Les défis de l’approvisionnement alimentaire de Fermont - Caribou

Les défis de l’approvisionnement alimentaire de Fermont

Publié le

28 mars 2023

Mur Fermont
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Malgré son célèbre «mur» érigé en 1976 sur une quinzaine de mètres de haut pour protéger ses résidents du fort vent du nord et qui s’étire sur 1,3 kilomètre, la ville de Fermont ne bénéficie guère d’un microclimat qui lui permettrait une certaine autosuffisance alimentaire, et ce même durant les courts mois d’été. Fini aussi le temps des jardins communautaires sous serres gérées par le Club social de Fermont de 1982 à 1993. Quasi-collée au 53e parallèle nord et à deux pas du Labrador, la cité minière nord-côtière n’est pas à l’abri des défis en matière d’approvisionnement, notamment alimentaire, mais les idées ne manquent pas pour les relever.

Texte et photos d’Anne Pélouas

Fermont a certes «la chance» d’être reliée au reste du Québec par la route mais pour l’atteindre, il faut parcourir 565 kilomètres au nord de Baie-Comeau sur la fameuse «389», route asphaltée seulement en partie, souvent gelée durant l’hiver et parfois fermée pour cause d’intempéries. 

L’une des extrémités du «mur» de Fermont

Une Coop compétitive

Installée dans le «mur-édifice», qui abrite quelque 400 logements, de nombreux services municipaux, éducatifs et de santé, une aréna, une piscine et un petit centre commercial, la Coopérative des consommateurs de Fermont est la seule grosse épicerie locale mais avec deux concurrents de taille à Labrador City, à 25 kilomètres: un IGA et un Walmart.

Luc Ouellet, directeur général de la Coop de Fermont

Luc Ouellet a quitté une retraite tranquille en République dominicaine après 40 ans dans le secteur de l’alimentation pour en reprendre la direction en mai 2022. L’ancien formateur à la Fédération des coopératives d’alimentation du Québec a eu du pain sur la planche. «Nous avons réaménagé l’épicerie en y ajoutant plus de 1500 produits et beaucoup de fruits et légumes mais, en ce moment, en plus des problèmes de pénurie de main-d’œuvre et de logement, on vit des ruptures de stocks dues à la robotisation en cours des entrepôts de notre approvisionneur et de sérieux enjeux de transport».

On se croirait presque revenu en 1978 quand cette coop a vu le jour grâce au fonds de grève des mineurs membres du Syndicat des métallos qui voulaient contrer, comme aujourd’hui, les problèmes d’approvisionnement et de coûts de transport de denrées alimentaires!

À voir ses étals et ses étagères très bien garnis, avec des prix à peine plus élevés qu’à Montréal, ces difficultés n’apparaissent pas évidentes. «La semaine dernière, raconte toutefois Luc Ouellet, j’attendais un camion qui devait me livrer entre autres une palette de fruits et légumes. Deux jours plus tard, on a su que le camion avait été oublié dans l’entrepôt du transporteur à Wabush, une petite ville site à l’ouest du Labrador. Résultat: tous les fruits et légumes ont gelé.»

La Coop, ajoute-il, achète du stock pour 8,5 millions de dollars par an et sur les dix derniers mois le transport lui a coûté 550 000$, sans compter une surcharge de carburant de 135 000$! «Métro Richelieu nous donne 30 000$ par année pour le transport. C’est mieux que rien mais il faudrait hausser nos prix de plus de 10% pour absorber un peu ces coûts. La Coop préfère ajouter des items et faire du volume en proposant beaucoup de spéciaux pour récupérer de meilleures ristournes des grossistes. C’est ma stratégie pour faire face à la concurrence et ne pas augmenter trop les prix».

Reste que le magasin, comme tous les autres commerces de Fermont, demeure à la merci du transporteur routier avec lequel elle fait affaire et de la volatilité du prix du carburant.

S’unir pour trouver des solutions

Pour tenter d’améliorer la situation, la MRC de Caniapiscau et la Chambre de commerce de Fermont ont créé un comité et demandé aux entreprises et organismes locaux de se pencher, avec eux et la ville, sur la problématique du transport de marchandises. Pour Mélanie Roy, agente de développement économique à la MRC, les constats sont clairs: ces dernières années, souligne-t-elle, la surcharge de carburant a eu un impact majeur ici sur le coût des produits frais et surgelés; de plus, la demande pour ces produits est plus forte que ce à quoi peuvent répondre les transporteurs actuels, ce qui joue aussi sur les prix.

À ce stade, ajoute-elle, «on voudrait tester rapidement des solutions, comme la mutualisation des achats», si possible en provenance de la même ville, voire chez des mêmes fournisseurs, afin de remplir des camions. Autre solution avancée par plusieurs: convaincre un transporteur d’avoir un entrepôt à Fermont, pour faciliter la gestion des stocks, plutôt que d’utiliser ceux de Labrador City.

Deux autres projets sont sur la table: la création d’une coopérative de transport dont les membres mutualiseraient leurs achats et qui s’occuperait de la logistique du transport, ou la location d’un camion clés en mains, avec chauffeur, solution qui a la faveur de Luc Ouellet: «on ferait notre propre transport, selon nos propres règles».

L’aide financière de la Société du Plan Nord, créée par le gouvernement du Québec pour le développement au nord du 49e parallèle, pourrait aussi être sollicitée, conclut Mélanie Roy, au moins pour une étude plus approfondie.

Entrepreneurs au front

À Fermont, certains mènent leur propre barque, comme Guy Simard qui a fait sa place depuis dix ans dans le commerce local. Son pickup avec remorque pleine de congélateurs est stationné tous les jours, un mois sur deux, près de l’unique station-service locale. Le spécialiste en produits surgelés haut de gamme mène une «double vie», passant un mois à sa résidence de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, près de Québec, et le mois suivant à Fermont. «Ici, je suis un vrai colporteur de produits de la terre et de la mer», dit le propriétaire d’Aliments Guy Simard. Ses congélateurs «mobiles» contiennent autant des poissons, des fruits de mer et de la viande en tout genre que des plats cuisinés: tourtes de canard, feuilletés au poulet, pizzas aux fruits de mer, fruits et desserts…

De 10h à 18h, il attend les clients dans son pick-up. Une compagnie de transport lui livre chaque semaine, quand il est là, ses palettes de produits surgelés. Direction: son petit entrepôt, à l’arrière de la maison mobile où il vit à mi-temps. À partir du mois d’avril, place aussi au crabe des neiges, au homard et à la crevette directement livrés de la Côte-Nord et très attendus à Fermont.

Guy Simard devant sa remorque de produits surgelés

Originaire de Montréal, Francine Marcoux est un autre pilier de la communauté fermontoise. Horticultrice diplômée de l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec de Saint-Hyacinthe, elle a été embauchée en 1985 pour s’occuper des six grosses serres de fruits et légumes existant à l’époque. Elle n’est plus repartie. Spécialiste reconnue en agriculture et horticulture nordique, elle a créé en 2000 Pousse-Partout!, une entreprise de jardinerie, d’entretien et d’aménagement paysager. Elle y produit depuis, sous serre ou à l’extérieur, des fruits et des légumes, des fleurs, des plantes, des arbres et des arbustes. «J’ai offert des paniers bio de 2012 à 2020 mais je m’oriente davantage aujourd’hui vers la production de plantes rustiques, de verdures et de fines herbes ainsi que vers l’agrotourisme».

Membre de Terroir et Saveurs du Québec, elle travaille pour cet été sur un projet de jardin de démonstration et d’ateliers «pour aider les gens à produire eux-mêmes» car pour cette passionnée de 64 ans, «c’est fantastique de cultiver dans le nord».

Cultiver localement, avec beaucoup de contraintes climatiques, ne résoudrait certes pas le problème plus global d’approvisionnement alimentaire à Fermont mais les petits ruisseaux font les grandes rivières…

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