Les grandes dames de la culture culinaire québécoise - Caribou

Les grandes dames de la culture culinaire québécoise

Publié le

06 mars 2023

Texte de

Roxane Léouzon

Par leur façon de voir les choses et leur implication, certaines femmes marquent leur milieu et leur époque. Quelles sont celles qui ont le plus influencé la culture culinaire du Québec au fil du temps? En 2020, pour la sortie de notre numéro Femmes, nous avons posé la question à une trentaine de personnes du milieu de l’alimentation. Voici les femmes qui occupent les deux premières positions de notre palmarès.
Josée di Stasio
Par leur façon de voir les choses et leur implication, certaines femmes marquent leur milieu et leur époque. Quelles sont celles qui ont le plus influencé la culture culinaire du Québec au fil du temps? En 2020, pour la sortie de notre numéro Femmes, nous avons posé la question à une trentaine de personnes du milieu de l’alimentation. Voici les femmes qui occupent les deux premières positions de notre palmarès.
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Première position: Jehane Benoit ou l’éducation culinaire des Québécois 

«Avons-nous une cuisine canadienne? Oui, mais nous avons surtout une cuisine québécoise», écrit Jehane Benoit dans l’avant-propos de son Encyclopédie de la cuisine, parue en 1963. Elle explique ensuite les diverses influences qui se sont exercées sur notre cuisine, celle des colons français, puis anglais, ainsi que celle des Premières Nations, notamment. Elle fait l’éloge du gibier, des fèves au lard, du pâté au poulet, des recettes à l’érable. La grande dame incite enfin ses lecteurs à développer leur «personnalité culinaire», puisque «la recette est un thème sur lequel chacun improvise». Cette pionnière savait-elle, en écrivant ces mots empreints de fierté nationale, à quel point elle contribuait à façonner la cuisine québécoise et continuerait à la faire évoluer, en s’introduisant dans les chaumières de plus d’un million de familles et en provoquant leur éveil gourmand? 

Retournons quelques années en arrière. Jehane Patenaude est née en 1904 à Montréal dans un milieu aisé. À 18 ans, éprise de découvertes, elle part à Paris, où elle étudie d’abord à l’école de cuisine Cordon Bleu, puis en chimie alimentaire à la Sorbonne, après avoir été découragée de faire du théâtre. Alors qu’elle aurait pu faire carrière sur le Vieux Continent, l’amoureuse des saveurs décide plutôt de revenir au Canada pour «révolutionner la nourriture de son pays». 

Cette révolution commence par des cours de cuisine, en français et en anglais. Son école Le Fumet de la Vieille France, dans l’ouest de Montréal, accueillera au fil des ans 8000 élèves, essentiellement des femmes. Afin de nourrir ses apprenties (entre autres!), la professeure ouvre en 1935 un restaurant –qui serait encore tendance aujourd’hui, considérant la vogue actuelle de la mouvance végétarienne et santé–, The Salad Bar. La formule fait fureur auprès des travailleurs montréalais. C’est à cette époque qu’elle rencontre l’homme d’affaires Bernard Benoit, qui a 13 ans de moins qu’elle et qui deviendra son deuxième mari. 

La renommée de Jehane prend de l’ampleur. Elle écrit des chroniques culinaires dans des magazines et participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision. Son bilinguisme permet à cette spécialiste chaleureuse, pédagogue et distinguée d’être vue et entendue partout. L’ambitieuse cuisinière entreprend la rédaction d’une trentaine de livres de recettes, dont sa fameuse Encyclopédie. Elle favorise l’ouverture d’esprit des Québécois en proposant des recettes d’origine étrangère, comme des lentilles à l’indienne ou du riz frit à la chinoise. 

Même après avoir déménagé avec Bernard sur une ferme de moutons à Sutton, Jehane ne prendra jamais vraiment sa retraite. Dans les années 1970 et 1980, elle se prend d’affection pour le micro-ondes. La vulgarisatrice en défend la sécurité et l’aspect pratique dans plusieurs recueils, dont La cuisine micro-ondes. Elle accepte même d’être ambassadrice pour la marque Panasonic, qui fabrique ces appareils. En 1973, l’importance de Jehane Benoit pour notre culture est reconnue de manière officielle, puisqu’elle obtient l’Ordre du Canada, un prix remis par le gouverneur général. 

Jehane Benoit meurt en 1987. Une génération de Québécois qui ne l’ont pas connue de son vivant a grandi en mangeant de nombreux mets tirés de sa bible maintes fois rééditée. Les techniques de base pour apprêter et cuire les aliments qui s’y trouvent en font un ouvrage de référence encore de nos jours. Mais les recettes de madame Benoit sont-elles d’actualité? Allez tester son porc aux champignons, vous nous en donnerez des nouvelles! 

Les jurés ont dit d’elle: 

«Elle a été sûrement, et pendant longtemps, la femme qui a le plus influencé tous ceux qui touchaient de près ou de loin à la cuisine. Pour ma génération et pour celles qui l’ont précédée, elle était LA référence. Dans presque tous les foyers, il y avait une copie bien usée de son livre. Elle a ainsi appris à des milliers de Québécois à cuisiner.»  — Véronique Rivest, sommelière et propriétaire de Soif Bar à vin

«Une savante, une femme émancipée et avant-gardiste, soucieuse du travail bien fait et de la transmission des connaissances au plus grand nombre. Grâce à sa formation de chimiste,
elle a pu donner une foule d’astuces qu’on trouvait uniquement dans les livres sur la science des aliments. Des infos importantes pour aider à mieux comprendre et à mieux réussir la cuisine.» — Hélène Laurendeau , nutritionniste

«Sa force principale a été de diffuser le patrimoine de nos fondateurs français et britanniques tout en étant ouverte aux autres cultures.»

Michel Lambert, auteur des ouvrages Histoire de la cuisine familiale du Québec 
Illustration de Marie-Eve Turgeon

Deuxième position: Josée di Stasio et le plaisir de manger 

Josée di Stasio est un chouchou du public. En témoigne son abonnement aux prix Gémeaux, qu’elle a remportés à plusieurs reprises pour son émission À la di Stasio, diffusée sur les ondes de Télé-Québec de 2002 à 2014. On ne compte pas les effusions de joie lorsque l’animatrice a annoncé, en 2016, son retour en ondes après une pause de deux ans pour combattre un cancer du sein. 

Cette autodidacte de la cuisine a étudié en communications et a entamé sa carrière comme styliste pour les animatrices de télévision Marie-Josée et Claudette Taillefer. Elle a peaufiné ses connaissances par observation, par instinct et par plaisir. «Avec Daniel Pinard d’abord, puis en solo, elle est la bougie d’allumage qui a conduit à l’explosion des émissions culinaires. Elle a contribué à changer profondément notre rapport à l’alimentation, au plaisir de manger, à la beauté du geste», estime le comédien et animateur Christian Bégin. 

Le public se sent proche d’elle, même si Josée di Stasio, qui est née à Montréal d’une mère québécoise et d’un père italien, ne révèle presque rien de sa vie personnelle dans les médias. La discrète épicurienne met plutôt l’accent, dans ses émissions, sur les rencontres avec les autres. Ses cinq livres de recettes et ses centaines d’épisodes télévisuels sont une invitation à se mettre à table en famille et entre amis. 

Heureusement, l’œuvre de cette gastronome très créative est loin d’être terminée. Elle a lancé à l’automne 2019 un tout nouveau site Internet et deux livres de recettes en 2022. En outre, plus de 66 000 fans la suivent sur Instagram, où elle publie ses idées culinaires. On a déjà hâte à son prochain projet! 

Les jurés ont dit d’elle: 

«Si on recule de 20 ans, à l’époque où on n’avait pas encore le réflexe de tout chercher sur Google quand on voulait savoir ce qu’étaient une focaccia ou une burrata, Josée était là pour l’expliquer. Grâce à sa grande culture culinaire et à son héritage familial italien, elle a su démocratiser la cuisine européenne et la rendre accessible au public québécois.» — Madeleine Dufour, distillatrice à la Maison Maurice Dufour

«Elle a su transmettre au public québécois sa passion pour la cuisine en abordant chaque recette dans le plaisir et la simplicité, en laissant primer le goût et l’intuition sur la méthode.»
— Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles du Québec (en 2020)


Pour connaître les femmes en troisième, quatrième et cinquième position du palmarès, toutes celles qui ont été nommés, ainsi que la composition du jury, procurez-vous le numéro Femmes.

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