Fruits de mer: du Saint-Laurent au pays du soleil levant  - Caribou

Fruits de mer: du Saint-Laurent au pays du soleil levant 

Publié le

17 juin 2023

Fruits de mer du Québec
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Lors de sa visite dans l’un des célèbres marchés aux poissons de Tokyo, un touriste québécois à l’œil attentif pourrait bien tomber sur du crabe des neiges pêché à quelques kilomètres de chez lui. Friands des fruits de mer du Québec, les Japonais ont fait du golfe du Saint-Laurent l’un de leurs viviers. Exploration de ce pont culinaire long de 10 000 km qui relie notre province et le pays du Soleil levant.

Texte de Benoit Nadeau-Valois

Il est plutôt rare de croiser un citoyen japonais dans un petit village côtier de la Gaspésie, de la Côte-Nord ou des Îles-de-la-Madeleine. Mais pas à Sainte-Thérèse-de-Gaspé, dans la MRC du Rocher-Percé, où se trouve la plus grosse usine de transformation de crabe des neiges de la province. 

Là, depuis des décennies, des acheteurs japonais viennent chaque année inspecter de visu les cargaisons de crabes des neiges qu’ils achètent de l’entreprise E. Gagnon & Fils. «Ça fait presque 30 ans qu’on fait affaire avec le Japon, c’est pratiquement devenu un marché traditionnel pour nous», raconte Bill Sheehan, vice-président de E. Gagnon & Fils et président de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP). 

Cette présence nippone se remarque dans plusieurs autres usines de transformation de l’est du Québec, puisque le Japon est l’un des principaux acheteurs internationaux de produits de la mer québécois, avec les États-Unis et le Danemark. Selon les derniers chiffres disponibles, en 2020, les exportations de produits de la mer québécois vers le Japon étaient évalués à 4,6 millions de dollars.

Des produits de luxe

Si le crabe des neiges représente la plus grande partie des exportations des fruits de la mer québécois (3,6 millions) vers ce pays d’Extrême-Orient, l’invertébré est aussi accompagné de produits parfois encore méconnus ici: bourgots (ou buccins), mactres de Stimpson, oursins ou rave de hareng, ainsi que des poissons de fond, comme le flétan.

Les exportations vers le Japon ont déjà représenté jusqu’à 25% de la production de E. Gagnon & Fils, mais cette proportion se situe maintenant aux alentours de 10%. La COVID-19 et les difficultés de manutention qu’elle a engendrées ont notamment compliqué l’exportation vers le Japon. Il faut dire que les Japonais sont des clients plutôt… exigeants. 

Par exemple, les Japonais veulent des crabes à la carapace rouge-orange vif, sans cicatrices ni marques, avec un taux de chair élevé. Chaque section de l’animal est relavée et rebrossée minutieusement avant d’être emballée. À l’usine, des inspecteurs japonais sont présents pour inspecter visuellement chaque boîte et faire des tests de qualité. 

La production destinée au Japon demande donc une main-d’œuvre nombreuse et un rythme de production plus lent, mais procure une intéressante «plus-value» aux entreprises exportatrices, selon le président de l’AQIP. 

«C’est un marché axé sur la qualité et non sur le volume», résume André-Pierre Rossignol, conseiller à l’exportation pour Gimxport, un organisme qui accompagne les entreprises de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine dans le développement de nouveaux marchés. «Ils ont les moyens de payer pour la qualité et s’attendent à l’avoir.» 

Sushi, nigiri, sashimi... 

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Là-bas, les fruits de mer québécois sont en grande partie traités comme des produits de luxe. «Les quantités utilisées par repas sont beaucoup plus petites qu’ici. Ils sont traités comme un produit fin, explique André-Pierre Rossignol. Une épluchette de crabe, comme on le fait en Gaspésie, ou des guédilles, ça ne fait pas partie de la culture japonaise!»

La mactre, par exemple, est utilisée en sushi et en nigiri, tandis que les oursins sont prisés en sashimi, entre autres. Délice fort recherché, le crabe, lui, est apprêté à toutes les sauces. 

«Le crabe des neiges est un produit super populaire là-bas. Il existe des restaurants réputés où on ne sert que ça, de la bisque en entrée, jusqu’au dessert», précise Bill Sheehan, qui s’est rendu plusieurs fois dans l’archipel nippon. De quoi inspirer les chefs d’ici, qui sont de plus en plus nombreux à mettre les produits de la mer du Québec au menu. 

C’est le cas de David Gauthier, chef et copropriétaire du Bar St-Denis, à Montréal, qui se fait un devoir d’inscrire sur la carte de son restaurant un maximum de produits de la pêche locale. «Comme ces produits ne sont accessibles que quelques mois par année, il faut profiter au maximum des stocks, un peu comme les légumes de saison en été», soutient celui qui est aussi passé par le Pied de cochon et le Montréal Plaza. 

Son menu est actuellement gorgé d’huîtres de Gaspésie, de pétoncles des Îles, de flétan et de bourgots. Et les clients répondent présents en grand nombre. «Les Québécois sont plus éveillés que jamais [aux produits de la mer]. Des oursins, j’en vends beaucoup, des bourgots aussi», affirme David Gauthier. 

C’est peut-être aussi dans le mode de conservation que les Japonais peuvent nous inspirer. «Le crabe se conserve très bien grâce à la congélation, mais les Québécois n’ont pas tendance à vouloir manger du crabe congelé. On en mange en saison seulement», fait observer André-Pierre Rossignol. 

Bill Sheehan abonde dans le même sens. «Le homard et le crabe sont très populaires ici, mais seulement durant la saison de pêche. Les Québécois aiment les manger frais, contrairement aux Japonais, qui vont s’approvisionner durant la saison, le congeler et l’écouler durant toute l’année.»


Nul n’est prophète en son pays 

Selon l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, 72% des produits marins du Québec sont vendus à l’étranger. Et ce n’est pas parce que les Québécois n’aiment pas les poissons et les crustacés: la province en a importé pour 573 millions en 2021, un montant qui dépasse la valeur de ses exportations (476 millions). 

Comment expliquer ce paradoxe? Les hypothèses sont nombreuses: une industrie historiquement axée sur l’exportation de masse, un réseau de distribution locale désuet, une culture culinaire maritime peu développée à l’extérieur des régions ressources, un manque d’usines de transformation destinées au marché local, un marché mondial hypercompétitif, etc. 

Heureusement, des initiatives existent pour renverser la tendance et permettre aux Québécois de manger davantage de produits de leur terroir marin. C’est le cas notamment de Mange ton Saint-Laurent!, un collectif de chercheurs, de chefs et d’entrepreneurs qui veulent faire connaître les espèces comestibles du fleuve, de la Fourchette bleue, plateforme de vente de produits de la pêche, et de la Table ronde, qui veut favoriser l’approvisionnement local des restaurants de la province. 

«L’époque où tu devais connaître Ti-Jos en Gaspésie pour t’approvisionner en fruits de mer» tire à sa fin, croit David Gauthier. «Des projets comme la Table ronde vont changer les choses et des produits comme les oursins vont devenir davantage accessibles. C’est une question de temps, j’ai confiance en l’avenir.»

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