365 jours d’autonomie alimentaire aux Îles-de-la-Madeleine
Publié le
13 février 2024
Texte de
Virginie Landry
«C’est non seulement une démarche personnelle, mais aussi un hommage aux Îles», admet le principal intéressé qui documente le tout pour en faire un livre ainsi qu’un film documentaire, qu’il espère dévoiler quelque part au printemps 2025.
Rencontre avec un locavore passionné.
— D’où est venue l’idée de ce projet?
Adolescent, j’ai quitté les Îles-de-la-Madeleine pour aller étudier le cirque à Québec. À la suite d’une blessure, j’ai changé de domaine et j’ai étudié le film documentaire. Je cherchais activement à revenir aux Îles, alors j’ai trouvé une petite job de vidéaste corporatif. Je n’ai pas aimé ça, alors j’ai quitté l’emploi et j’ai essayé des trucs ici et là, dont pêcheur de homards, de flétan, charpentier… Avant de me décider à fonder ma propre compagnie de production vidéo.
Ça fait longtemps que je mijote l’idée de trouver quelqu’un qui allait faire le défi de manger pendant un an que les produits des Îles et que moi, j’allais le suivre et documenter le tout.
Je me suis vite rendu compte que personne n’allait le faire… sauf moi! J’ai assumé mon idée et je me suis lancé.
— Janvier vient de se terminer. Quelles sont tes impressions sur ces premiers 31 jours en autonomie alimentaire?
Mon premier constat est qu’on est vraiment accro aux produits transformés bourrés de sucre. Je n’ai que du miel dans mon alimentation maintenant, et plus de pain ou de pâtes. J’ai aussi éliminé le café!
Les premiers jours étaient difficiles, j’avais des rages de sucre, des maux de tête. Cependant, je peux maintenant dire que mon sommeil s’est amélioré et que j’ai même perdu du poids. Je précise que ce n’était absolument pas le but de ma démarche, mais je remarque que c’est un effet de manger moins d’aliments transformés. D’ailleurs, avant de commencer, j’ai fait des prises de sang et j’en aurai tous les trois mois, question de savoir si j’ai des carences.
Sinon, ça se passe plutôt bien! Je m’attends à avoir un creux de produits frais en avril et/ou mai. Je mangerai peut-être un peu moins diversifié à ce moment. Je m’ennuie de manger des grains, puisqu’on n’en a pas aux Îles. Ça me manque, c’est certain. Aussi, je me rends compte que j’aurais aimé avoir du chou-fleur, j’aurais pu me faire du faux riz. Je me reprendrai cet été.
— À quoi ressemblent tes repas?
Pour le déjeuner, je mange beaucoup d’œufs (de toutes les façons!), du bacon maison (j’ai mes propres cochons que j’ai élevés, abattus et transformés moi-même), beaucoup de pommes de terre (un produit phare aux Îles). Récemment, j’ai fait ma propre farine de patates pour pouvoir me faire des crêpes le matin, question de varier les déjeuners. C’était très surprenant!
Mes dîners et soupers sont les mêmes: je mange beaucoup de poissons et de fruits de mer que j’ai fait congeler lorsqu’il était en saison (du homard, du flétan, de la morue, de l’éperlan), de la viande (du porc, du bœuf, de la chèvre). Récemment, je suis allé à la chasse au loup marin, j’ai donc pu faire le plein de viande fraîche. J’en ai congelé une partie parce qu’aux Îles, la viande de loup marin est très festive, on aime la partager lors de grande tablée. Je me promets d’en faire un beau repas cet été.
Niveau fruits, j’avais profité de l’abondance estivale pour faire des provisions de fraises, de framboises, de petits fruits. Ma blonde avait cueilli plein de bleuets [NDLR: la conjointe et la fille de Gilbert ne font pas le défi avec lui]. J’ai des réserves de canneberges, de pêches, de melon miel et de melon d’eau. J’avoue que je me rationne un peu en ce moment, pour être sûr d’en avoir jusqu’à l’été!
J’ai des jardins et une serre, alors je fais pousser beaucoup de choses. Je me suis fait une chambre froide à la maison, comme ça que je peux cuisiner mes beaux légumes de conservation tout l’hiver: patates, navets, carottes, betteraves, oignons.
Aussi, j’ai un oncle qui a deux vaches et qui me fournissait du lait. Il a récemment arrêté et j’ai pu trouver un autre monsieur qui voulait m’aider et qui va m’approvisionner. Je fais mon fromage, mon yogourt et je prépare actuellement mon vinaigre.
— Dirais-tu que tu es en autonomie alimentaire à 100%?
Pratiquement, oui! Les deux seuls produits que je vais chercher chez des producteurs locaux, c’est le miel de Miel en mer (mais j’ai une ruche aussi, je vais bientôt avoir mon propre miel) ainsi que le sel Alcyon. Pour faire mes saumures et pour cuisiner, j’en avais besoin beaucoup, alors ils vont m’en fournir toute l’année.
Mon projet attire beaucoup l’attention des Madelinots et déjà, certains sont venus me porter des produits frais qu’ils ont chassés ou pêchés, dont du canard et de l’éperlan, pour m’aider.
— Qu’en est-il de l’alcool?
Le seul alcool que je peux boire, c’est l’hydromel de Miel en mer. Tous ses ingrédients sont locaux, sauf les levures, mais ça, c’est l’une de mes deux seules exceptions, avec les bactéries qui entrent dans la confection de mon fromage et mon yogourt, par exemple.
Je sais qu’il y a aussi un vignoble à Bassin, je dois aller le visiter!
— À l’approche de la saison estivale, quel est ton plan de match concernant les produits frais?
Je compte bien mieux profiter de ce qui va être en saison. L’an dernier, j’ai fait tellement de conserves pour me préparer que là, j’ai aussi envie de manger frais. Par exemple, lorsque le homard reviendra, ou la morue, ainsi que les chanterelles…
— Que penses-tu retenir le plus de ce défi?
J’apprends beaucoup, comme des techniques de pêche, de conservation, de lactofermentation…
Je me rends déjà compte que c’est un défi de partage. La communauté est derrière moi et elle a le désir de réapprendre ces techniques de chasse, de pêche, d’abattage. De manger plus local. C’est la préservation du patrimoine immatériel de notre terroir.
— Que comptes-tu faire de toutes ces nouvelles connaissances?
Il y a certainement un volet éducatif à mon projet. Chaque mois, je me promets de donner un atelier afin de partager tout ce que j’aurai appris, par exemple sur la lactofermentation, la pêche à l’anguille ou comment élever et abattre ses propres cochons. Je recevrai aussi des gens qui viendront donner des conférences. J’ai déjà l’auteur Dominic Lamontagne qui m’a signifié son intérêt, ainsi que l’artiste Marc Séguin. J’en dirai plus sur mes réseaux sociaux lorsque tout sera organisé!
Des bourses pour réaliser ce projet
Gilbert Richard a reçu des bourses pour l’aider à produire le contenu découlant de son projet «carnet d’autonomie alimentaire». Il a été sélectionné pour le programme de Partenariat Territorial du Conseil des Arts et des Lettres du Québec en plus d’obtenir la bourse Recherche et création du Fond de développement culturel des Îles-de-la-Madeleine.Suivez Gilbert Richard sur Instagram: @carnetdautonomiealimentaire
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