Dans les jardins des Premières Nations
Publié le
21 octobre 2019
Texte de
Gwenaëlle Reyt
Photos de
Michel Caron
Rassemblés à l’extérieur, au cœur du campus de l’Université de Sherbrooke, étudiants et professeurs sont assis devant une scène et écoutent religieusement. En face d’eux, Lysanne O’Bomsawin, cheffe et vulgarisatrice historique abénakise, donne ses explications tout en pré- parant une sagamité, sorte de soupe-repas composée de légumes et pouvant contenir de la viande. «Le bouillon est à base d’os d’orignal. J’ai ajouté des haricots, du maïs lessivé... savez-vous ce que c’est? C’est du maïs qui a macéré dans de l’eau cendrée qui cuit jusqu’à ce qu’il éclate. Ça lui donne la texture du pois chiche», explique-t-elle. L’odeur du bouillon se diffuse dans la foule. L’impatience de goûter se fait sentir.
Tous assistent à une conférence-dégustation de recettes autochtones préparées avec les légumes du jardin ancestral installé sur le campus. Cette dernière est une initiative du professeur d’histoire Tristan Landry. Avec un petit groupe d’étudiants de son cours en histoire de l’alimentation, il expérimente, pour la deuxième année de suite, des modes de cultures et des variétés ancestrales. Ils ont repris le système des «trois sœurs» qui est inspiré des traditions des Premières Nations et qui consiste à faire pousser en complémentarité le maïs, le haricot et la courge. Le maïs sert de tuteur pour les haricots qui fixent l’azote. Les courges rampent vers l’extérieur en repoussant les rongeurs avec leurs piquants et en limitant les mauvaises herbes avec leurs feuilles.
«Quand Jacques Cartier est arrivé, les Iroquoiens du Saint-Laurent pratiquaient l’agriculture de façon systématique. C’était devenu leur moyen de subsistance», raconte Tristan Landry. Pour savoir à quoi ressemblaient leurs jardins, l’équipe s’est basée sur les recherches d’un étudiant qui avait déjà travaillé sur un projet de jardin ancestral à Parcs Canada. «C’est un travail de reconstitution. Cartier n’était malheureusement pas assez précis dans ses descriptions, mais il a donné des informations sur la couleur du maïs, ce qui nous a permis de choisir des variétés colorées», poursuit-il en précisant que la culture des trois sœurs se retrouve encore chez les Mohawks. Le jardin est cultivé en cercle, permettant ainsi de créer une barrière naturelle contre les animaux.
Un jardin-école
Sur le campus, les trois sœurs ressemblent à un jardin sauvage envahi par les mauvaises herbes, ce qui fait sourire Lysanne O’Bomsawin. «Ce n’est pas un jardin iroquoien, mais bien un jardin abénakis, dit-elle en riant. Les Iroquoiens entretenaient bien leur jardin, alors que les Abénakis le laissaient à l’abandon. Comme ils étaient semi-nomades, ils plantaient en début de saison et ne revenaient qu’au moment des récoltes». Elle précise qu’en complément aux trois sœurs étaient plantés du tabac et des tournesols. Ils servent de répulsifs naturels et de source de protéines supplémentaires avec les graines de tournesol. À l’Université, le tabac n’a pas poussé et les scarabées japonais ont ruiné la récolte de haricots mohawks. Quant aux citrouilles algonquines, une dizaine de spécimens ont été volés lors des initiations, finissant probablement écrasés dans un coin.
Malgré tout, la récolte permet à la cheffe de préparer ses recettes. Elle enchaîne avec la banique qu’elle prépare à «l’œil et en trichant un peu». «Normalement, c’est un pain sans levure et sans levain, mais j’utilise de la poudre à pâte, parce que sinon, c’est un peu raide. Comme tout le monde, on s’est habitués à manger du pain moelleux», note-t-elle tout en mélangeant les farines de maïs et de blé. Le pain est finalement cuit à la poêle dans le beurre, car, dans la graisse alimentaire, c’est moins bon.
«Nous devons retourner à des modes de production adaptés à notre territoire et renouer avec les connaissances que nous avons perdues.»
Tristan Landry
Le retour aux sources
Originaire d’Odanak, réserve située près de Sorel, Lysanne O’Bomsawin travaille comme traiteure et explore la cuisine autochtone depuis plusieurs
années. Elle a d’abord voulu sortir sa cuisine du bois en la rendant plus raffinée. Se définissant comme «Québénakise», elle métisse sa cuisine et prépare par exemple des sushis aux saveurs autochtones. Toutefois, depuis peu, elle souhaite retourner aux sources. «Pendant longtemps, on a amené dans les communautés des aliments qui ne faisaient pas partie de nos cultures, souligne-t-elle. Il faut retrouver ce qui faisait partie de notre alimentation. C’est plus sain de manger comme à l’époque et c’est aussi plus économique. Il faut revenir à un mode d’alimentation plus acceptable.»
Le professeur Tristan Landry a également la préoccupation d’une alimentation durable et saine. Au-delà des aspects historiques et culturels, il voit dans la culture des trois sœurs un atout environnemental. «Nous devons retourner à des modes de production adaptés à notre territoire et renouer avec les connaissances que nous avons perdues, dit-il. C’est une question de survie. Que ferons-nous si un jour nous ne pouvons plus importer massivement les produits de la Californie?»
Tristan Landry souhaite ainsi par le projet de jardin sensibiliser la communauté universitaire à la consommation locale et durable en valorisant les espèces qui poussent ici. L’année prochaine, il veut étendre le projet à la culture d’herbes médicinales traditionnelles et poursuivre ces expériences historiques avec ses étudiants.
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Ce texte est paru dans un cahier de la série Manger le Québec, produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, en partenariat avec Caribou.