Les promesses d’un resto «durable» - Caribou

Les promesses d’un resto «durable»

Publié le

18 mars 2023

Tim Moroney, chef du restaurant durable Alentours
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En 2021, le chef Tim Moroney et l’équipe du restaurant Alentours se sont donné une mission: s’approvisionner uniquement dans un rayon de 150 kilomètres de leur point d’ancrage, le quartier Saint-Sauveur, à Québec. Deux ans plus tard, le défi est relevé avec panache. Le resto fait sa place dans le milieu de la gastronomie, tout en donnant l’exemple d’une restauration durable. Portrait d’un établissement différent des autres, dans son menu comme dans son organisation.

Texte de Benoit Valois-Nadeau

Lorsqu’on le joint au téléphone, Timothy Moroney a un problème sur les bras: ses réserves d’oignons commencent à se tarir. Un détail en apparence banal, mais qui reflète bien la réalité d’une restauration ultralocale.

La fin de l’hiver et le début du printemps, alors que les réserves s’épuisent et que les premières récoltes sont encore loin, représentent donc un moment charnière pour cette adresse gastronomique, qui s’est taillé une place au palmarès 2022 des meilleurs nouveaux restaurants canadiens du magazine enRoute d’Air Canada.

«En ce moment, on commence à avoir de gros défis, on ne le cachera pas», admet le sympathique chef américain, installé au Québec depuis une douzaine d’années. «Ce n’est pas nécessairement une question de saisons ni de réserves, c’est plutôt lié à la réalité 2022 des agriculteurs. Beaucoup de maraîchers dans notre coin n’ont pas réussi à atteindre une belle maturité au niveau de leurs oignons. Les possibilités de conservation sont donc moins grandes.»

Malgré cet écueil qui lui demandera de dénicher cet ingrédient essentiel à l’extérieur de ses circuits habituels, Tim Moroney ne déroge pas de la formule qu’il a adoptée pour son premier restaurant. Dans la cuisine d’Alentours, seuls trois ingrédients dépassent la limite fixée du rayon de 150 kilomètres : le sel, la levure et le lait. Les quelque 65 autres producteurs indépendants et écoresponsables avec qui il fait affaire sont concentrés dans les environs de la capitale nationale. Pour la carte des vins et des cidres, le rayon s’élargit à 250 kilomètres.

Planification

Le concept, adopté pour des raisons d’écoresponsabilité, demande une planification à court, moyen et long terme. Le menu est renouvelé toutes les trois semaines en fonction des arrivages. L’inventaire des réserves est effectué chaque semaine, et non une fois par mois, comme c’est normalement le cas dans d’autres restaurants.

«Notre défi, c’est que les clients mangent aussi bien en mars qu’à la fin août, explique le chef, qui a fait ses armes chez Boulay et au Légende, notamment, deux restaurants de Québec. Le grand problème de l’approvisionnement de proximité, ici, ce n’est pas la variété, c’est la saisonnalité. On a beaucoup de produits, de bons volumes et des entreprises de qualité, mais c’est disponible pendant une courte période de l’année.»

Une bonne partie du travail de l’équipe d’Alentours est donc consacrée à la transformation et à la conservation des aliments: marinade, lactofermentation, mise en conserve ou congélation. La salle à manger ne représente d’ailleurs que le tiers de la superficie du restaurant. Le reste est consacré à la cuisine, à la cave à vins et aux espaces de conservation et de congélation. À noter que le commerce composte tous ses déchets et n’utilise pas de cuisinières au gaz, mais seulement à l’électricité.

Variété

Ce travail en amont ne signifie pas pour autant un menu monotone. Au moment de l’entrevue, le chef Moroney était à élaborer sa prochaine carte, qui comprend notamment un risotto aux champignons, céleri-rave et ail noir, un burger de porc et une tartelette aux fraises et espuma de romarin.

«Chaque saison, on retrouve des ingrédients et des préparations d’autres saisons. Par exemple, des produits qu’on a préparés en hiver, comme des légumes noircis, vont aussi apparaître sur le menu en été. On essaie d’avoir un cycle annuel et on pense à long terme», soutient le jeune trentenaire, qui a commencé à plancher sur le projet en 2017.

À ceux qui lui demandent à quelle famille culinaire se rattache Alentours, Tim Moroney n’a pas de réponse toute faite. Il se dit très ouvert à la diversité, tant dans les saveurs que dans les techniques. De toute façon, «ce qu’on vend, ce n’est pas que le menu, c’est aussi l’expérience», dit-il.

Une expérience qui repose en grande partie sur les employés du resto.

«On essaie de partager le plus d’informations possible aux invités sur la façon dont on s’approvisionne, sur nos techniques de revalorisation de la matière en cuisine, sur l’importance de faire ces choix pour la société, etc. On veut rester dans le positif, mais expliquer pourquoi ces choix sont intéressants pour un restaurant.»

Et comme Alentours ne fait rien comme les autres, il se peut que ce soit le sommelier ou Tim lui-même qui vous explique tout cela lors de votre visite. Car, dans l’établissement de la rue Saint-Bernard, on insiste sur l’un des piliers du développement durable souvent oublié: l’humain. Les cuisiniers peuvent accueillir les clients, et les serveurs faire la vaisselle, selon les besoins du moment. Les pourboires sont partagés équitablement, et les employés à temps plein gagnent tous le même salaire.

«Toute l’équipe est dans le monde de la restauration depuis longtemps et on est tous très conscients du fait que n’est pas une industrie très durable: la gestion des déchets, l’énergie qu’on utilise, mais aussi la gestion et la rémunération des employés. […] On a donc voulu devenir un exemple pour le milieu et pour tous ceux qui voudraient prendre le risque d’un modèle différent», conclut le chef propriétaire.

Alentours — 715, rue Saint-Bernard, Québec. restaurantalentours.com

De nombreux émules

La formule Alentours est originale, mais sa philosophie n’est pas unique au Québec. D’autres restaurants de la province ont pris la voie du locavorisme. C’est le cas, notamment, de O’Thym (1112, boulevard de Maisonneuve, Montréal), qui offre un menu à 99% québécois, et ce, 12 mois par année. Le restaurant, qui est dans les affaires depuis presque 20 ans, a notamment remporté le prix Restaurateur 2022 de la part d’Aliments du Québec au menu, pour souligner son engagement durable envers la production agricole locale. Parmi les finalistes, on retrouvait aussi La Belle Histoire (75, Chemin Masson, Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson), qui privilégie les circuits courts dans les Laurentides, et Côté Est (76, avenue Morel, Kamouraska), qui met en vitrine l’incroyable richesse des produits du Saint-Laurent. Puis, à Vallée-Jonction, en Beauce, L’Introuvable (262, rue d’Assise) s’est donné pour mission de faire rayonner les producteurs de Chaudière-Appalaches sous le mot d’ordre «local et responsable». L’établissement du chef Maxime Lizotte s’approvisionne à plus de 75% de producteurs de la région environnante.

Ce texte est paru à l’origine dans les pages du quotidien Le Devoir, le 4 mars 2023.

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