Chez l’enfant, la conversation pendant le repas stimule le développement du langage, le rituel favorise la sécurité affective et le climat détendu peut contribuer à une meilleure régulation des portions. À l’inverse, des repas tendus ou coercitifs, où l’on force les plus jeunes à finir leur assiette ou à goûter «juste une bouchée», peuvent créer une relation problématique avec la nourriture, qui perdurera parfois jusqu’à l’âge adulte. «Ce n’est pas parce qu’on mange ensemble tous les jours qu’on en récolte automatiquement les bienfaits. Le climat [qui règne autour de la table] compte autant que la fréquence des repas partagés», souligne Audrey-Anne Desjardins.
Chez les adultes, «le contexte social peut motiver à cuisiner des plats plus complets aussi bien qu’inciter à faire livrer des plats de restauration rapide. Il peut aussi favoriser l’ouverture à de nouveaux aliments ou, au contraire, renforcer des préférences limitées», nuance Élise Carbonneau. Des études ont également démontré que les hommes, quand ils mangent entre eux, ont tendance à se servir de plus grandes portions, un peu comme pour faire la démonstration de leur virilité, et qu’à l’inverse, les femmes, en prenant un repas entre elles, peuvent se restreindre pour éviter d’avoir l’air de manger plus que les autres. «À table, on se compare, on s’ajuste. Le premier à commander une salade influence parfois les suivants.» L’effet miroir peut être léger ou plus important, mais il n’est jamais nul, et ces dynamiques, souvent inconscientes, façonnent le contenu de nos assiettes.
Manger ses émotions
Le contexte dans lequel on mange modifie aussi le traitement physiologique de ce qu’on avale. Certains environnements et certaines émotions agissent sur l’assimilation des aliments, comme l’explique Élise Carbonneau: «Beaucoup de gens ont mal au cœur quand ils sont stressés. La peur et l’anxiété nuisent à la digestion. C’est un phénomène qui est lié notamment à des réponses biologiques des systèmes nerveux parasympathique et sympathique.»
Le premier joue un rôle clé dans la régulation des fonctions corporelles au calme alors que le second gère les dangers. Le corps réagit aux tensions quotidiennes, et l’effet de celles-ci sur la digestion est indéniable. Combien de mauvaises nouvelles apprises lors d’un repas ont eu pour effet de couper l’appétit?
Trouver son rythme
Toujours du point de vue physiologique, plusieurs études démontrent que le fait de manger lentement améliore la digestion et favorise l’écoute des signaux corporels. Audrey-Anne Desjardins et Élise Carbonneau s’entendent sur l’importance du rythme dans le processus digestif et dans la perception de la faim. Lorsqu’on mange plus lentement et en mastiquant bien, la salive joue son rôle, qui consiste à entamer la digestion des aliments. On est alors davantage à l’écoute de ses signaux de satiété, qui peuvent prendre une vingtaine de minutes après la première bouchée avant de se manifester.
Dans un contexte convivial, on tend naturellement à ralentir. On parle, on écoute, on respire. À l’inverse, les repas pris sur le pouce, en solo ou devant un écran court-circuitent souvent ces mécanismes.