Hugue Dufour, l'inclassable chef canadien-français de New York - Caribou

Hugue Dufour, l’inclassable chef canadien-français de New York

Publié le

19 avril 2023

Texte de

Audrey Lavoie

Photos de

Maude Chauvin

Au Québec, on le connaît comme un des disciples du chef Martin Picard. L’étiquette «Pied de Cochon» le suit encore, même s’il a quitté Montréal depuis une quinzaine d’années. À New York, sa terre d’accueil, il est connu comme le «French Canadian Chef». Mais en réalité, Hugue Dufour est difficile à catégoriser. «Les gens ne savent pas où me mettre», admet-il. Caribou est allé rencontrer l’homme dans son quartier d’adoption, à Long Island City, pour lui parler de culture culinaire, de steak et du Québec. 
Hugue Dufour M. Wells
Au Québec, on le connaît comme un des disciples du chef Martin Picard. L’étiquette «Pied de Cochon» le suit encore, même s’il a quitté Montréal depuis une quinzaine d’années. À New York, sa terre d’accueil, il est connu comme le «French Canadian Chef». Mais en réalité, Hugue Dufour est difficile à catégoriser. «Les gens ne savent pas où me mettre», admet-il. Caribou est allé rencontrer l’homme dans son quartier d’adoption, à Long Island City, pour lui parler de culture culinaire, de steak et du Québec. 
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Originaire d’Alma, au Lac-Saint-Jean, Hugue Dufour quitte sa région à l’âge de 16 ans pour aller «rien faire» à Montréal. Il finit tout de même par étudier la cuisine au Centre de formation professionnelle Calixa-Lavallée, à Montréal-Nord, mais se fait «mettre à la porte» avant d’avoir son diplôme. Cela ne l’empêche pas d’obtenir un stage auprès de Normand Laprise au Toqué!, sis à l’époque sur la rue Saint-Denis. Quelques années plus tard, il atterrit au Pied de Cochon, chez Martin Picard, avec qui il fait les 400 coups. Au début des années 2000, le jeune chef a le vent dans les voiles. En 2008, arrivé à une «espèce de croisée des chemins» et tombé amoureux d’une jolie New-Yorkaise, Sarah Obraitis, il décide de s’exiler dans la métropole américaine.

C’est en 2010 que l’histoire commence réellement. Le couple emménage à Long Island City, un arrondissement du Queens qui n’avait rien de glamour à l’époque, avec l’idée d’ouvrir un magasin général. D’ailleurs, le «M.» de M. Wells – le nom que portera plus tard son restaurant – renvoie à magasin et non à monsieur, comme bien des francophones le croient.

«On voulait offrir aux gens un magasin général où ils auraient trouvé des peaux, des fourrures pour les designers, des jouets en bois, de la literie, des couvertes en laine, un coin épicerie, et, parce que j’ai toujours aimé ça, une petite section plomberie», précise l’homme qui nous reçoit à l’arrière de son restaurant quelques heures avant le coup de feu du soir. «Un commerce avec des choses usuelles dont t’as pas vraiment besoin, mais qu’ostie que t’en as besoin quand tu les vois en entrant dans le magasin!»

La naissance de M. Wells

Devant le condo où ils s’installent alors, sa compagne et lui, il y a un joli petit diner, toujours fermé et un peu décrépit. Intrigués, ils finissent par aller le visiter, «et là, l’idée du magasin n’a plus de sens», continue Hugue. C’est dans ce local qu’ils ouvriront leur premier restaurant. Après quelques rénovations, le M. Wells voit le jour, un diner qui connaît un succès instantané et qui est encensé par le prestigieux New York Times.

«On a attiré l’attention parce que l’idée d’ouvrir un diner était bizarre. Et le timing était quand même extraordinaire: on était vers la fin de la crise économique. Le diner, aux États-Unis, c’est comme un Parents-Secours. Tu vas y frapper quand t’es mal pris. Tu vas manger n’importe quoi, à n’importe quelle heure de la journée, pour pas trop cher», raconte le grand gaillard qui avoue que tout ce qu’il connaissait de ce type de restaurant lui venait de la série télé Twin Peaks.

L’engouement est aussi intense que bref. Un an plus tard, ils doivent fermer en raison d’une hausse de loyer exorbitante: le propriétaire, cupide, fait passer le loyer de 2000$ à 37000$ par mois!

Hugue s’installe alors au MoMA PS1, un musée d’art contemporain situé dans le Queens, et sert des lunchs au M. Wells Dinette. Pendant ce temps, le couple continue à chercher l’emplacement de son prochain restaurant, qui sera lui aussi dans ce quartier en pleine transformation.

«Long Island City, ça a changé immensément. Il y a 20 ans, c’était un des coins les plus dangereux de New York. C’est ici que tu venais crisser ton char volé dans la rivière. C’était la mecque de la prostitution. Il y a eu 75 000 nouveaux arrivants dans les trois dernières années. C’est deux fois Alma [NDLR : sa ville natale], dans un quartier à peine gros comme le Plateau-Mont-Royal. C’est une partie de la ville où il n’y avait personne, où tout est encore en construction. On a été un agent d’embourgeoisement», dit-il avec une certaine fierté.

Depuis 2013, c’est au M. Wells Steakhouse que le chef officie, dans un ancien garage sur Crescent Street, non loin du premier M. Wells.

En arrivant au M. Wells Steakhouse, on se sent un peu comme chez nous. Une corde de bois orne l’entrée, une vieille paire de patins de hockey est accrochée dans la salle de bain et un bassin plein de truites est encastré dans le comptoir de la cuisine à aire ouverte… On flaire le Québécois.

«Au début, tout le monde me demandait: “Dis-moi, Hugue, qu’est-ce qu’il y a de québécois sur ton menu?’’ Et je répondais: “Moi !’’, raconte le chef, qui a conservé son fort accent jeannois malgré toutes ses années en sol américain. Les clients m’ont forcé à mettre de la poutine à mon menu, mais je ne voulais pas», ajoute Hugue, qui reçoit beaucoup de clients du Québec depuis le début de son aventure new-yorkaise.

Ce n’est pas qu’il renie ses origines, non. C’est plutôt qu’il s’intéresse à plein de choses. «Je ne fais pas de la cuisine québécoise ni de la cuisine française. J’essaie de faire une cuisine d’ici. Le terroir de New York, c’est les gens, qui arrivent de partout. Ce qui m’importe, c’est de comprendre où je suis. Le Queens, c’est le monde; il y a de tout ici. Ça serait stupide de se fermer à ça. Je cuisine avec des bases et des techniques françaises, mais je mélange toutes ces influences. Et je mets du sirop d’érable partout!»

«À New York, je suis un chef canadien. C’est drôle parce que je suis devenu ce que je n’aimais pas: un chef canadien-français. Mais je suis de plus en plus considéré comme un chef québécois, et c’est ce que je veux être.» 
Hugue Dufour

À la conquête du milieu

Cette fascination pour les gens, il l’avoue, lui vient de Martin Picard, avec qui il a travaillé de nombreuses années au Pied de Cochon, puis à la Cabane du Pied de Cochon, qu’il a rénovée de fond en comble pendant un an avant d’en devenir le chef pour la première saison. Bien que cette étiquette «Pied de Cochon», associée à la démesure et à l’excès, lui colle encore à la peau et ait contribué à sa renommée, il affirme s’être assagi ces dernières années.

Il fait maintenant les choses à sa façon dans cette ville qui n’est pas la sienne, mais à laquelle il appartient maintenant; dans ce quartier de Long Island City qu’il a contribué à sortir de la marge, avec Sarah qui, en plus d’être son associée, est devenue sa femme et la mère de sa fille, Crystal-Loup.

«Quand nous avons ouvert ici en 2013, nous étions la nouveauté la plus attendue par les critiques gastronomiques new-yorkais. On parlait juste de nous! Nous avons eu une grosse ouverture, débile, se souvient le chef. Les gens sont fous; ils arrivaient ici et essayaient tout le menu. Tu ne peux pas manger trois steaks en un repas, tsé!»

Il obtient même en 2014 une étoile Michelin, une première pour un Québécois. «Les Français sont fascinés par la côte de bœuf américaine. La plupart des steakhouses ont des macarons Michelin», explique Hugue, qui a eu son étoile trois ans, mais qui ne l’a plus aujourd’hui.

«Le steak… ça fascine les Français et c’est quasiment une religion pour les Américains. Ces derniers arrivent avec des idées bien arrêtées sur ce que devrait être un steakhouse. Autant personne ne me montrera à faire une poutine, autant le steak aux États-Unis, c’est sacré. Moi, les steaks, je trouve ça bon, mais c’est une excuse pour faire des à-côtés et pour surprendre les gens. Je les amène dans quelque chose qu’ils connaissent pour leur faire découvrir plein d’autres choses. Ça fait que je fourre tout le monde. C’est pas mon but, mais j’aime ça. Ça démocratise, ça rassemble», reconnaît Hugue, l’air taquin.

Aux côtés des steaks de bœuf vieillis ou des steaks wagyu, on trouve autant une truite au bleu – pêchée à la dernière minute dans le bassin de la cuisine – que des huîtres ou des salades gourmandes, comme la M. Wells Caesar, qui arrive complètement recouverte de parmesan.

Hugue Dufour, c’est le chef qui change l’ordre établi, qui fait à New York comme on fait à Montréal. «À Montréal, tu manges bien partout. Il n’y a pas de super haut de gamme ni de super bas de gamme. Contrairement à ici où tu peux manger dans un deli un croissant enveloppé dans de la cellophane accompagné d’un gigantesque café, ou encore dans des restaurants que personne ne peut se payer. Moi, j’ai osé prendre le milieu, parce que c’est ce que je connais. J’ai tapé dans les deux icônes opposées de New York: le diner, qui est le bas de gamme, et le steakhouse, qui est le haut de gamme, où tu peux dépenser de l’argent. J’ai tenté de les ramener tous les deux un peu plus au milieu. Mes aventures ont toujours été difficiles ici parce que j’apporte un créneau qui n’existe pas. Mais c’est ça que je veux faire.»

Et le chef l’avoue, il est en mission à New York. Il tente de démocratiser un certain type de cuisine.

«Le Québec me manque, mais j’ai encore plein d’affaires à faire ici alors que je n’ai rien à faire à Montréal. Peut-être en région, ou à Québec, par contre… J’ai des idées pas possibles, genre ouvrir un crab shack sur le bord du lac Saint-Jean, où je servirais du homard, du crabe, des huîtres, juste des trucs qu’il n’y a pas dans le lac.»

Il poursuit: «J’ai toujours été fasciné par l’idée d’avoir un restaurant où personne ne va. Ça fait capoter Sarah quand je dis ça, mais si ce n’était pas grave de n’avoir personne dans un restaurant, je pourrais faire ce que je veux. C’est une utopie», dit-il en rêvant à voix haute. Ironique pour un chef qui a ouvert son restaurant dans la ville états-unienne la plus densément peuplée…

C’est ce genre d’idées un peu folles qui font qu’Hugue Dufour se classe parmi… les inclassables!


À noter que l’auteure des ces lignes a visité Hugue Dufour en mars 2019 et le texte est paru en novembre 2019, dans le numéro D’ici et d’ailleurs. Il se peut que certaines informations ne soient plus à jour.

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