Les pros des coupons - Caribou

Les pros du coupon

Publié le

28 septembre 2023

Texte de

Rémy Bourdillon

Illustration de

Aless Md

Le couponing est l’art de collectionner les coupons de réduction et de les combiner afin de réaliser un maximum d’économies. Sur Facebook, certains groupes de «couponeuses» comptent des milliers de membres qui s’entraident et échangent ces petits papiers. Incursion dans cette communauté bien organisée.
coupons couponing
Le couponing est l’art de collectionner les coupons de réduction et de les combiner afin de réaliser un maximum d’économies. Sur Facebook, certains groupes de «couponeuses» comptent des milliers de membres qui s’entraident et échangent ces petits papiers. Incursion dans cette communauté bien organisée.
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Durant le confinement du printemps 2020, Frédérique Langlois, 22 ans, s’est retrouvée subitement avec beaucoup de temps devant elle. Elle a alors décidé de plonger dans une activité qu’elle voulait essayer depuis longtemps: le couponing.

On a tous déjà vu ces coupons colorés offrant des rabais sur des produits particuliers. Pour beaucoup d’entre nous, il arrive qu’on en utilise un… si les circonstances s’y prêtent. Mais d’autres personnes, elles, en font un sport de haut niveau, d’où l’ajout du suffixe «ing». Ce sont très majoritairement des femmes qui chassent les coupons, les cumulent avec d’autres offres et finissent par les dégainer au bon moment pour empocher la cagnotte. Elles s’y mettent en général pour réduire leur facture d’épicerie, puis cela devient un jeu, et elles ne peuvent plus s’arrêter…

Après quelques mois, Frédérique parvient à économiser une bonne centaine de dollars par semaine. Elle trouve ses coupons directement dans les rayons des magasins ou dans son courrier. Il lui faut environ trois heures par semaine pour les classer et dresser sa liste d’épicerie. «Je suis une personne organisée de nature, alors, ça me demande juste un peu de concentration», commente-t-elle, amusée.

La jeune femme fait partie de quatre ou cinq groupes Facebook. Chacun d’entre eux est une véritable petite communauté qui a son jargon, ses règles et ses vedettes. On y pose des questions, on partage des trucs. Surtout, on brandit ses trouvailles comme des cartes de hockey, et on essaie de les échanger contre un autre coupon qu’on désire ardemment.

«On fait parfois des échanges entre provinces, parce qu’en Ontario il y a plein de coupons qu’on n’a pas au Québec, et vice-versa. Or, ces coupons sont bons partout au Canada», précise Katheryne Aubert, 22 ans elle aussi et étoile montante du couponing québécois. Surnommée Miss Coupon, elle s’est spécialisée dans la formation et le soutien des novices, au point d’en faire son gagne-pain: moyennant un abonnement, elle leur fournit un manuel de démarrage, écume les circulaires à leur place et répond à leurs questions.

Une vieille stratégie de marketing

C’est Coca-Cola qui aurait proposé les premiers coupons en 1887 à Atlanta. «Pour les fabricants, c’est une façon d’inciter les consommateurs à essayer un nouveau produit», explique le professeur agrégé en marketing à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke Deny Bélisle.

«Quant aux chaînes d’épicerie, elles en offrent à leur clientèle pour la fidéliser ou pour stimuler la demande dans des périodes creuses.»
Deny Bélisle

Stratégie de marketing donc, que les connaisseurs retournent à leur avantage. Ainsi, Katheryne Aubert, sachant que les nettoyants finissent toujours par être soldés, n’utilisera jamais un rabais de 2$ pour un savon de 5,98$. Elle attendra qu’il tombe en spécial à 1,98$, et, avec son coupon, l’aura alors tout à fait gratuitement. Ses bonnes affaires lui permettent de faire des dons de nourriture lorsque des collectes sont organisées dans sa région, un geste généreux qui, selon elle, est courant parmi les adeptes de couponing: «Quand des familles font une demande d’aide sur Facebook, c’est souvent les “couponeuses” qui sont les premières à répondre à l’appel.»

La conjoncture économique influence la pratique du couponing, même si la communauté de ceux qui s’y adonnent est hétérogène (toutes les générations y sont représentées) et que même des personnes bien nanties en font. Aux États-Unis, la crise de 2008 a donné un coup de fouet à l’utilisation de coupons, rappelle Deny Bélisle. Difficile toutefois d’estimer le nombre d’adeptes au Québec. Miss Coupon peut seulement dire qu’elle est passée de 700 à 1 500 clients (dont seulement une trentaine d’hommes) en 2020, année pandémique qui a affecté le pouvoir d’achat de la population.

Ce sont surtout les produits non périssables qui ont la faveur des «couponeuses», parce qu’on peut en acheter une grande quantité d’un coup lorsque les astres des rabais s’alignent. Typiquement, il s’agit de boîtes de conserve, de céréales, de biscuits… Les produits ménagers et le papier de toilette font aussi partie des classiques.

Difficile par contre de trouver des produits locaux: ce sont surtout les Kraft et les Unilever de ce monde qui investissent ce créneau. «Il y a une infrastructure à mettre en place pour l’émission de coupons et la bonne gestion du processus avec les détaillants. C’est pourquoi ça concerne davantage les très gros joueurs», précise Deny Bélisle.

«De la scrap», mais aussi des amitiés

C’est d’ailleurs pourquoi Lili Marchand, une des pionnières du couponing au Québec, a décroché. Administratrice du site spécialisé OnMagasine depuis 2011, ancienne chroniqueuse au Journal de Montréal, elle ne mâche pas ses mots: les produits qu’on achète grâce aux coupons, «c’est de la scrap!» Des aliments transformés, trop sucrés ou trop salés, pas bons pour la santé…

Elle ne regrette toutefois pas les années qu’elle y a consacrées: elle s’est créé une communauté tissée serré, qui interagissait sur son site web, puis au sein de son groupe Facebook.

«On parlait de coupons, mais aussi de toutes sortes d’affaires. J’ai aidé des femmes qui se faisaient battre par leur mari. Des filles m’ont annoncé qu’elles étaient enceintes avant même de le dire à leur mère ou à leur chum!»
Lili Marchand

Mais au fil des ans et des émissions sur le couponing à la télé, le nombre d’adeptes a grossi, et Lili a vu des choses qui lui déplaisaient. Par exemple, des ruées dans les magasins, des gens qui vendaient leurs coupons ou qui en changeaient la valeur grâce à Photoshop…

Frédérique Langlois, pour sa part, a remarqué que plus il y a de monde dans un groupe Facebook, moins celui-ci est intéressant. Elle préfère les plus petites communautés, où se cachent les «couponeuses» sérieuses, qui finissent par se connaître et s’apprécier. Des règles strictes, dont l’interdiction de vendre des coupons, sont parfois adoptées, et les mauvaises échangeuses se retrouvent sur des listes noires.

Ces «couponeuses» ont-elles l’impression d’acheter de la «scrap», comme le dit Lili Marchand? Disons qu’elles savent que les produits concernés par les coupons ne sont pas haut de gamme, mais elles sont de plus en plus conscientisées et essaient de faire du mieux qu’elles peuvent avec leur pouvoir d’achat. Les produits santé ou québécois bénéficient d’un effet de vases communicants, puisque certaines vont s’en procurer avec l’argent économisé grâce aux coupons.

Le changement viendra probablement des épiceries, si l’on en croit le professeur Deny Bélisle. Par exemple, le programme de fidélisation Metro & moi offre des coupons aux clients en fonction de leurs achats passés et s’ajuste donc aux changements de comportement. Déjà plus que centenaire, le coupon a su s’adapter maintes fois, et il continuera probablement à le faire dans l’avenir.

Magazine Caribou - Numéro 13 - Communautés

Ce texte est paru à l’origine dans notre magazine numéro 13, Communautés.

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