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L’argenterie, une partie de notre patrimoine culinaire

Publié le

17 juin 2023

Argenterie patrimoine culinaire
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Objet de prestige pendant des siècles, l’argenterie a aujourd’hui presque disparu de nos cuisines. Retour sur cette part importante de notre patrimoine culinaire.

Texte de Laura Shine

Certaines pièces d’argenterie, couteaux, ustensiles de service ou sucriers témoignent d’une époque où l’argent était considéré un patrimoine de choix à offrir à de jeunes mariés. Même si l’argenterie est aujourd’hui moins en vogue, elle n’en reste pas moins le témoin d’une longue tradition dans la Belle Province. 

Aux premiers temps de la colonie, les pièces d’argenterie proviennent d’Europe. Soit elles ont voyagé dans les valises des colons, soit elles ont été importées par la suite. Le voyage n’est pas sans risque: les bateaux tombent parfois aux mains des corsaires, et il arrive aussi qu’ils coulent au fond de la mer, emportant leur précieuse cargaison. 

Les pièces d’argenterie importées en Nouvelle-France sont principalement destinées à l’Église et, dans une moindre mesure, aux familles seigneuriales. 

L’argenterie domestique, pour sa part, est destinée au service et à la consommation des plats. Cuillères et fourchettes, assiettes, bols et pichets sont employés pour les repas courants des familles fortunées. Pourtant, peu d’argenterie de cette époque est parvenue jusqu’à nous. Certaines pièces ont été perdues dans des incendies, mais la majorité d’entre elles ont été fondues pour en réaliser de nouvelles. C’est que l’argent est un métal rare: l’approvisionnement dans la colonie est difficile et onéreux. La plupart des pièces sont donc façonnées à partir d’éléments existants ou encore de pièces de monnaie anciennes ou d’usage courant.

Dès le début du 18e siècle, on trouve des orfèvres locaux qui réparent les pièces existantes et créent des morceaux simples, qu’il serait trop onéreux – ou trop risqué – de faire venir de France. Rapidement, des artisans formés dans la métropole se taillent une solide réputation à Québec et à Montréal. Ils moulent à la main des gobelets, des écuelles, sortes de bols à deux anses dans lesquels on sert des soupes et des plats en sauce, et des ustensiles. Les modestes éléments décoratifs sont habituellement gravés derrière les cuillères et les fourchettes, puisqu’à l’époque on place celles-ci face contre table.

Même si la grande majorité des objets en argent est encore destinée aux églises, l’argenterie domestique est très prisée parmi les plus fortunés de la colonie. En plus d’afficher le statut social et la richesse de leur propriétaire, ces pièces représentent une valeur sûre; elles peuvent être léguées, monnayées en tout temps, et valent au moins leur poids en argent. C’est un achat patrimonial, un investissement. Qui plus est, nombre de ces objets sont réalisés sur commande et portent l’insigne ou les armoiries de la famille, en plus du poinçon de l’orfèvre, constitué des initiales de l’artisan ou d’un symbole qui lui est propre. Cette sorte de burinage les protège contre le vol, car ils sont toujours identifiables, à moins de les refondre pour en effacer les inscriptions. 

Des technologies en évolution

Dans les décennies qui suivent la Conquête anglaise, l’influence britannique se fait sentir jusque dans l’argenterie. Les styles évoluent, et les techniques aussi. Dans la seconde moitié du 18e siècle, une nouvelle méthode de fabrication transforme le travail des orfèvres: l’argent en feuilles leur permet de découper des morceaux et de les assembler plutôt que de tout mouler à la main. Montréal est alors la capitale canadienne de la production d’argenterie. Théières, tasses, poivrières, sucriers et moutardiers trouvent leur place sur les tables des gens les plus riches. La diversité des pièces d’argenterie en dit long sur les habitudes culinaires de la haute société de l’époque. On retrouve en effet des ustensiles à usage très spécifique, comme la cuillère à moelle, la spatule à poisson ou la râpe à muscade, qui attestent de la diversité et de la richesse des menus dans ces grandes maisons. 

Des pièces sont encore importées d’Europe, et certaines sont retouchées par des orfèvres locaux pour les adapter à la mode canadienne et y graver les initiales de leur propriétaire. 

Au tournant des années 1850, une autre découverte technologique vient bouleverser le marché de l’argenterie. La galvanoplastie, qui permet de plaquer une mince couche de métal sur un autre métal (notamment du cuivre ou du laiton), lance la fabrication d’articles de moindre prix recouverts d’une fine pellicule d’argent. Ces pièces, bien que trompeuses lorsqu’elles sont neuves, montrent rapidement des signes d’usure en laissant apparaître les métaux sous-jacents.

De nouveaux procédés de mécanisation permettent également de produire en masse de l’argenterie d’usage quotidien. Cette démocratisation du métal précieux bouleverse le monde de l’orfèvrerie. La possession d’articles en argent n’est plus l’apanage des ultra-riches, mais ces derniers sont encore les seuls à pouvoir se procurer des articles de grande qualité en argent massif, fabriqués par des artisans. On commande alors plus souvent à ceux-ci des pièces commémoratives pour souligner des évènements ou des occasions que de l’argenterie à usage culinaire; et ces morceaux sont fréquemment destinés à l’exposition plutôt qu’à l’utilisation quotidienne.

Une popularité en chute libre 

Au tournant du 20e siècle, Montréal reste une plaque tournante de la production d’argenterie canadienne. En 1879, Henry Birks fonde l’entreprise du même nom, encore en activité aujourd’hui. L’entreprise familiale devient, en l’espace de quelques décennies, un incontournable de l’orfèvrerie au pays, rachetant les distributeurs et les détaillants rivaux. Jusqu’en 1990, c’est dans la métropole québécoise qu’elle fabrique ses ustensiles et ses récipients à usage culinaire. Bien que la marque montréalaise soit toujours synonyme de luxe et d’exclusivité, elle vend aujourd’hui essentiellement des bijoux. Signe des temps, plus aucun ustensile ni outil culinaire ne figure à son catalogue virtuel. 

On trouve maintenant plus d’argenterie chez les antiquaires que chez les détaillants. Cher, l’argent demande aussi beaucoup d’entretien pour éviter qu’il ne ternisse. Pour bien des familles, l’acier inoxydable l’a avantageusement remplacé. La popularité de l’argenterie comme cadeau de mariage ou de baptême a chuté au cours des dernières décennies en faveur d’objets plus quotidiens, plus pratiques, et qui demandent moins d’huile de coude pour le polissage. Mais lorsqu’il est utilisé fréquemment, l’argent a moins tendance à ternir, et il ajoute une touche d’élégance à n’importe quelle tablée. Il est peut-être temps de redonner vie à ces cuillères cachées dans une boîte au grenier? 

numero argent
Ce texte est paru à l'origine dans le numéro Argent.
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