Une place pour tous à la table québécoise - Caribou

Une place pour tous à la table québécoise

Publié le

23 juin 2022

Texte de

Laura Shine

Les Québécois aiment manger local. Paniers de légumes, alcools du terroir, viande de l’éleveur du coin… De bons choix pour l’environnement, l’économie et le goût. Et si le locavorisme servait aussi de vecteur d’inclusion?
Illustration de Sébastien Thibault
Les Québécois aiment manger local. Paniers de légumes, alcools du terroir, viande de l’éleveur du coin… De bons choix pour l’environnement, l’économie et le goût. Et si le locavorisme servait aussi de vecteur d’inclusion?
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Fêtez-vous la Saint-Jean autour d’un barbecue de saucisses locales, une bière du Québec à la main?

Pour bien des Québécois, les produits alimentaires locaux font désormais partie du quotidien. Pain, fromage, fruits et légumes, boissons, céréales ou viandes, pour n’en nommer que quelques-uns, ont fréquemment la faveur des consommateurs. Et c’est sans parler des ingrédients protégés par un système de gestion de l’offre qui restreint les importations, comme les œufs, les volailles ou le lait par exemple.

En achetant des produits d’ici, on diminue généralement l’empreinte carbone de nos aliments. On contribue aussi à renforcer l’économie locale. Et pour plusieurs consommateurs, privilégier les circuits courts et l’achat local, c’est aussi privilégier les liens qui se tissent entre ceux qui cultivent, élèvent, produisent, transforment, distribuent et consomment la nourriture. Autour de l’épicerie du coin, de la ferme de famille, c’est une petite communauté qui s’établit. En plus des bienfaits économiques, environnementaux et gastronomiques, on peut donc aussi parler de bénéfices sociaux, d’un tissage de liens autour d’une identité partagée. Une identité… québécoise?

Locavorisme et inclusion

Malgré ses prémisses rassembleuses à saveur patriotique, tout le monde ne trouve pas aisément sa place autour de la table locavore. Marianne Lefebvre est nutritionniste, conférencière et consultante spécialisée en nutrition internationale. Une grande partie de sa clientèle est née ailleurs.

«Il y a vraiment un grand intérêt du côté des immigrants pour découvrir la culture alimentaire locale.»
Marianne Lefebvre
La nutritionniste Marianne Lefebvre | Crédit photo: Myriam Baril-Tessier

«Quand je donne des conférences, quand je participe à des évènements, j’amène toujours des dégustations: des épices, des fines herbes, des fruits d’ici… La réponse est toujours la même: je vois ça à l’épicerie, mais je ne sais pas ce que c’est, j’ai toujours voulu goûter mais je n’ai pas osé.»

Parmi les activités qu’elle propose: une visite dans les marchés locaux pour découvrir les produits d’ici et les façons de les apprêter. «Dans de nombreux pays, les gens mangent de façon beaucoup plus locale qu’ici. Ils sont habitués à aller au marché, à acheter des fruits et légumes, à manger selon la saisonnalité. Ici c’est quelque chose qui leur manque beaucoup. Ils ne connaissent pas la saisonnalité des fruits, des légumes d’ici et ils manquent d’outils, de connaissances» pour les apprêter. Le coût élevé de bien des produits frais freine aussi leur élan de curiosité. C’est donc, en grande partie, un défi de familiarisation.

La nutritionniste propose régulièrement des adaptations, des substitutions d’ingrédients pour inclure les aliments d’ici dans des recettes traditionnelles et qui permettent aux Néo-Québécois de découvrir des produits locaux tout en maintenant leurs habitudes et leurs préférences culinaires. Une façon, pour elle, de créer des ponts entre les différentes communautés.

Du côté de la transformation aussi, les saveurs d’ailleurs s’invitent à la table locavore, souligne Christian Bazinet, vice-président, Communications et Affaires publiques au Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). «On a beaucoup de transformateurs alimentaires qui sont des chefs de file. Je vous en nomme un au hasard: Zinda fait des couscous, des riz… à Montréal. [Les membres de plusieurs] communautés fabriquent des préparations traditionnelles que les Québécois tous azimuts vont acheter.» Acheter local ne rime donc pas nécessairement avec cuisine québécoises traditionnelle.

Mais au-delà des aliments locaux, ce sont parfois les expériences partagées qui manquent pour permettre aux nouveaux arrivants d’intégrer la culture locavore. Malgré leur intérêt pour les ingrédients d’ici, les clients de Marianne Lefebvre ne savent pas toujours quoi en faire – car personne n’a partagé la gastronomie locale avec eux. «Il y a vraiment un intérêt à connaître la culture alimentaire d’ici», remarque-t-elle. Mais l’occasion ne se présente pas toujours facilement, ce qui complique le processus de découverte et de partage.

«Certains habitent ici depuis 30 ans et n’ont jamais été invités à manger chez des Québécois d’origine.»

«On a moins l’habitude ici d’inviter des gens qui viennent d’ailleurs à la maison» s’ils ne sont pas déjà des amis, explique la nutritionniste, tandis que plusieurs de ses clients viennent de cultures où l’on invite les étrangers à boire le thé et les gens de passage à partager un repas. Or, la communauté alimentaire, ça se crée autour d’une table bien garnie – pas en solitaire devant un livre de cuisine ou un site de recettes du Québec.

Des saveurs d’ailleurs dans les champs d’ici

Autre défi pour les nouveaux arrivants: celui de trouver localement les ingrédients indispensables à la réalisation de plats traditionnels. Si les épices ou les produits congelés survivent généralement aux aléas du transport, ce n’est pas nécessairement le cas des légumes et des fruits frais, qui tolèrent moins bien le voyage depuis l’Afrique, l’Asie ou encore l’Amérique du Sud.

Au cours des dernières années, plusieurs projets agricoles ont vu le jour pour répondre à la forte demande pour des produits d’ailleurs. En Outaouais, la Ferme Tropicale cultive de l’amarante, des aubergines africaines ou encore du bissap (une sorte d’hibiscus consommé en tisane), en plus de plantes médicinales d’Afrique de l’Ouest. Au Jardin d’Edem et aux Jardins Lakou, tous deux situés dans les Cantons-de-l’Est, on trouve des ingrédients indispensables à la cuisine antillaise et africaine: gombo, corète potagère, citronnelle, gboma (épinard africain) ou christophine, pour n’en nommer que quelques-uns. Dans la même région, le Rizen cultive et transforme des légumes asiatiques: bokchoi, luffa, mizuna, edmame, shiso…

Autant d’initiatives qui redéfinissent l’alimentation locale, pour tous les Québécois. Car le goût du local, c’est aussi le goût du partage!

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