Célébrer le terroir avec la cheffe wendate Anora Collier
Publié le
15 mars 2025
Texte de
Émélie Bernier

Née d’une mère wendate et d’un père américain, Anora Collier a toujours aimé chasser, pêcher, cultiver et cueillir. «Chez nous, on était proches du mode de vie traditionnel», se remémore-t-elle. La viande de bois, la bannique et la sagamité, cette soupe traditionnelle emblématique de la cuisine des Premières Nations, étaient régulièrement au menu à la maison, en plus des légumes du potager et des petits fruits de saison.
Du jardin à l’assiette, il n’y a qu’un tout petit pas. Quand est venu le temps de choisir un champ d’études, elle s’est naturellement tournée vers une formation de gestion en service alimentaire.
Avoir son propre restaurant était déjà une ambition à l’époque. «Après mes études, j’ai eu un service traiteur, mais avec des enfants en jeune âge, c’était difficile. J’ai opté pour une situation plus stable, dans les cuisines d’un centre pour personnes âgées. J’ai fait ça durant 11 ans.»
Alors que l’intérêt pour ce travail plus institutionnel s’étiolait, Anora a eu vent que La Traite cherchait un nouveau chef. «J’hésitais, j’avais un complexe de l’imposteur… Mais ce sont mes filles, qui travaillaient au restaurant, qui m’ont dit: “maman, tu as toujours voulu avoir ton propre restaurant! Ici, tu aurais le côté créatif et entrepreneurial, sans les affaires administratives plates!” Je les ai écoutées!» rit-elle.
Embauchée en septembre dernier, Anora Collier n’a aucun regret. «Ici, c’est stimulant parce qu’on a la possibilité de faire découvrir au monde entier notre culture à travers l’alimentation qui mène à des discussions, à un partage. Je fais le lien avec la réconciliation, et c’est dans cette optique que je travaille», confie-t-elle.
Un calendrier inspirant

Photo: Catherine Côté
Le calendrier wendat, formé de multiples cercles concentriques où sont inscrits tant les périodes de récoltes et de chasse que les cérémonies, les confections artisanales ou les jeux selon les périodes de l’année, inspire la cheffe qui marie tradition et modernité, mais tient avec entêtement au respect de l’héritage. «La sagamité peut être revisitée, mais si on l’appelle sagamité, il ne faut pas la dénaturer. On n’appellera pas un pâté chinois une tourtière, je suis un peu rigide là-dessus!» De la même façon, elle n’affublera pas des champignons de culture de l’épithète «sauvages» s’ils sont cultivés et ne servira pas de bœuf en lieu et place du cerf indiqué sur le menu… «À l’école, c’est une des premières choses qu’on m’a apprises et je trouve ça important: donner au client ce pour quoi il paie!»
Sur la table de La Traite, on trouvera systématiquement la bannique, ce pain de froment, d’eau et de levure cuit traditionnellement dans la braise. Le menu, lui, fera la part belle à la viande et aux poissons québécois, mais les végétariens et végétaliens y trouveront leur compte grâce aux œufs, légumes, légumineuses, noix…
«On va travailler avec le fromage, qui n’est pas traditionnel, avec une twist qui nous ressemble. Je ne suis pas dans un dogme, je me donne de la latitude.»
Difficile, de toute façon, de garnir les assiettes d’orignal, de chevreuil, de castor ou d’ours. «Les produits de la chasse, de la trappe, ne sont pas accessibles à tous! Vouloir ne mettre que nos aliments traditionnels à la carte serait beaucoup trop contraignant.» Elle fait d’ailleurs partie de La Table Ronde, un collectif qui rassemble les entrepreneurs à la tête des grands restaurants du Québec et qui travaille à accélérer l’essor du secteur de la gastronomie durable. «Si je pouvais acheter un orignal, comme certains restaurateurs achètent un thon, par exemple, et en valoriser toutes les parties, je serais très heureuse de le faire!»
Car chez les Autochtones, honorer l’animal dans son entier est une règle tacite. «Je trouve important que ce côté culturel du non-gaspillage soit reflété dans le menu», dit-elle. D’ailleurs, le cœur de cerf remplacé par le cœur de canard pour des raisons d’approvisionnement est vite devenu un plat signature de La Traite.

Photo: Catherine Côté
Les promesses du printemps
Les prochains mois amèneront avec eux une nouvelle dimension en cuisine. «On a un petit potager, une section pour faire pousser des herbes. J’aimerais bien avoir des ruches.» Et elle tisse déjà des liens avec une agricultrice de la communauté qui cultive le maïs blanc traditionnel.
Anora Collier ne manque pas d’inspiration, mais elle peut en plus compter sur une brigade d’une vingtaine d’employés, dont plusieurs ont des origines autochtones. «Plus du tiers de ma gang est soit wendat, soit innu, soit attikamek. Ils m’inspirent! Souvent, je sors de grandes lignes, on en jase, on vire ça à l’envers…. Et ce qui en résulte est une belle histoire de collaboration, d’échanges…» Un vrai bouillon de culture autochtone, quoi.
À propos des clients, Anora Collier n’a que de bons mots. «Les gens sont beaucoup plus sensibles qu’avant. La Commission de vérité et réconciliation a éclairé des zones sombres. Je pense que les gens étaient dans le néant et qu’aujourd’hui ils comprennent mieux d’où l’on vient, ce qu’on a vécu.»
La cuisine est une autre façon de créer des liens entre Allochtones et Autochtones pour Anora Collier. «Ici, c’est une main tendue! Venez, on va vous montrer une partie de notre culture, on va partager avec vous, on va prendre des moments pour discuter. La cuisine est un bon prétexte!»
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