Arrivage, la plateforme de l’artisanat alimentaire québécois - Caribou

Arrivage, la plateforme de l’artisanat alimentaire québécois

Publié le

26 juillet 2021

arrivage lien direct producteurs
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Plus grand que la panse

En proposant une solution de rechange aux modes traditionnels d’approvisionnement, Arrivage bouscule les codes et donne une voix aux petits producteurs et transformateurs d’ici. Entretien avec son cofondateur, le militant Thibault Renouf.

Texte de Sophie Ginoux
Photos fournies par Arrivage

Thibault Renouf n’en est pas à sa première initiative en faveur d’une alimentation durable, locale et responsable. Celui qui avoue franchement vivre de l’écoanxiété depuis longtemps a mené ses premiers combats dans les rangs de Greenpeace, avant de s’activer depuis 2015 au sein de Chef 514, La Transformerie, Gardiens de semences, des organismes voués à l’autosuffisance alimentaire et à la mise en valeur des produits locaux et de leurs artisans.

fondateurs arrivages
Thibault Renouf et Félix-Étienne Trépanier

Arrivage, qu’il a fondé en 2018 avec son partenaire et as du numérique Félix-Étienne Trépanier, avait pour concept initial de créer un lieu de rencontre virtuel entre les producteurs et les chefs et restaurateurs, deux branches du système alimentaire qui sont intrinsèquement liées, mais qui dans les faits et malgré les apparences ne se côtoient pas tant que cela. Pourquoi? En raison d’un modèle d’approvisionnement encore axé sur des distributeurs, qui demeurent quoi qu’on en dise un intermédiaire central pour les épiceries, les commerces alimentaires et les restaurants.

Or, comme l’indique Thibault Renouf, «les distributeurs sont là pour faire de l’argent et du volume. Ils éliminent donc d’office les nombreux petits producteurs qui ne peuvent pas leur proposer une offre calibrée ou prévisible, et ils favorisent les importations et les aliments locaux, mais industriels, normatifs et sans saveur.»

C’est ce qui explique par exemple pourquoi des carottes d’Israël plutôt que québécoises se retrouvent dans des assiettes de restaurants, ou encore que l’ail noir du Québec n’est proposé que dans une poignée d’épiceries alors que sa saison bat son plein. Une situation à laquelle Thibault Renouf et son associé voulaient absolument remédier en proposant une option locale et responsable.

Une plateforme de commande B to B

Fruit d’un travail de longue haleine, la plateforme Arrivage a finalement été lancée au mois de mai 2021. Il s’agit dorénavant d’un outil qui permet aux vendeurs (producteurs et transformateurs) et aux acheteurs (restaurants, petites épiceries, épiceries fines, commerces de bouche, cantines scolaires et institutions diverses) d’établir des relations commerciales sans intermédiaires.

interface plateforme

Parmi les vendeurs figurent des maraîchers, des éleveurs, des pêcheurs, des cueilleurs, des algoculteurs, des acériculteurs, ainsi qu’une ribambelle de transformateurs proposant des farines, du miel ou des boissons. «L’offre est effectivement très diversifiée, confirme Thibault Renouf. Nous avons même des fleuristes inscrits! Certains sont certifiés bio, d’autre pas. Ils ont par contre en commun des produits qui varient au fil des semaines et qui se distinguent en matière de goût, de diversité, de qualité et d’impact environnemental.»

Il est ainsi possible de commander sur la plateforme des centaines de variétés de tomates, du wapiti, du bœuf de plusieurs races, des champignons, des kombuchas originaux et bien d’autres bijoux de notre terroir. «Notre but n’est pas de réinventer la roue, mais de faire en sorte que si le producteur Mathieu (nom fictif) a une centaine de kilos de carottes à vendre, il trouve sur Arrivage des acheteurs pour écouler sa marchandise, plutôt que d’envoyer des infolettres qui se perdent parmi les courriels, de courir après des clients ou de miser uniquement sur des marchés publics ou du porte-à-porte.»

Comment fonctionne Arrivage?

Concrètement, la plateforme permet aux producteurs et aux transformateurs de créer un profil, sur lequel ils peuvent lister en temps réel leurs produits selon leur inventaire. «Il peut s’agir de leur récolte ou de leurs surplus de la semaine, c’est totalement libre», précise Thibault Renouf.

Ces vendeurs peuvent ensuite personnaliser leur offre selon les clientèles, c’est-à-dire proposer des déclinaisons de formats et de prix différents pour chaque produit. Ils ont aussi l’option de choisir quels potentiels acheteurs verront les produits listés, soit en privilégiant leurs contacts déjà connus, soit en ouvrant leur catalogue à un public plus large.

Enfin, et c’est ce qui distingue le plus Arrivage à notre sens, la plateforme permet aux utilisateurs, vendeurs comme acheteurs, d’utiliser des données de géolocalisation précises. «Cela permet aux vendeurs de montrer la zone qu’ils desservent et même d’indiquer les jours et routes de livraison qu’ils assurent. Et les acheteurs peuvent de leur côté sélectionner les vendeurs dont les produits sont disponibles dans leur coin», explique l’entrepreneur.

Pour passer une commande, les acheteurs, dont l’inscription sur la plateforme est gratuite et n’exige aucune régularité, n’ont qu’à cliquer sur «commander» pour que leur demande soit acheminée au vendeur, qui viendra valider cet achat et la livraison associée. Un principe simple comme bonjour pour des utilisateurs qui n’ont pas automatiquement le temps ni les moyens à rechercher de nouveaux fournisseurs. Avec en prime la garantie de produits frais, avec une histoire humaine derrière et dont l’achat encourage l’économie locale.

«Chaque dollar investi dans ces [très petites entreprises] et petites PME rapporte 2,19$ à l’économie de la région dans laquelle elles se trouvent».

Thibault Renouf

Privilégier l’artisanal au local

Les principes fondateurs d’Arrivage sont demeurés les mêmes depuis le début de cette aventure: une relation directe vendeurs-acheteurs, un marché géolocalisé dynamique, responsable et durable, ainsi qu’une valorisation des produits que Thibault Renouf considère comme réellement locaux.

liens producteurs chefs

Ce dernier s’insurge d’ailleurs contre la notion de local, galvaudée de toutes parts à des fins commerciales. «Le "mangez local", le Panier bleu, c’est vraiment n’importe quoi! s’insurge-t-il. C’est la forêt qui cache l’arbre. Combien de produits qui se disent locaux sont en fait fabriqués de manière industrielle, sans rapporter une cenne aux petits producteurs et à leur environnement immédiat? Et même s’ils sont moins chers à l’achat, quel sera leur coût environnemental à moyen et à long terme?»

Ces questions sont cruciales, à un moment-charnière où les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la traçabilité de leurs achats, et où les paliers gouvernementaux font mine d’encourager les productions durables et responsables… tout en s’apprêtant à autoriser l’utilisation du double, voire du triple de traitements au glyphosate pour des productions comme l’avoine, le son, les lentilles, les pois, les noix et les haricots secs.

«Tant que l’État ne légifèrera pas sur les produits chimiques, et tant que l’agriculture et l’élevage seront encore dominés par une logique industrielle, on n’ira nulle part, lance Thibault Renouf. Voilà pourquoi Arrivage a été créé. Pour agir à petite échelle, peut-être, mais pour montrer qu’en investissant ses dollars auprès des artisans, on sait en toute transparence qui a produit et comment a été produit l’aliment que l’on achète.»

Une longue bataille attend encore celles et ceux qui questionnent les modèles traditionnels de production et d’approvisionnement alimentaires au Québec. Mais le lancement d’Arrivage représente une petite victoire qui, parmi d’autres, pourra peut-être renverser la vapeur. On le souhaite, en tout cas.

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