Caribou à la chasse au chevreuil - Caribou

Caribou à la chasse au chevreuil

Publié le

07 novembre 2018

Texte de

Geneviève Vézina-Montplaisir et Audrey Lavoie

Parce qu'on avait envie de vivre des expériences, de partir à l'aventure et de mettre les mains à la pâte, on vous offre la série «Caribou à...», dans laquelle on s'immerge dans des univers que l'on ne connaît peu ou pas. On commence par une petite partie de chasse en Outaouais.
Parce qu'on avait envie de vivre des expériences, de partir à l'aventure et de mettre les mains à la pâte, on vous offre la série «Caribou à...», dans laquelle on s'immerge dans des univers que l'on ne connaît peu ou pas. On commence par une petite partie de chasse en Outaouais.
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– Geneviève: T’as vu, Stéphane Modat sort un livre de cuisine de chasse en novembre? On devrait faire une entrevue avec lui.

– Audrey: On devrait plutôt aller à la chasse avec lui!

– Geneviève: Oui, bonne idée! Je lui écris.

C’est comme ça qu’on s’est retrouvées, par un frisquet mardi de la fin octobre, sur l’autoroute 50 en direction de la Réserve faunique de Papineau-Labelle, en Outaouais, pour une partie de chasse au chevreuil avec le chef du Château Frontenac, Stéphane Modat et son acolyte, Frédéric Laroche, photographe et vidéaste. Ensemble ils chassent certes, mais ils document aussi, pour tenter de redonner ses lettres de noblesses à cette activité que l’homme pratique depuis la nuit des temps.

À l’accueil de la réserve, la dame derrière le comptoir déplie une carte pour nous indiquer le chemin pour nous rendre au chalet Abies, dans la zone 29 où Stéphane et Frédéric nous attendent. Nos cellulaires n’ont plus de signal depuis qu’on a passé le village de Duhamel. Pendant 45 minutes, carte à la main, on roule donc sur des chemins de terre avant d’arriver à destination. Les paysages sont magnifiques et certains tronçons du chemin sont déjà couverts de neige.

À notre arrivée au chalet, on aperçoit Stéphane et Frédéric qui s’activent autour d’un feu au-dessus duquel est suspendu un oiseau enrobé de papier d’aluminium dont les pattes dépassent. Deux carcasses d’oies trônent également sur la table. Déjà des prises? «Non, elles datent du printemps passé. On amène peu de nourriture quand on va à la chasse car on espère toujours pouvoir se nourrir avec ce qu’on va tuer. Mais on amène toujours de la viande de bois.»

Cette année, le tirage au sort leur a attribué la permission de tuer chacun un cerf de Virginie, comme on l’appelle dans la province, un mâle avec des bois d’au moins sept centimètres. Les deux passionnés de chasse sont arrivés de Québec la veille. Ils ont «appâté leurs spots» dans l’après-midi, c’est-à-dire qu’ils ont mis du maïs dans des endroits stratégiques soigneusement déterminés à la suite de la visite express de Frédéric la semaine précédente.

Les gars nous expliquent qu’il y a plusieurs éléments à considérer quand vient le temps de chasser une bête aussi nerveuse. «Le chevreuil est difficile à déjouer», ajoute-t-il. Comme on l’apprend dans leur livre Cuisine de chasse, il possède des sens très développés – son odorat est 35% plus puissant que celui du chien!

C’est là qu’on apprend qu’on n’ira pas «vraiment» chasser. On savait déjà qu’on allait pas abattre nous-mêmes une bête, ne possédant ni l’une ni l’autre notre permis de chasse. On se disait par contre qu’on pourrait peut-être être témoin d’un tir atteignant sa cible.

Stéphane a rapidement refroidi nos ardeurs. «Vous sentez trop la ville! Nous, ça fait deux jours qu’on se lave avec un savon spécial, et à quatre dans le bois, on va faire trop de bruit.»

Ce n’est pas ce qui allait diminuer notre excitation à l’idée de se plonger le temps d’une journée dans cet univers.

D’entrée de jeu, le chef veut connaître notre position sur la chasse. Nécessairement, prendre part à une telle activité suscite une réflexion.

C’est certain que d’avoir le choix entre voir un animal mort ou pas, on choisit la deuxième option. Cela dit, si on décide de consommer de la viande, aussi bien être conséquentes. La viande est un animal mort. Mais la chasse est-elle plus ou moins barbare que l’abattoir?

Ça n’en prend pas plus pour que Stéphane s’enflamme. «On chasse en premier lieu parce que c’est la représentation même du terroir de chez nous. On chasse aussi pour venir relaxer, se ressourcer, trouver de nouvelles idées, mais aussi pour travailler sur le fait de peut-être un jour légaliser les produits de la chasse, en tout cas pour ouvrir le débat par rapport à ça. On légalise le cannabis, je ne peux pas croire qu’on ne peut pas légaliser la viande d’orignal!»

En effet, au Québec, la chasse commerciale est interdite. Pour consommer du gibier, il faut le chasser soi-même ou avoir un ami chasseur généreux.

Gaspillage de viande sauvage, interdiction d’en vendre dans les restaurants, perte de nos savoir-faire… les deux amis en ont long à dire. Stéphane s’était d’ailleurs déjà entretenu avec notre collaboratrice Julie Aubé de ces questions en juin 2017.

«Toute la journée, tu travailles les yeux à terre ou concentré sur tes écrans. Quand t’es dans le bois, si tu fonctionnes comme ça, tu ne mangeras JAMAIS. Il faut que tu regardes loin, il faut tu sois alerte. Juste ce feeling-là, c’est hallucinant. T’as l’impression d’être libre.»
Stéphane Modat

On part dans le bois

Même si on ne chassera pas, les gars ont quand même accepté de nous amener dans un sentier qui mène à l’un de leurs «spots» pour nous montrer un peu comment ils s’y prennent. On a amené la carabine; on ne sait jamais!

On a donc pris place dans le VUS hybride de Stéphane avec nos vestes orange fluo sur le dos: une pièce de vêtement obligatoire quand on va chasser pour éviter de se faire prendre pour un chevreuil.

Au volant, Stéphane est déjà aux aguets, scrutant la forêt, à l’affût de tout mouvement. À l’orée du sentier, Fred explique que celui qui porte l’arme est toujours devant, et que lui, armé de sa caméra, se tient derrière. «Avec les années, on a développé toutes sortes de signes pour se comprendre sans se parler.»

Stéphane ouvre donc la marche, et nous nous tenons derrière. Nous nous mettons à regarder autour de nous, et surtout, nous essayons de marcher sans faire de bruit. Une tâche assez difficile. Notre procession avance en silence. Tout à coup, Fred, nous fait signe de nous approcher et nous montre une empreinte de cerf. Plus loin dans le sentier, il nous indique ici des empreintes de lièvre, là des empreintes de renard. Les chasseurs savent lire le territoire. Ils doivent même savoir lire les vents car ils amènent avec eux les odeurs des humains. Noués à des branches, des petits rubans de plastique aux couleurs fluorescentes ponctuent le chemin. Ce sont des aide-mémoire qui peuvent indiquer tantôt un endroit où a été aperçu un chevreuil, tantôt un endroit par lequel passer pour ramener une prise.

Tout à coup, un bruit nous stoppe net. Ce n’est que le bruissement d’aile d’une perdrix, ou de son vrai nom la gélinotte huppée, qui vient de s’envoler et de se poser sur une branche.

Nous arrivons finalement près d’un des «spots» des gars où ils sont venus déposer des appâts la veille. Fred quitte le chemin pour couper dans de hautes herbes. On le perd de vue quelques minutes et il revient vers nous avec une mine un brin déconfite. «Il n’y a pas l’air d’avoir eu d’action dans le coin, on va revenir en fin de journée», dit-il.

Geneviève essaie l'arme de Stéphane, sans les cartouches, bien sûr.
Frédéric est allé voir si les appâts avaient été mangés.
Audrey essaie à son tour.

On décide de prendre une petite pause sur le chemin du retour pour jaser de chasse et Stéphane nous demande si on veut essayer de tenir son arme de laquelle il a enlevé les munitions. Geneviève est vraiment surprise par le poids de la chose et peine à essayer de viser quelque chose en regardant dans le viseur. Audrey, qui avoue avoir déjà tirer du gun à plomb, est une naturelle avec la carabine.

Déjà la fin

De retour au chalet, l’oie a terminé de cuire et Stéphane la libère de son manteau d’aluminium pour découvrir une belle pièce de viande bien juteuse à laquelle une farce aux champignons confère toute sa saveur. Nous n’aurons pas pu goûter au fruit de notre chasse, mais au moins nous aurons goûté à de la viande de bois avec son authentique goût sauvage. Nous sommes agréablement surprises par la profondeur des saveurs et par ce que le chef a réussi à faire loin de sa cuisine du Château Frontenac.

«Comme cuisiner de la viande de gibier dans les restaurants est interdit ici, la gastronomie ne s’est pas développée autour de ces produits. C’est pour ça que j’ai créé un livre avec des recettes pour que les gens puissent faire autre chose que de la viande à fondue avec leurs prises de chasse», explique le Français d’origine, qui a adopté le Québec il y a 18 ans.

Frédéric, Audrey, Geneviève et Stéphane

C’est déjà le temps de partir pour nous mais aussi pour les gars qui entament leur vraie partie chasse de la journée. Ils ont donc revêtu leurs vêtements officiels de chasse et amènent avec eux leur vaporisateur d’urine de cerf de Virginie ainsi que leur kit de faux bois de cerf qu’ils cogneront ensemble pour imiter deux jeunes cerfs qui se battent.

Est-ce nous qui leur avons porté chance, ou est-ce leur talent de chasseurs qui a été récompensé? Toujours est-il que deux jours après notre visite, Stéphane et Fred ont abattu leur «buck». Dans la publication qui accompagnait la photo de leur prise sur les réseaux sociaux, on pouvait lire: «Il a fini comme il vécu. Maintenant rendons lui honneur.»

Cuisine de chasse
Les Éditions La Presse
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