Bienvenue chez Lesley
Publié le
06 octobre 2020
Après plus de 20 ans de carrière, la cheffe, critique et journaliste Lesley Chesterman signe un livre de recettes aux Éditions Cardinal. Mais comme tout ce qu’entreprend cette grande dame de la gastronomie québécoise, ce livre n’est pas banal. Derrière sa facture sobre, élégante et fouillée se cache une passion dévorante pour la cuisine. Effectivement, des recettes aux conseils pratiques pour bien garnir son garde-manger, en passant par des anecdotes et plusieurs aveux assumés, on découvre un univers gourmand très personnel et un vibrant témoignage d’amour au bon et au bien fait, sans poudre de perlimpinpin ni paillettes. Entretien avec cette femme aussi brillante et perfectionniste, que généreuse et débordante d’humour.
Entrevue de Sophie Ginoux
Pourquoi vous êtes-vous lancée dans ce projet d’édition?
Il y a encore 10 ans, si vous m’aviez posé cette question, j’aurais ri. Vu la quantité de livres de recettes qui existent et la facilité avec laquelle on peut trouver des informations sur le web, je pensais que la dernière chose dont les gens avaient besoin, c’était d’un autre livre du genre! (rires) Mais ce que m’ont fait comprendre mon éditrice, ainsi que les personnes qui m’écrivent depuis des années, c’est que même si l’on peut trouver cinquante recettes pour chaque plat, les gens voulaient avoir ma version de ce dernier. J’ai dès lors réalisé que nous nous attachons autant, sinon plus à des personnalités et à leur vision, qu’aux recettes en tant que telles. Bocuse, Ricardo, Jamie Oliver font partie de ce lot, car les lecteurs leur font confiance. Et je crois qu’après plus de 20 ans de métier au cours desquels j’ai accumulé des connaissances techniques, mais aussi consommé un nombre astronomique de plats, je me suis forgée un esprit d’analyse qui me permet aujourd’hui, à mon tour, de présenter un livre de recettes qui se tient.
Que représente la cuisine pour vous?
C’est simple: la vie, pour moi, c’est la cuisine. J’ai grandi et évolué toute ma vie dans ou aux abords d’une cuisine. Ma famille, mes amis sont des gourmands. Mes chums ont tous travaillé dans le secteur gastronomique. J’ai même déjà changé de docteur parce que celui qui me suivait voulait sans cesse me mettre à la diète! À mes yeux, il n’y a rien de plus plaisant, de plus gratifiant et de plus réconfortant que la cuisine. Dès que je suis stressée, c’est mon remède et ça me fait un bien fou! Alors j’aimerais vraiment donner envie de cuisiner à tous, même aux plus novices, avec cet ouvrage.
Quelle est votre approche avec ce livre?
J’invite les lecteurs dans mon quotidien. Toutes les recettes que je présente, je les fais chez moi. Certains pourront s’étonner qu’il y ait autant de recettes salées que sucrées dans ce livre étant donné que je suis cheffe pâtissière de formation, mais quand on cuisine tous les jours pour sa famille ou ses amis, on touche à tout. À tel point, d’ailleurs, que je voulais au départ intituler cet ouvrage Le guide du gros bons sens de la gastronomie et y intégrer 200 pages de plus avec des chapitres pratico-pratiques comme «Comment préparer un bon café», ou bien «Comment faire ses courses avec des enfants». Mon éditrice a recentré mes ambitions – le livre Chez Lesley compte tout de même 400 pages! –, mais je crois que cet ouvrage me représente bien.
«Je suis réellement heureuse de partager les choses que j’aime le plus après toutes ces années passées à parler de la cuisine des autres!»
À quoi ressemble votre cuisine quotidienne?
Comme beaucoup, ma cuisine de tous les jours est étroitement liée à mon parcours. Mes premiers modèles ont été ma grand-mère, ma mère et ma sœur, des folles de cuisine qui m’ont donné envie d’en faire mon métier. Puis j’ai appris de nombreuses techniques qui m’ont permis de maîtriser encore plus de recettes. Et enfin, j’ai glané au fil des vingt ans de dégustations, de voyages, de lectures et de rencontres que j’ai faits un tas d’inspirations. L’amalgame de tout cela se retrouve dans ma cuisine, dont j’ai une vision très personnelle.
Par exemple, pour une recette a priori aussi simple que celle de biscuits, je préfère qu’ils ne soient ni trop gros, ni trop gras ou trop salés, qu’ils contiennent de petits morceaux de chocolat et soient crousti-fondants. Cette liste de critères en tête, j’ai fait au moins une quinzaine d’essais différents avant d’obtenir la préparation qui me convient. Et j’ai adopté une approche similaire avec toutes les recettes qui figurent dans ce livre.
Comment s’est effectué le choix des 100 recettes que vous présentez?
J’y suis allée avec ce que je considère comme des incontournables. Il peut s’agir de la recette de brioches à la cannelle de ma grand-mère (à ceci près qu’elle les préparait à l’époque avec du Crisco, moins cher que du beurre), de la soupe aux pommes de terre découverte dans un petit restaurant au milieu de nulle part en Allemagne, de la carbonara préférée de mon fils Max, ou encore de la mousse au chocolat que je préparais à la pâtisserie La Minaudière à Lyon lorsque je travaillais en France.
Ce qu’il faut en retenir, c’est que toutes ces recettes ont une histoire et sont le résultat de beaucoup d’essais et erreurs. Je me suis même battue bec et ongles pour conserver certaines d’entre elles dans la version finale de ce livre. Impossible par exemple de couper ma recette de tarte au citron, c’est la meilleure au monde!
À qui s’adresse ce livre de recettes?
À tout le monde. C’est-à-dire tout autant au jeune qui arrive en appartement, qu’au couple qui part au chalet pendant l’été et au gourmet qui veut se lancer des défis. Je lance même un appel à celles et ceux qui se sentent intimidés par la cuisine. Moi, ça me décourage quand des gens me disent qu’ils sont incapables de faire cuire un œuf ou de faire bouillir de l’eau! Alors, je souhaite leur faire comprendre à quel point on peut prendre du plaisir à cuisiner. Parce que oui, la cuisine est un passe-temps génial accessible à tous, inutile d’être un chef pour en profiter.
Vu que vous les connaissez bien, que pensez-vous de la situation que vivent les restaurants depuis le début de la pandémie?
J’ai moins fréquenté les restaurants depuis que je ne réalise plus de de critiques hebdomadaires. Mais par expérience, je peux vous dire une chose: il n’y a pas plus créatifs, plus travailleurs et plus «système D» (débrouillards) que les gens de la restauration. Je suis vraiment impressionnée par la rapidité avec laquelle ils ont réagi aux interdits et aux restrictions qui leur ont été imposés depuis six mois.
Toutefois, comme me l’a d’ailleurs mentionné le chef Marc Cohen, du restaurant Lawrence, peut-être la crise que nous traversons constitue une bonne occasion de tout brûler et de renaître comme un phénix. C’est-à-dire de revoir les modèles existants de restaurant, qui avaient leurs lacunes: nombre excessif d’établissements, pénurie de main-d’œuvre, problèmes de no show et de comportements décriés par le mouvement #metoo, inégalités de revenus entre l’équipe en salle et en cuisine, etc. À présent, il est temps d’essayer de nouvelles choses, comme faire de la livraison de cuisine haut-de-gamme, ou bien d’accorder plus d’attention à la gastronomie froide, qui privilégie davantage la qualité de l’assiette à l’ambiance qui l’entoure. Bref, de repenser la restauration de A à Z et de se réinventer.