– Geneviève: T’as vu, Stéphane Modat sort un livre de cuisine de chasse en novembre? On devrait faire une entrevue avec lui.
– Audrey: On devrait plutôt aller à la chasse avec lui!
– Geneviève: Oui, bonne idée! Je lui écris.
C’est comme ça qu’on s’est retrouvées, par un frisquet mardi de la fin octobre, sur l’autoroute 50 en direction de la Réserve faunique de Papineau-Labelle, en Outaouais, pour une partie de chasse au chevreuil avec le chef du Château Frontenac, Stéphane Modat et son acolyte, Frédéric Laroche, photographe et vidéaste. Ensemble ils chassent certes, mais ils document aussi, pour tenter de redonner ses lettres de noblesses à cette activité que l’homme pratique depuis la nuit des temps.
À l’accueil de la réserve, la dame derrière le comptoir déplie une carte pour nous indiquer le chemin pour nous rendre au chalet Abies, dans la zone 29 où Stéphane et Frédéric nous attendent. Nos cellulaires n’ont plus de signal depuis qu’on a passé le village de Duhamel. Pendant 45 minutes, carte à la main, on roule donc sur des chemins de terre avant d’arriver à destination. Les paysages sont magnifiques et certains tronçons du chemin sont déjà couverts de neige.
À notre arrivée au chalet, on aperçoit Stéphane et Frédéric qui s’activent autour d’un feu au-dessus duquel est suspendu un oiseau enrobé de papier d’aluminium dont les pattes dépassent. Deux carcasses d’oies trônent également sur la table. Déjà des prises? «Non, elles datent du printemps passé. On amène peu de nourriture quand on va à la chasse car on espère toujours pouvoir se nourrir avec ce qu’on va tuer. Mais on amène toujours de la viande de bois.»
Cette année, le tirage au sort leur a attribué la permission de tuer chacun un cerf de Virginie, comme on l’appelle dans la province, un mâle avec des bois d’au moins sept centimètres. Les deux passionnés de chasse sont arrivés de Québec la veille. Ils ont «appâté leurs spots» dans l’après-midi, c’est-à-dire qu’ils ont mis du maïs dans des endroits stratégiques soigneusement déterminés à la suite de la visite express de Frédéric la semaine précédente.
Les gars nous expliquent qu’il y a plusieurs éléments à considérer quand vient le temps de chasser une bête aussi nerveuse. «Le chevreuil est difficile à déjouer», ajoute-t-il. Comme on l’apprend dans leur livre Cuisine de chasse, il possède des sens très développés – son odorat est 35% plus puissant que celui du chien!
C’est là qu’on apprend qu’on n’ira pas «vraiment» chasser. On savait déjà qu’on allait pas abattre nous-mêmes une bête, ne possédant ni l’une ni l’autre notre permis de chasse. On se disait par contre qu’on pourrait peut-être être témoin d’un tir atteignant sa cible.
Stéphane a rapidement refroidi nos ardeurs. «Vous sentez trop la ville! Nous, ça fait deux jours qu’on se lave avec un savon spécial, et à quatre dans le bois, on va faire trop de bruit.»
Ce n’est pas ce qui allait diminuer notre excitation à l’idée de se plonger le temps d’une journée dans cet univers.
D’entrée de jeu, le chef veut connaître notre position sur la chasse. Nécessairement, prendre part à une telle activité suscite une réflexion.
C’est certain que d’avoir le choix entre voir un animal mort ou pas, on choisit la deuxième option. Cela dit, si on décide de consommer de la viande, aussi bien être conséquentes. La viande est un animal mort. Mais la chasse est-elle plus ou moins barbare que l’abattoir?
Ça n’en prend pas plus pour que Stéphane s’enflamme. «On chasse en premier lieu parce que c’est la représentation même du terroir de chez nous. On chasse aussi pour venir relaxer, se ressourcer, trouver de nouvelles idées, mais aussi pour travailler sur le fait de peut-être un jour légaliser les produits de la chasse, en tout cas pour ouvrir le débat par rapport à ça. On légalise le cannabis, je ne peux pas croire qu’on ne peut pas légaliser la viande d’orignal!»
En effet, au Québec, la chasse commerciale est interdite. Pour consommer du gibier, il faut le chasser soi-même ou avoir un ami chasseur généreux.
Gaspillage de viande sauvage, interdiction d’en vendre dans les restaurants, perte de nos savoir-faire… les deux amis en ont long à dire. Stéphane s’était d’ailleurs déjà entretenu avec notre collaboratrice Julie Aubé de ces questions en juin 2017.