Achat local de produits de la mer: le Québec peut faire mieux! - Caribou

Achat local de produits de la mer: le Québec peut faire mieux!

Publié le

10 mars 2022

crabe quebec fruits de mer
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Plus grand que la panse

Le premier salon de Fourchette bleue, auquel Caribou a assisté, fut une occasion en or pour entendre parler des enjeux de l’approvisionnement du consommateur en poissons et fruits de mer du Québec et pour voir poindre quelques solutions.

Texte d'Anne Pélouas

À l’heure où l’achat local est devenu un mantra pour beaucoup, le Québec vit un paradoxe de taille en matière d’offre et de demande de produits de la mer. Il se résume ainsi: 80% de ce qui se pêche dans le fleuve et le golfe du Saint-Laurent est exporté et 85% des produits de la mer que nous mangeons sont importés!

Pourtant, le fleuve Saint-Laurent ne manque pas de poissons et fruits de mer et le Québec ne manque pas non plus de pêcheurs, transformateurs et distributeurs. Mais de nombreuses barrières empêchent encore les consommateurs et les restaurateurs d’en profiter à plein comme c’est le cas pour les produits de la terre. «Ce sont les oubliés de l’achat local», clame la jeune cheffe Chloé Ouellet, du restaurant Au Pâturage – Espace Gourmand à Sainte-Perpétue dans le Centre-du-Québec et copropriétaire d’une poissonnerie à Drummondville où elle ne veut vendre que des produits québécois ou canadiens.

Fourchette Bleue en salon

Au premier Salon Fourchette Bleue, organisé les 22 et 23 février à Rivière-du-Loup par Exploramer (institution muséale gaspésienne dont la mission est de sensibiliser à la préservation et à la connaissance du milieu marin du Saint-Laurent), quelque 160 pêcheurs, transformateurs, poissonniers, distributeurs, restaurateurs, hôteliers, représentants institutionnels et scientifiques ont, comme Chloé Ouellet, fait de ce défi leur leitmotiv. L’appel de la directrice générale d’Exploramer, Sandra Gauthier, qui se bat pour mieux valoriser les produits du Saint-Laurent via le programme Fourchette bleue, a été entendu. Réunir au sortir de la crise sanitaire autant d’intervenants du milieu est un premier pas pour tisser des liens entre vendeurs et acheteurs, pour monter des projets communs, pour faire émerger des idées afin d’amener l’oursin vert, la viande de phoque ou le corail de Gaspésie sur nos tables, à Montréal, à Québec ou à Rouyn-Noranda.

Freins à l’achat local

Il y a encore loin de la coupe aux lèvres… Sandra Gauthier a beau martelé qu’«il faut se servir d’abord parmi ces bonbons qu’on a dans notre Saint-Laurent» avant de vendre à l’étranger, encore faut-il éliminer des freins multiples: manque d’éducation du consommateur, barrières réglementaires, marchés extérieurs lucratifs pour l’industrie de la pêche, difficultés de distribution et de transport.

Les grosses entreprises du secteur de la pêche ont boudé le salon Fourchette bleue. Leur désintérêt pour la vente au Québec est patent, tant ce marché a peu de valeur pour eux en comparaison de ventes à gros volume en Chine ou ailleurs. Les joueurs de petites ou moyenne dimensions pourraient tirer leur épingle du jeu, à condition de surmonter les tracasseries réglementaires.

Un exemple parmi d’autres livré par Élisabeth Varennes, cofondatrice de Seabiosis, qui transforme des algues du Saint-Laurent à Carleton (Gaspésie): les algues sont classées comme légumes par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) et comme poissons par le fédéral…

«Mon premier défi est celui de la récolte d’algues, avec des permis de Pêches et Océans Canada comportant huit pages de conditions, ce qui complique considérablement le travail de base»

Antoine Nicolas, plongeur et propriétaire d’Un Océan de Saveurs

Frédérique Néron, de Crevettes de Sept-Îles, dénonce aussi «la chasse gardée» dont bénéficient les gros joueurs québécois pour les permis de transformation de produits de la mer. D’autres s’en prennent au MAPAQ qui n’a quasiment pas accordé de permis de vente en gros pour la transformation de produits marins depuis 17 ans.

Les défauts en distribution et transport handicapent aussi le circuit d’approvisionnement en produits de la mer québécois. À Rivière-au-Renard, Dan Dupuis cherche encore le bon filon pour L’Émilien D, nom de son bateau et de son entreprise, qui pêche de la belle crevette et l’exporte cuite, en écailles, vers la Chine et l’Europe, à défaut d’en vendre plus au Québec par manque de transport adéquat.

L’oursin vert du Saint-Laurent est dans une situation similaire. Les pêcheurs de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, qui vivent à Cacouna dans le Bas-Saint-Laurent, se désolent en effet de manquer de réseau de distribution au Québec alors qu’ils n’ont aucun problème à vendre leur quota (240 000 oursins) aux États-Unis…

Solutions «maison»

François Roussy et Véronique Pépin ont pour leur part trouvé comment contourner le problème avec leur Poissonnerie aux Deux Marées. En pleine pandémie, leur camion-congélateur a commencé à transporter une ou deux fois par mois des commandes de produits de la mer surgelés de Gaspésie en Abitibi-Témiscamingue! Leur «grand champion» y est attendu comme une star, tant la demande est là. Prochaine étape: l’utiliser pour transporter d’autres produits gaspésiens et ouvrir un entrepôt en Abitibi-Témiscamingue pour augmenter les livraisons.

Kim Côté, chef-propriétaire du restaurant Côté Est à Kamouraska, a lui aussi sa solution. En avril, il part chaque année sur la route avec une remorque réfrigérée. Direction la Gaspésie et les Îles de la Madeleine «pour faire le plein» de loup marin, de pétoncles, de flétan, d’huîtres qu’il cuisinera ensuite tout l’été au restaurant.

Dany Côté et Denis Fortin, de Fruits de mer Québec, sont ceux derrière les beaux présentoirs de produits de la mer gaspésiens, notamment dans les épiceries IGA. De Grande-Vallée, en Gaspésie, les voici avec une usine près de Drummondville. L’une des recettes du succès passe selon eux par une diversification des produits, avec, par exemple d’alléchantes «croquettes de vraie morue» pour enfants. L’autre recette est d’«atteindre un bon volume de vente pour pouvoir avoir un bon volume d’achat», autrement dit intéresser pêcheurs et transformateurs à leur faire confiance.

Information et éducation

Pour élargir les horizons du consommateur québécois et l’amener à remplacer le tilapia ou le pétoncle chinois par des trésors du Saint-Laurent, il faut multiplier les initiatives comme celles de Fourchette bleue qui met de l’avant, dans une liste renouvelée chaque année, un bon nombre d’oubliés du fleuve et du golfe, pourtant de grande qualité. La liste de 2022 regroupe 17 espèces de fruits de mer, deux de phoques et 15 d’algues.

Les algues comestibles, c’est assez nouveau au Québec. Pour contrer la méconnaissance, Seabiosis mise sur la transformation avec des recettes incluant des algues. Son produit-vedette: le pesto d’algues. L’un de ses fournisseurs en algues est Antoine Nicolas. «Moi, je vais dans les points de vente, faire des dégustations, «former» la clientèle, pour créer notre propre marché», dit le fondateur d’Un Océan de Saveurs qui récolte une quinzaine d’espèces d’algues au large de Gaspé, les vend fraîches ou les sèche en flocons, avec une durée de conservation de cinq ans.

L’union fait la force

Élisabeth Varennes et Antoine Nicolas travaillent ensemble mais ont aussi en commun de passer par La Gamme, OBNL de distribution de produits alimentaires gaspésiens et madelinots. La Gamme se charge de la mise en valeur de leurs produits, ce qui leur permet d’atteindre de nouveaux marchés tout en réduisant les frais de transport et de distribution. «On répond clairement à un besoin», constate Mathieu Giguère, responsable du développement des affaires, fier de compter plusieurs produits du Québec maritime parmi les 200 produits du catalogue de La Gamme.

Font aussi leur part des organismes comme le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (avec son écocertification et son médaillon high tech pour le homard, lequel renvoie avec code QR à des informations sur celui l’a pêché) et Aliments du Québec qui pousse de plus en plus les produits de la mer d’ici à l’avant-scène.

Le train est en marche même s’il avance lentement. Exploramer fait déjà un travail remarquable en matière d’éducation aux richesses du Saint-Laurent. Après le salon Fourchette bleue, on y prépare une exposition virtuelle De l’eau à la bouche et une plateforme numérique qui mettra en relation des vendeurs d’espèces marines peu valorisées et le crucial marché de l’hôtellerie, de la restauration et de l’institutionnel. On pavera ainsi la voie à une amélioration du système d’approvisionnement de la mer à la table. «Toutes les pièces du casse-tête sont là, assure Sandra Gauthier, mais encore faut-il les mettre ensemble.»


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