Le sucre à la crème, l’une des seules recettes purement québécoises? - Caribou

Le sucre à la crème, l’une des seules recettes purement québécoises?

Publié le

25 novembre 2024

Texte de

Alexis Boulianne

L'origine du sucre à la crème a longtemps été énigmatique. Mais un professeur québécois de chimie à l’université Duke, en Caroline du Sud, pense avoir percé le mystère de ce dessert bien sucré: ce serait l’une des seules recettes à avoir été inventée ici-même au Québec, par des populations canadiennes-françaises. Voici son histoire… revisitée.
Origine sucre à la crème
L'origine du sucre à la crème a longtemps été énigmatique. Mais un professeur québécois de chimie à l’université Duke, en Caroline du Sud, pense avoir percé le mystère de ce dessert bien sucré: ce serait l’une des seules recettes à avoir été inventée ici-même au Québec, par des populations canadiennes-françaises. Voici son histoire… revisitée.
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Plus grand que la panse

Enfant, Patrick Charbonneau se rendait chez sa grande-tante Bernadette Gratton, à Montréal, pour déguster sa confection préférée: un carré (ou deux) de sucre à la crème tout juste refroidi. Mais la place que le sucre à la crème occupe dans sa mémoire et dans celle de bien d’autres Québécois et Québécoises est plutôt unique. En dehors des frontières de la Belle Province, les personnes qui en connaissent l’existence sont peu nombreuses.

«Aux États-Unis, personne ne connaît ça, même le pudding chômeur a plus de visibilité que le sucre à la crème», affirme celui qui est aujourd’hui chercheur et professeur de chimie à l’université Duke. Ce serait pourtant un symbole culinaire qui distingue la culture alimentaire québécoise et qu’on ne retrouve pas ailleurs.

Cet expert de la cristallisation se sert depuis plusieurs années de l’exemple du sucre à la crème dans ses cours pour illustrer la structure polycristalline des matériaux. C’est lorsque vient le temps de trouver une source pour expliquer l’origine de la recette qu’il se bute à un problème: les sources disponibles sont «un peu n’importe quoi», des hypothèses de recherches, qui ne sont pas appuyées par des sources primaires historiques.

C’est ainsi qu’il se lance dans une recherche qui sort de son champ d’étude normal. «Je voulais faire quelque chose que les historiens reconnaissent comme de l’histoire valide», explique-t-il en entrevue.

Le résultat? Sucre à la crème: Origin and Trajectory of an Authentic Québec Confection, un article publié dans la revue Ethnologies, (seulement disponible en ligne pour les gens qui ont un compte à la BANQ). On y découvre une recherche approfondie et appuyée sur des sources directes, qui retrace le parcours d’une sucrerie bien de chez nous et qui élimine les possibles influences européennes.

L’histoire

Le sucre à la crème serait né par inadvertance: l’hypothèse de Patrick Charbonneau est que vers la fin du 18e siècle, il était courant d’essayer de blanchir le sucre d’érable pour qu’il ressemble davantage au sucre de canne raffiné, dont le prix était alors beaucoup plus élevé.

«Les notions de chimie culinaire étaient encore assez jeunes, surtout dans un milieu rural analphabète. Comment on clarifie du sucre [quand on ne sait pas comment faire]? On ajoute du lait! Mais ça ne fait pas la même texture.»
Patrick Charbonneau

C’est ainsi qu’un dessert serait né: crème et sucre d’érable, chauffés puis refroidis en brassant, forment une sorte de fudge, pas mou ni dur, légèrement friable et, surtout, irrésistible. Du sucre à la crème!

Au cours des décennies suivantes, le sucre à la crème est demeuré une confection rurale, possiblement ignorée des élites urbaines et du clergé. Une population aussi peu lettrée que les Canadiens français de l’époque n’aurait en effet aucune manière de mettre à l’écrit cette recette. «Ils apprennent par le mouvement, la maîtrise des matériaux», juge M. Charbonneau.

Le premier livre de recettes canadien-français, La Cuisinière canadienne (1840), n’en fait aucune mention; selon Patrick Charbonneau, il s’agissait d’éviter soigneusement les produits de l’érable, entachés par leur association avec les classes pauvres rurales ainsi qu’avec la révolte des Patriotes, qui avaient appelés au boycott du sucre blanc importé au pays par les Britanniques.

La plus ancienne recette écrite de sucre à la crème se trouve dans le journal L’aurore des Canadas en 1844.

Première recette écrite

«Prenez une livre de sucre d’érable bien raffiné, hachez menu, mettez-le dans une poêle, ajoutez un gobelet de crème douce, et faites cuire jusqu’à ce que le sucre file ou soit de la consistance à faire de la tire; ôtez alors du feu, et portez en lieu froid, (à la cave ou glacière l’été, sur la neige l’hiver); brassez avec une cuillère, en tournant, et sans cesser, jusqu’à ce que le mélange soit parfaitement refroidi. Battez, ensuite, retirez de la poêle, façonnez à votre fantaisie, la substance qui vous reste, molle comme du sucre de sève, et qu’on appelle sucre de crème: d’un goût riche et agréable.»

Il faudra toutefois attendre près de 40 ans avant de voir d’autres recettes être publiées en français et en anglais. Patrick Charbonneau fait l’hypothèse que cette soudaine apparition est un résultat de la perte de la technique pour faire cristalliser le sucre, et que les populations de plus en plus urbaines avaient effectivement besoin d’une recette pour faire le dessert de leur mère ou de leur grand-mère.

Aucune autre trace de confection sucrée comme le sucre à la crème, c’est-à-dire incorporant des produits laitiers et du sucre, ne peut être identifiée au 19e siècle, en Amérique ou en Europe, selon Patrick Charbonneau, sauf pour la panocha de leche, qui semble s’être développée indépendamment et un peu plus tard que le sucre à la crème, au Mexique.

Perdre la trace

Aujourd’hui, on trouve de nombreuses versions du sucre à la crème, mais presque aucune n’est faite avec du sucre d’érable. Pourquoi? «Ç’a toujours été une confiserie du peuple, explique Patrick Charbonneau. Quand le sucre d’érable était le sucre le moins cher, c’est ce qui était utilisé. À la fin du 19e siècle, le prix de la cassonade est devenu plus bas que le prix du sucre d’érable.»

Avec ces nouveaux ingrédients – cassonade, sirop de maïs, lait condensé en conserve – on a perdu le lien avec la tradition, suggère le professeur. «Le sucre à la crème n’a pas la même aura que d’autres plats, même s’il est peut-être plus traditionnel que bien de nos recettes qu’on considère comme traditionnelles.»

Il est grand temps qu’il retrouve sa juste place au panthéon du patrimoine culinaire québécois. «Le sucre à la crème, écrit Patrick Charbonneau dans la conclusion de sa recherche, est peut-être l’incarnation la plus authentique de la dent sucrée des Québécois.»

À l'érable, comme dans le temps!

Ce texte vous a donné envie de cuisiner du sucre à la crème. Voici une recette de sucre à la crème à l’érable!

Sucre à la crème à l'érable
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