Le passé et le futur de l’alimentation vus par des aînés - Caribou

Le passé et le futur de l’alimentation vus par des aînés

Publié le

27 avril 2020

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Pour son numéro Futur, Caribou avait rassemblé, à la résidence Le Boisé Notre-Dame, à Laval, quatre invités de 67 à 90 ans afin de discuter de leurs souvenirs alimentaires, des changements qui ont bouleversé leur cuisine au fil du temps et de leur vision du futur. 

Texte de Véronique Leduc
Photos de Marie des neiges Magnan

Les invités
Pierrette Bourgie, née en 1933, a grandi à Montréal 
Yolande Bourgie, née en 1928, a grandi à Montréal (soeur de Pierrette et grand-maman de la journaliste Véronique Leduc) 
Denis Boisvert, né en 1938, a grandi à Sainte-Anne-de- Danville, près d’Asbestos
Lucie Gauthier, née en 1951, a grandi à Tracy, près de Sorel 

Quel est le changement le plus important que vous ayez observé en lien avec l’alimentation au cours de votre vie? 

Denis: Dans ma famille, on était 15 enfants et on a été élevés sur une ferme où tout était fait maison. Rien n’était acheté au magasin. Tous les enfants, pendant l’été, mettaient la main à la pâte. Puis, à l’automne, on faisait des conserves avec les récoltes. Dans le sous-sol de la maison, il y avait des tablettes pleines de cannage. Les patates étaient mises dans un caveau. Avec le lait en trop, on faisait de la crème. Il y avait en masse de nourriture pour 15 enfants et 2 adultes pour tout l’hiver! Cette idée d’être autosuffisants, ça s’est perdu... 

Lucie: C’est vrai ! Quand je pense au passé, ce dont je me souviens, c’est que tout était fait à la maison. Il n’y avait pas de produits congelés ou déjà préparés. Quand on a commencé à voir ça sur le marché, ça m’impressionnait. J’avais l’habitude de voir ma mère aux chaudrons pour préparer des repas de saison... Quand l’autocuiseur est arrivé, c’était presque un miracle! 

Yolande: On avait même peur que ça saute! 

Lucie: C’est ce qui m’a le plus marquée comme changement alimentaire : quand toutes ces nouvelles choses déjà préparées sont arrivées. J’ai constaté à quel point ça pouvait faciliter la vie et je me suis dit: «Mon Dieu que maman a travaillé!» Elle préparait trois repas par jour pour ses enfants, elle faisait des conserves, pis envoye donc! 

Yolande: Et aussi, dans le temps, il n’y avait pas de congélateur dans les réfrigérateurs. 

Lucie: Ma grand-mère, à Montréal, avait encore une glacière qu’elle gardait froide en y mettant un gros cube de glace apporté par un livreur. 

Yolande: Et les livreurs se déplaçaient avec des chevaux! 

Quel équipement de cuisine a le plus changé la donne, selon vous? 

Lucie: Les fameux robots culinaires, parce que tu peux tout faire avec ça. C’est une révolution! Mais je n’en ai pas parce que j’aime encore travailler à la main, toucher, manipuler, façonner. 

Pierrette: Je dirais les malaxeurs. C’était révolutionnaire pour le temps! On pouvait faire toutes sortes de choses plus rapidement avec ça. 

Lucie: Ah, pis dans les années 1980, quand le premier micro-ondes est arrivé, gros, brun, pesant... Au début, ça servait juste à réchauffer, mais peu à peu les gens se sont mis à cuisiner avec ça. Ça aussi, c’était quelque chose! 

Avez-vous tous le souvenir de votre mère qui passe ses journées dans la cuisine? 

Lucie: Oui, et encore plus pendant le temps des Fêtes. Il y avait des grosses réceptions, et ma mère faisait des tartes, des gâteaux, du sucre à la crème... Ça sentait bon dans la maison pendant plusieurs jours. Ce sont de beaux souvenirs. Aujourd’hui, c’est rare, les familles qui cuisinent autant. Il faut dire qu’on vit tellement vite! 

Yolande: Oh, la vie est loin d’être la même! Quand les jeunes reçoivent, ils prennent le temps de cuisiner, mais la semaine, c’est autre chose! 

De quelle façon le rôle des hommes et des femmes a-t-il évolué dans la cuisine? 

Yolande: Dans mon temps, les hommes ne faisaient rien! Ils n’essuyaient même pas une tasse. 

Pierrette: Je ne sais même pas s’ils savaient comment se faire cuire un œuf... 

Yolande: Je n’ai jamais vu ni mon père ni mon mari toucher à quoi que ce soit dans la cuisine. 

Pierrette: Ce n’était pas comme ça pour tous les hommes, mais en tous les cas pour une bonne partie. J’avais une amie qui avait six frères et sœurs, et tous les dimanches, Gertrude, la mère, avait congé. C’était François, son mari, qui faisait tout, du déjeuner au souper. Je voyais ça et j’avais les yeux grands de même! Qu’un homme s’occupe de tout et que sa femme ne touche à rien de la journée, je trouvais ça extraordinaire. 

Yolande: Un jour, au début de leur relation, le mari de ma fille est arrivé chez nous; il avait apporté tout ce dont il avait besoin pour s’occuper du souper du dimanche. Oh, mon Dieu! Je n’en revenais pas! Maintenant, c’est lui qui cuisine plus que sa femme. 

Lucie: Mon mari ne cuisinait pas, et on ne remettait pas ça en question. C’était normal. 

Pierrette: Je pense que ça a commencé à changer avec la génération de nos enfants. C’est là que les hommes se sont mis à s’impliquer dans la cuisine. 

Denis: Je n’ai pas vraiment appris à cuisiner, mais je me débrouille, et j’aidais ma femme. 

Lucie: Quand j’ai vu, dans les générations plus jeunes, que les hommes participaient, je me suis dit: «Ben voyons, nous autres, on a-tu manqué le bateau?!» 

Dans les années 1960, quand vous pensiez à l’alimentation des années 2000, vous imaginiez quoi? 

Denis: J’ai travaillé toute ma vie comme représentant pour une entreprise alimentaire liée au milieu de la restauration. Dans le temps, il n’y avait pas d’écoles hôtelières. Le chef pouvait montrer au laveur de plancher comment cuisiner. Il n’y avait pas autant de gens bien formés qu’aujourd’hui. Cette sphère a beaucoup évolué. Dans le temps, on prévoyait qu’il y aurait un jour une pénurie de personnel en restauration. Aujourd’hui, on est en plein dedans. 

Lucie: On n’aurait jamais imaginé, en tous les cas, qu’il y aurait autant d’émissions ou de magazines de cuisine! Certaines personnes, comme Josée di Stasio ou Daniel Pinard, ont vraiment fait évoluer les choses. Avant, on pensait à la cuisine comme faisant partie du train-train quotidien.

«Honnêtement, je n’aurais jamais cru voir un tel engouement [pour la cuisine]! C’est fou de penser que malgré les nouvelles technologies et la facilité qui s’offrent aux gens, on continue à s’intéresser autant à l’acte de cuisiner.»

Lucie

Croyez-vous que cet engouement pour la cuisine a changé notre façon de voir l’alimentation? 

Lucie: Les gens ont le guts d’essayer, plus qu’avant. On peut penser aux végétariens ou aux végétaliens... Avant, on n’entendait pas ça, voyons donc! Les jeunes aujourd’hui disent: «Nous autres, on mange des graines de sésame et de citrouille, des canneberges, des végépâtés...» Nous, on n’aurait jamais pensé à manger ça! C’est le fun parce que ça ouvre des portes. J’ai goûté des plats végétariens, et c’est surprenant comme ça peut être bon! 

Pierrette: Ou le tofu; on ne connaissait pas ça, avant. 

Denis: C’est ce qu’ils appellent la cuisine santé. Ça a énormément évolué! Maintenant, on entend aussi beaucoup parler des aliments bios. 

Que pensez-vous du fait qu’on revienne à l’alimentation locale? 

Pierrette: Il y a une épicerie pas loin d’ici qui fait pousser des légumes sur son toit pour les vendre aux clients. Je trouve ça extraordinaire! 

Denis: Il y a aussi des serres à Montréal qui cultivent des fruits et des légumes à l’année. C’est bien, parce que c’est naturel, au fond. 

Pierrette: Et les potagers communautaires, on ne voyait pas ça avant. Ce sont les Italiens, je pense, qui ont lancé ça. Même s’ils étaient dans un duplex à Montréal, ils voulaient jardiner. 

Lucie: Ça montre aussi que la roue tourne. C’est comme pour la mode vestimentaire : celle des années 1970 est revenue. Le bouton à quatre trous, il a été inventé pis il ne sera pas réinventé. Là, en alimentation, on revient aux sources, et les jeunes sont emballés par ça. 

Dans 50 ans, comment imaginez-vous la cuisine? Où en serons-nous, d’après vous? 

Lucie: Si on se fie à la technologie qui est de plus en plus performante, je crois que les gens ne cuisineront pas autant qu’aujourd’hui. Il va sûrement y avoir des choses qui vont se faire en moins de temps, ou même se faire toutes seules. Déjà là, on a bien moins besoin de travailler qu’avant. 

Yolande: Oui, c’est parti pour ça. 

Lucie: Mais peut-être aussi qu’il va y avoir un retour aux sources. On ne sait pas. 

Pierrette: Le réfrigérateur, je ne sais pas de quoi il va avoir l’air dans 50 ans, mais ça ne sera certainement pas comme le réfrigérateur d’aujourd’hui. 

Lucie: Ça va dépendre de la nature, aussi. Parce que si la pollution persiste ou augmente, on va avoir moins d’espaces verts, et ça va être encore plus difficile de se procurer des aliments frais. 

Pierrette: J’ai lu un article qui disait que d’ici 2050 le climat sera de plus en plus chaud. 

Lucie: Ça veut dire que l’alimentation va changer, elle aussi. 

Denis: Si nos étés sont très chauds et qu’on manque d’eau, peut-être que, au lieu de cultiver des légumes en juillet et en août, on va les faire pousser en octobre et en novembre. 

Lucie: On va peut-être avoir des légumes frais six ou sept mois par année plutôt que juste pendant l’été... C’est une autre possibilité. 

Quel message en lien avec l’alimentation voudriez-vous transmettre aux plus jeunes? 

Lucie: Je leur dirais de développer leur créativité en ce qui concerne l’alimentation autant qu’ils la développent dans d’autres sphères de leur vie. Parce que l’alimentation, c’est la base. Il y a des choses inutiles dans la vie, mais ça, c’est une nécessité. Il faut s’occuper de sa santé avec l’alimentation. On a déjà de la misère à voir un médecin, qu’est-ce que ça va être dans 50 ans? Alors, on est aussi bien de se servir de tous les moyens naturels qui sont à notre portée pour éviter d’avoir à nous faire soigner. 

Pierrette: Je pense que les jeunes sont déjà très conscients de l’importance de bien se nourrir. Ils lisent les étiquettes et ils éduquent même leurs parents, parfois. C’est très important pour eux, et je trouve ça bien. 

Denis: Je dirais aux jeunes de manger santé et de se méfier des modes alimentaires qui ne sont souvent qu’un effet du marketing. 

Yolande: Je me dis toujours que du moment que c’est bon... À travers tout ça, je pourrais donc dire aux plus jeunes d’apprécier pis de trouver ça bon. C’est important aussi! 

LE PLAT QUÉBÉCOIS PAR EXCELLENCE POUR:

  • Lucie: le bouilli avec des patates, des carottes, des fèves, des morceaux de viande et du lard salé
  • Denis: le bouilli et les ragoûts
  • Yolande et Pierrette: la tarte aux œufs de leur maman, Marie-Rose

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