La poutine s’expose - Caribou

La poutine s’expose

Publié le

10 février 2025

Texte de

Sophie Ginoux

Photos de

Musée des Cultures du Monde

À la fois profondément ancrée au Québec et universelle, la poutine a transcendé ses origines modestes pour conquérir les cœurs et les estomacs de gourmands du monde entier. Elle méritait donc pleinement qu’on lui consacre une exposition. Petit entretien hautement alléchant avec Christian Marcotte, le directeur du Musée des cultures du monde de Nicolet, qui présentera jusqu’à la fin du mois de septembre prochain «La poutine. Une culture à toutes les sauces».
poutine
À la fois profondément ancrée au Québec et universelle, la poutine a transcendé ses origines modestes pour conquérir les cœurs et les estomacs de gourmands du monde entier. Elle méritait donc pleinement qu’on lui consacre une exposition. Petit entretien hautement alléchant avec Christian Marcotte, le directeur du Musée des cultures du monde de Nicolet, qui présentera jusqu’à la fin du mois de septembre prochain «La poutine. Une culture à toutes les sauces».
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— Comment l’idée d’une exposition consacrée à la poutine a-t-elle germé au sein du musée?

Par un heureux hasard. Un beau vendredi du mois de juillet 2020, nous étions en pleine réunion de remue-méninges en programmation quand une de mes collègues a lancé qu’il lui tardait d’aller se chercher une poutine en fin de journée. Et le déclic a été immédiat! Effectivement, en plus d’être situé au Centre-du-Québec [région qui a vu naître le mets], notre musée a pour mission de refléter les différentes cultures qui constituent le Québec d’aujourd’hui. Or, existe-t-il un plat plus culturel, et dirais-je même interculturel, que la poutine? C’est cette vision qui nous a servi de base pour monter cette exposition sérieuse, sans se prendre trop au sérieux.

— Quelles ont été les recherches nécessaires pour la monter, justement?

Le Musée des cultures du monde n’est pas un économusée se centrant sur un produit en particulier. Notre recherche s’est donc tout aussi bien attachée à des livres comme Maudite poutine!, de Charles-Alexandre Théorêt, ou bien Poutine nation, de Sylvain Charlebois, qu’à une multitude d’articles écrits sur le sujet, à des archives de sociétés historiques, ou encore à des témoignages, comme celui de Bruno Blanchet, qui a été le premier à offrir de la poutine dans son restaurant de Bangkok. La poutine a de multiples facettes intéressantes à explorer.

— En matière de poutine, tout part de trois ingrédients: les frites, la sauce et le fromage. Comment avez-vous étayé ces éléments?

Nous nous sommes intéressés à tous les détails qui les concernent. Pour les frites, tout d’abord, nous avons indiqué — sans nous positionner, je le précise — différents types de pommes de terre utilisées pour les confectionner (Idaho, Yukon Gold, patates rouges, etc.) ainsi que des coupes et différents types de cuisson populaires, du bain traditionnel dans un corps gras à l’air fryer.

Pour la sauce brune, nous avons demandé à Bob le Chef d’en concocter une en vidéo, tout en expliquant le principe d’une sauce gastrique.

Enfin, pour le fromage, il s’agit à la base de cheddar frais en grains, mais son goût et sa texture peuvent différer d’une région ou même d’un fromager à l’autre. L’essentiel, selon moi, c’est qu’il fasse «squik squik» quand on mange de la poutine, sinon l’expérience n’est pas aussi authentique!

— Sans déclencher de polémique, présentez-vous l’origine et l’évolution de la poutine?

Bien sûr! Même si plusieurs casse-croûte se disputent son invention, il semble que la poutine ait vu le jour au Centre-du-Québec en plusieurs étapes à la fin des années 1950; tout d’abord sous forme de frites-sauce, auxquelles on a ensuite ajouté du fromage en grains, une spécialité locale. En 1964, le nom de «poutine» serait apparu dans le menu du propriétaire du Roy Jucep, à Drummondville. Mais ce serait surtout à Ashton Leblond, de la célèbre chaîne du même nom de la région de Québec, que l’on devrait la démocratisation de la poutine, notamment pour l’avoir déclinée en différentes variations. Pensons aussi, par la suite, aux multinationales du fast-food qui ont intégré ce mets dans leur offre à partir des années 1990, ainsi qu’à sa réinvention en plat gastronomique par des chefs comme Martin Picard, Chuck Hugues et Danny St Pierre. Il n’y avait plus qu’un pas à faire pour que la poutine conquière le monde.

— Et la poutine est ainsi devenue universelle?

Tout à fait. Maintenant, il est possible de manger de la poutine sur tous les continents. Mieux encore, elle mêle sa recette originale à toutes les cultures culinaires qu’elle croise. Elle inspire aussi des tonnes de produits dérivés, des nouilles Kraft aux gâteries pour chiens, en passant par une sauce au THC vendue à la SQDC, des vêtements et des accessoires. En observant tout cela, on comprend à quel point la poutine est universelle et rassembleuse. Nous pouvons en être fiers!

Trois faits méconnus sur la poutine

Elle est sujette à débat. Certains avancent qu’elle proviendrait du «pudding» qu’un client aurait fait dans son assiette en mêlant ses trois principaux ingrédients. D’autres pensent qu’elle serait héritée du joual québécois, ce terme signifiant «mélange» ou «désordre».

Au début des années 1990, l’armée canadienne servait, à la demande de soldats québécois, des poutines dans des bases militaires à l’étranger. Or, leurs collègues de différentes nationalités l’auraient tout de suite adoptée, si bien qu’ils auraient cherché à en remanger une fois rentrés dans leurs pays.

Le mélange frites-sauce-fromage du Québec a de la concurrence à travers le monde! On retrouve par exemple du chili cheese fries (frites recouvertes de chili con carne et de fromage râpé) aux États-Unis, du ragda pattice (galettes de pommes de terre croustillantes servies avec un curry de pois secs et une variété de chutneys) en Inde, ou encore des patatas bravas (pommes de terre frites en cubes nappées d’une sauce tomate épicée) en Espagne.

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