«Le Plongeur m’a habitée pendant trois jours. J’étais vraiment bouleversée. Ça m’a ramenée à mes premières années dans le domaine. Il faut dire qu’à cette époque-là, la restauration, ça ne promettait pas la gloire», commence Mélanie Blanchette, copropriétaire des restaurants Bouillon Bilk, Cadet, et de Place Carmin. Kim Côté, propriétaire de Côté Est à Kamouraska, abonde dans le même sens: «Ça m’a replongé dans mes premières jobs à Saint-Hyacinthe. C’était carrément ça, la musique, l’énergie…»

Consommation d’alcool et de drogue, insultes, stress, chaleur, bruit, manque de sommeil, c’est un cocktail pas très santé que sirotent les personnages de Stéphane Larue à petite et grande dose. «Le décor du restaurant devient un personnage, qui est complètement éclaté dans un contexte difficile qui a caractérisé la restauration [pendant] très longtemps. C’est un portrait du domaine que l’on travaille à faire disparaître», explique Robert Laporte, professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).

Le film du réalisateur Francis Leclerc dépeint avec justesse le climat de travail brutal répandu dans le milieu de la restauration du début des années 2000. Plus de vingt ans et une pandémie plus tard, l’ambiance toxique de la cuisine de la Trattoria, restaurant où a lieu la majeure partie de l’action du Plongeur, s’est beaucoup dissipée.

Des démons dans la cuisine

Jean-Christophe Rainville, ou J. C., est cofondateur de Remise en place, un organisme montréalais qui soutient les acteurs du milieu de l’hospitalité qui ont des problèmes de dépendance. Entre réseautage, réunions de groupe hebdomadaires et accompagnement personnalisé, l’organisme qui a fêté son quatrième anniversaire il y a quelques semaines contribue à réduire cette culture de l’excès.

«Les restaurants sont des milieux qui vendent de l’alcool, en quelque sorte, ce sont des dealers de drogue. Il y a aussi une culture de la célébration omniprésente en restauration.»
Jean-Christophe Rainville

Même s’il constate que le milieu est plus sain qu’auparavant, le climat montré dans Le Plongeur est pour lui encore «très réel». «C’est encore présent aujourd’hui dans certains restaurants, c’est une culture assez longue à éroder», note celui qui travaille aussi en restauration.

Le cofondateur de Remise en place voit deux sortes de personnes qui développent des problèmes de dépendance. D’abord, ceux qui se dirigent vers le milieu de l’hospitalité parce qu’ils ont déjà tendance à consommer. «C’est une place de party, un environnement qui correspond à leurs envies.» Ensuite, ceux qui se lancent en cuisine par passion, mais qui s’empêtrent dans les tentations ubiquistes. «Certains restos à Montréal offrent jusqu’à quatre consommations gratuites par soir à leurs employés; c’est là que les problèmes débutent.»

Il rassure toutefois: les changements du milieu permettent maintenant de choisir un employeur qui priorise la santé mentale. Avant de raccrocher, J. C. lance avec confiance: «Il y a de l’espoir!»

Le grand nettoyage

C’est le cas à Côté Est, où le modèle d’entreprise a évolué pour mettre l’humain en priorité, avant le business. Par exemple, le restaurant n’est ouvert que quatre jours par semaine, les salaires et les conditions de travail sont meilleurs. «Quand tu travailles 90 heures semaine, tu n’as pas le temps de te reposer et de faire une autre chose de ta vie. Je ne retournerais jamais à ça», explique Kim Côté, le propriétaire, qui a arrêté de consommer il y a cinq ans.

Ces nouvelles pratiques axées sur le respect ont été propulsées par la pandémie. «La réinvention [de l’éthique de travail], ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire sur le coin d’une table», affirme Robert Laporte, qui croit que c’est l’arrêt forcé qu’a provoqué la pandémie qui a permis à certains de revoir leurs façons de faire. «C’est le restaurateur qui doit prendre un pas de recul, changer sa façon de communiquer, d’encourager, de valoriser et de mobiliser son équipe.» Le professeur à l’ITHQ souligne que de tels gestes amplifient le sentiment d’appartenance des employés envers leur milieu de travail.

«Quand la brigade se transforme en communauté, on identifie très certainement des ingrédients pour avoir une équipe pérenne, c'est-à-dire une équipe solide à long terme.»
Robert Laporte

D’ailleurs, malgré toute l’agressivité qui divise les personnages dans la Trattoria, la fraternité qui les unit est presque aussi palpable. «Il y a le désir d’appartenir à un clan. Tout le monde dépend de tout le monde, mais est 100% lui-même là-dedans», mentionne Mélanie Blanchette. Cette authenticité se vit sans compromis dans Le Plongeur, ce qui engendre plusieurs débordements.

Cela arrive moins aujourd’hui, selon Kim Côté. «Chez Côté Est, c’est toujours le même sentiment de famille qui nous habite, mais on est beaucoup plus respectueux envers soi, envers les autres et envers le métier aussi», avance le chef kamouraskois.

La valorisation d’un métier

Mélanie Blanchette a passé une bonne partie de sa carrière à se faire demander: «tu es serveuse, mais à part ça, qu’est-ce que tu fais dans la vie?» Cette idée que la restauration n’était pas un métier en soi a selon elle longtemps terni le milieu. Et elle a été exacerbée par la pandémie, alors que 57 000 travailleurs du secteur de la restauration au Québec ont démissionné entre 2019 et 2021. «On s’est fait dire deux fois plutôt qu’une qu’on n’était pas indispensables», s’exclame la restauratrice.

Pour Kim Côté, un goût amer persiste quand on parle de reconnaissance. «On dirait que c’est comme un sous-métier, être restaurateur», déplore-t-il. Il espère une aide gouvernementale, des subventions et des formations, surtout en pleine période de pénurie de main-d’œuvre.

Des œuvres de fiction comme le long métrage de Francis Leclerc permettent au public de changer leur perspective face aux assiettes qui arrivent sur leurs tables. «Le Plongeur, ça donne l’opportunité de parler de notre milieu, qui peut être un endroit sain et épanouissant, ce qu’on n’a pas l’impression dans le film», souligne Mélanie Blanchette, qui remarque, malgré tout, un mouvement qui s’instaure de valorisation grandissante des artisans du milieu de l’hospitalité qui orchestrent des moments délectables, service après service.

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